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La salle fut lentement plongée dans une obscurité presque complète. Le silence tomba, lourdement. Quelques murmures furent étouffés dans la pénombre en un délicieux mélange d'impatience et de fébrilité. Une anticipation inévitable, naturelle. Une vague imperceptible cousant la langue au palais, accrochant le regard à ce point fixe pour l'instant toujours dénué de tout intérêt. Le rideau se souleva et les projecteurs s'illuminèrent de milles feux, découvrant la scène, humble, presque nue, purifiée de toute fioriture cinématographique. Une scène toute simple qui deviendrait bientôt tout un monde, un univers régie par ses propres lois, ses propres personnages.
Naomi se redressa sur son siège, tapotant le bras capitonné du bout de ses doigts fins en un geste nerveux et impatient. En ce dimanche après-midi, bien d'autres activités figuraient à son agenda. Pourtant, la voilà qui était assise, plus ou moins confortablement, dans une salle d'un théâtre miteux quelque part dans un quartier de Boston relativement recommandable, à vaguement suivre le déroulement d'une pièce à la tournure peu captivante. Tour à tour, son horaire défilait dans son esprit tourmenté, suivi de ses finances à l'état effroyable, puis du travail qui l'attendait au retour, des dettes qui s'accumulaient, sa vie sociale qu'elle devait maintenir en équilibre sur le fragile fil de mensonges qu'elle s'était cousue et... et... La jeune adulte se renversa la tête vers l'arrière, les poings maintenant serrés. Aurait-elle vendue son âme pour une cigarette. Un rapide coup d'oeil aux portes lui permit de constater qu'elles étaient bien closes. Rien ne l'empêchait de sortir. Toutefois, impossible d'entrer à nouveau. Elle maugréa intérieurement. Ce billet ne lui avait pas coûté que quelques dollars. Le gaspiller pour une imbécile de cigarette l'embêtait royalement. Surtout qu'une fois son désir de nicotine assouvi, la pièce lui semblerait sans doute un peu moins mortelle. Sa motivation et sa détermination sans faille supplanteraient peut-être quelques râlements l'espace d'un certain temps. Bref, la pièce serait de meilleure goût et les études, un peu plus loin dans sa tête, donnant un peu plus de valeur au billet qui ne lui serait alors plus d'aucune utilité.
L'étudiante passa nerveusement la main dans sa chevelure perpétuellement récalcitrante tout en se retournant dans son siège. Tentant de conserver son attention sur la pièce, elle ramena ses jambes à elle et s'appuya le menton sur ses genoux. Malheureusement, le maigre scénario, le triste jeu des acteurs et la monotonie de la mise en scène eurent tôt fait de faire fuir son intérêt. La jeune New Yorkaise prit une longe respiration. Elle devait s'accrocher à quelque chose. N'importe quoi qui saurait dévier ses pensées de Harvard. Du moins, de ses études et de... l'argent. Essayer de vivre normalement pour une heure ou deux, une vie de jeune adulte profitant de la vie. Ce genre de chose...
À tout hasard, pour une raison qu'elle n'aurait jamais su démystifier, ses pensées s'arrêtèrent sur Julia. Instinctivement, elle se trémoussa légèrement le nez, habitude tout à fait involontaire caractéristique d'une certaine contrariété. La Dunster ne portait pas la Cabot dans son coeur, et ce depuis leur toute première rencontre. C'était arbitraire, à la limite puéril. Mais, c'était ainsi.***Naomi la jaugea du regard. De bas en haut, bien allègrement. Julia Toscana Calabresi. Elle siffla entre ses dents en retirant les écouteurs de ses oreilles. La nouvelle étudiante était fort jolie, elle ne pouvait le nier. Toutefois, quelque chose lui criait qu'elle n'aimait pas cette fille. C'était plus fort qu'elle. Plutôt de nature difficile, la Dunster n'avait toutefois pas de mal à se montrer sociable et réellement sympathique avec la plupart des mortels. Seulement, il y avait un truc. Un truc qui la dérangeait. Un truc qu'elle n'arrivait pas à saisir. Du moins, pour l'instant. Après un moment, voyant bien que la jeune adulte ne l'avait pas remarqué, elle se leva et rejoint la nouvelle arrivante, tentant d'afficher un peu d'enthousiasme. Tout le monde savait bien que Naomi était la pire des râleuses. Il fallait parfois fouiller un peu plus loin pour connaître ce qu'elle pensait réellement. Et même si la jeune adulte elle-même n'en était pas consciente, la mission dont l'avait chargée son enseignant ne lui déplaisait pas autant qu'elle le laissait croire.
- Bienvenue à Harvard, ma chère, lui dit-elle d'un ton légèrement nonchalant contrastant nettement avec la cérémonieuse mimique qu'elle effectua. Je serai ton guide à travers ce fabuleux voyage à travers le campus et ses alentours. J'espère que tu t'y plaira et passera de fructueuses années d'études.
Finalisant cette entrée presque théâtrale, la jeune femme parodia une élégante révérence tout à fait saugrenue.
- Ah... euh... Je suis Naomi, ajouta-t-elle en se redressant, un peu confuse.
Et c'est là qu'elle comprit ce qui l'énervait. C'était une énergie, une impression vaguement dégagée. Une suffisance présomptueuse, remplie de vanité et d'orgueil. Bref, aux yeux de Naomi, sans doute le défaut ultime. Le trait le plus méprisable qui puisse exister. Quelle chance! Déjà, ce regard profond et lourd la titillait, l'énervait. Cette pimbêche aurait la visite de sa vie. Elle pouvait y croire. Une longue visite. Évidemment, la Dunster exagérait copieusement. Julia avait beau sembler un brin vaniteuse, cela ne faisait pas d'elle une pimbêche stupide ou un personnage tout à fait vil et méprisable. M'enfin... Naomi s'alluma une cigarette, ce qui la fit consentir à faire plus ample connaissance avec cette inconnue qu'elle n'appréciait pas déjà. Il y avait toujours une limite à être bornée, non? Elle lui offrit une clope avec détachement avant de débuter le traditionnel interrogatoire d'introduction et l'ennuyeuse visite du campus et de l'université.
- Alors, tu viens d'où, beauté? Calabresi, c'est étranger, non? Comment t'as atterrie à Harvard?
(Invité)