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Ce qu'il y a de plus beau dans les cimetières,
Ce sont les mauvaises herbes.
♀•♀
Alea Jacta Est
- La nuit n'était pas encore tombée, mais le ciel était déjà obscur, alourdi d'épais nuages noirs. Le soleil était invisible, ses rayons ne perçaient pas la carapace brumeuse. Véritable cathédrale qui se ramassait, cumulus bas sur l'horizon qui écrasaient, sous leurs lourdes nuées, toutes présences. L'air était électrique, presque statique ; même le vent s'était tut et l'atmosphère, immobile, semblait attendre. Seule la brève luminosité d'un éclair, au loin, semblait rompre la parfaite inertie qui régnait sur le cimetière. Les minutes qui précèdent l'orage sont toujours les plus intenses. Un frisson descendit le long de son échine lorsque le tonnerre gronda pour la première fois. Un éclat sombre s'alluma au fond de ses prunelles et elle releva les yeux de ses pensées pour fixer l'amas de nuages qui se déchirait au-dessus d'elle. Ses lèvres se relevèrent en une esquisse de sourire, rictus plus proche de la grimace que d'une quelconque émotion joyeuse. Elle aimait l'orage, elle le ressentait dans ses entrailles comme un besoin ; mais les secondes qui le précédait n'en étaient que plus appréciables.
Un nouveau coup de tonnerre fit vibrer l'atmosphère, indiquant clairement que la perturbation approchait. Opium inclina la tête sur le côté, avant de repartir d'une démarche lente et calculée, se glissant silencieusement entre les caveaux. Quelques tombes, voilà qui allait rehausser un peu son humeur. Fascination morbide pour les cimetières, l'idée de mort si proche la faisait sourire. Elle fréquentait volontiers ces lieux souvent apparentés aux gothiques, mais de toute façon, les classifications par groupe l'insupportaient puisqu'elle ne se considérait proche d'aucun. Bref. Une plaque de marbre sembla lui convenir puisqu'elle finit par s'asseoir sur une tombe, froissant les pans de sa jupe. Prenant appui sur la croix, elle balaya d'un regard hautain l'étendue mortuaire, où les sanctuaires de pierres abîmés semblaient le seul horizon. Pas un mouvement, juste un silence pesant, parfois déchiré par le tonnerre, mais aucune trace de présence humaine. Encore heureux, elle n'était pas d'humeur.
Immobilité parfaite, corps roide, figé dans une inactivité presque sclérosée. Combien de temps, combien d’heures ou de minutes à attendre, sans un frémissement, sans un mouvement ? Elle serait incapable de le dire ; une préoccupation aussi bassement matérielle que l’écoulement du temps ne la concernait pas. Adossée à un grand crucifix sale, la tête haute mais les yeux baissés, noyée dans une obscurité épaisse et gluante, Opium observait. Les bras croisés comme un supplicié dans son cercueil, partageant avec ce mort une rigidité cadavérique qui blanchissait ses articulations. Mais aucune faiblesse dans ce maintien, l’habitude rodée d’ignorer les sollicitations de ses membres fatigués par cette immobilité absolue. Et le ciel se creva, laissant se déverser des trombes d'eau de ses entrailles. Et sous ce signal, la nature revit. Le vent glacial se leva, faisant plier les herbes hautes et craquer les branches torturées d'un vif souffle solitaire. Les fleurs déposées en offrandes roulèrent des tombes pour s'écraser au sol, l'odeur acre de la terre mouillée s'éleva lentement.
Fermant les yeux, Opium laissa l'eau dégouliner sur son visage, détrempant ses cheveux et faisant couler le maquillage, créant d'épaisse traînées noirâtres sur ses joues et ses lèvres entre ouvertes. Ses vêtements n'avaient pas soutenus le déluge et le corset dégouttait de l'eau sombre tandis que la jupe - longue - traînait par terre se teintant lentement d'une couleur de boue. Elle n'apparaissait certes pas sous son meilleur jour, mais la blonde n'en avait rien à faire, t'façon, elle n'avait rien à prouver. Elle pianotait sur le marbre froid une cadence proche de celle du battement d'un cœur, ses ongles longs crissant sur la pierre, la gueule renversée vers un ciel qui dégueulait des litres d'eau. En fait, on pourrait bien se demander ce qu'elle foutait là, mais il n'y avait rien à comprendre. Complètement absorbée par l'orage, elle était indifférente à toute autre pensée. Bah, pour une fois qu'elle est apaisée...
Ce ne fut pas un bruit, pas un mouvement qui l'averti de l'approche de quelqu'un. Les yeux fermés, le tonnerre grondant dans ses oreilles, elle aurait été incapable de percevoir quoi que ce soit. Ce fut plutôt une impression, un ressenti qui lui fit ouvrir paresseusement un œil. Une goutte d'eau bien placée lui fit refermer immédiatement, d'ailleurs. Laissant échapper un grognement agacé pour exprimer son mécontentement, elle se redressa, quittant la nonchalance de son affalement pour s'adosser correctement à la haute croix. C'est après ce difficile effort que de faire glisser ses jambes à terre et de relever la tête qu'elle put voir qu'on lui faisait effectivement face. Sa première réaction fut de hausser un sourcil, la seconde de le froncer. Qu'est ce qu'elle foutait là, cette personne ?
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