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Alekseï et Georgia
La bougie s’éteint brusquement et je sursaute devant le miroir. Je peste intérieurement, tandis qu’à tâtons je cherche à mettre la main sur une boîte d’allumette. Mes doigts glissent sur le rebord de l’évier tandis qu’ils rencontrent rapidement la petite boîte en carton. J’extraie une allumette et l’allume afin de pouvoir continuer le maquillage d’Halloween commencé il y a maintenant plus d’une vingtaine de minutes. La lueur de la bougie éclaire mon visage et je rajoute une touche de rouge à lèvre avant d’inspecter dans le miroir mon reflet. Vêtue de cet adorable costume de diablesse, je tournoie sur moi-même un instant avant de souffler sur la flamme et d’enfiler des escarpins. Par réflexe je m’empare de mon téléphone portable abandonnée sur une table de chevet avant que la réalité ne m’afflige de nouveau. L’électricité étant inexistante depuis quelques jours, je n’ai plus une once de batterie. Malgré tout, je garde l’infime espoir qu’il puisse peut-être se rallumer, l’espace de quelques instants, juste le temps de pouvoir enfin lire mes messages.
Je le jette dans mon sac à main et me précipite vers l’extérieur. La nuit est bien tombée sur le campus, et le fait qu’il n’y ait aucun lampadaire d’allumer rend les lieux particulièrement obscures et terrifiant. Je croise quelques étudiants, tous vêtus de costume effrayants, mais je n’y prête pas la moindre attention. Je n’ai jamais été une grande fan de ce genre de soirée, pourtant je me suis prêtée au jeu, pour ravir les Cabots qui m’ont ordonnées de les accompagner. J’arrive rapidement jusqu’au parc où nous avons rendez-vous et je me laisse tomber sur l’un des bancs, espérant les voir rapidement débarquer. Je me sens tout sauf en sécurité, et j’aimerai pouvoir apercevoir un visage connu. Je scrute les quelques groupes de personnes, mais sous leur masque, derrière leur maquillage, impossible de discerner si j’en connais quelques-uns. Une légère brise caresse ma peau, tandis que je tire sur la petite jupe rouge. Je frissonne, repousse ma longue chevelure en arrière, et ferme les yeux un instant, profitant de ce moment paisible. Ces derniers temps l’agitation a été dure à supporter, la maladie de ma mère, les voyages intempestifs entre Moscou et Harvard, les heures d’avions suivies d’heures passées à son chevet, n’ont pas rendu les choses faciles. Alors ce soir, je ne souhaite qu’oublier le temps de quelques heures l’odeur nauséabonde de l’hôpital, la couleur trop blanche de la chambre où le corps de ma mère attend patiemment la guérison. Je chasse toutes ces pensées de mon esprit, et je me rends compte que j’aurai envie d’un verre de champagne pour oublier toutes ces choses, ou quelque chose de plus fort encore. Je sursaute cependant tandis que deux voix résonnent non loin de moi. Du coin de l’œil je peux observer deux silhouettes marchant l’une à côté de l’autre. Je reconnais Anastasya la présidente des Eliot dans une tenue particulièrement recherchée. Elle est splendide et je me surprends à être curieuse de l’homme qui se trouve à ses côtés. Je scrute les traits du visage masculin dont la voix rauque parvient jusqu’à moi. Ce son ne m’est pas inconnu, il y a dans celui-ci une petite tonalité qui m’est familière. Je ne saurai pourtant pas l’attribuer à qui que ce soit. C’est comme si ma mémoire était embuée, alors je me redresse sur le banc, de façon à pouvoir observer les deux silhouettes plus attentivement. Malgré la distance entre eux et moi, je peux discerner l’allure de cet homme dont le son du rire cristallin se répand jusqu’à moi. J’avale ma salive, et reste figée un instant. Impossible que ce ne soit lui, que ferait-il là ? L’air devient tout à coup glacial, et j’ai un mal fou à respirer. Il n’y a pourtant pas de doute, je pourrais reconnaître sa démarche entre toutes, et c’est bien lui qui se tient non loin, en compagnie de la grande blonde. Presque instantanément, je regrette de ne pas être restée confinée dans mon appartement, à l’abris de ce genre de rencontre. Je me relève comme si la fuite était à présent la seule façon de réagir et je m’apprête à quitter le parc. Eviter de le croiser, éviter de le revoir. Les émotions affluent en moi sans que je ne puisse les contrôler et une vive douleur me force à m’arrêter dans ma course. M’échapper, mon corps refuse, alors que mon esprit en rêve. Je suis là, plantée au beau milieu du parc, stoïque. J’ai redouté durant tant de temps une confrontation, mais il semblerait que si je reste là, elle est bel et bien lieu. Halloween devrait être cause de peurs diverses et non pas de douleurs amoureuses. Je me laisse tomber sur l’herbe, je me recroqueville telle une enfant, entourant mes jambes de mes bras et tentant de me faire aussi petit que possible. J’ai très certainement l’air d’une idiote, mais c’est ce dont j’ai toujours eu l’impression d’avoir été pour lui.
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