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nous étions destinés à se rencontrer...
walter ∞ ariane
Septembre deux mille dix. - Trois ans auparavant.
« Ariane Irina Milan Kennedy, tu es certaine que tu ne veux pas que l’on commence par des cours à distance, le temps que tu t’habitue un petit peu à cette université avant d’aller t’y installer ? » Je lève les yeux au ciel, et orne mes lèvres d’un somptueux sourire avant de pivoter vers ma mère qui, postée du haut de ses talons aiguilles me scrute comme si c’était la dernière fois que nous nous voyons. J’ai toujours eu une relation étrange avec elle. Elle est froide, calculatrice, elle semble être handicapée sur le plan émotionnel, et pourtant parfois, derrière les caméras, dans l’intimité, elle semble presque attachée à son unique fille. « Les choses se passeront bien. » Dis-je comme pour essayer de la rassurer. Son attitude est tellement contradictoire avec ses agissements. Elle m’a le plus souvent ignoré lorsque je n’étais qu’une enfant en mal d’amour. Si je demandais sa compagnie, elle m’expliquait qu’une grande dame ne peut pas se consacrer à sa fille, et que je devais me contenter des diverses nourrices qui vivaient à la maison, ou devrais-je dire, dans la cage dorée qu’elle avait confectionné pour moi. Elle était trop occupée pour jouer avec moi, trop demandée pour me consacrer du temps et pourtant, elle mourait intérieurement d’inquiétude lorsque je me trouvais séparée d’elle, en dehors de la villa. Ma mère est un paradoxe à elle toute seule, et je crois qu’il me faudrait plusieurs vies pour la comprendre réellement. Je dépose un baiser sur sa joue et la serre brièvement dans mes bras avant de m’emparer de mon sac à main, d’y fourrer mon téléphone portable et de jeter un dernier regard à cette chambre au couleurs pourpres, qui m’a accueillie pour mes moments de joie, de peine ou encore de rêves. C’est ici que j’ai joué à la poupée, que j’ai commencé à écrire un journal intime, que j’ai imaginé ma vie en dehors de ces murs. Et aujourd’hui, je m’apprête enfin à vivre cette vie. Si cela fait deux ans que ma mère a cessé de me forcer à suivre des cours par correspondance pour me laisser aller au lycée, elle n’a jamais supporté que je découche ou bien que je ne sortes après la classe. Elle a toujours eu besoin que je sois confinée dans un lieu sécurisé, entourée de gardes du corps et je vois son visage se décomposer quand je me dirige vers les escaliers. Elle me suit, vêtue de son tailleur de grand couturier. « Carl sera avec toi les premières semaines jusqu’à ce que je sois sûre que tu es en sécurité là-bas. » J’acquiesce, inutile de lutter contre les exigences de ma très chère génitrice. Je dévale les marches une à une, espérant n’avoir pas à remettre les pieds ici avant noël. Ce serait un échec pour moi dans le cas contraire. Face à l’immense miroir mural du hall, je replace la petite robe en flanelle bleue qui souligne la couleur pâle de mes grands yeux maquillés et je dépose une dernière bise à ma mère. Elle ne me prend pas dans ses bras, elle se contente de me regarder et son regard équivaut à plusieurs étreintes affectueuses. Mais elle est comme ça, elle aimerait, mais elle ne fait pas. J’ai hérité cela d’elle par moment, je lui ressemble plus que je ne le veut. Mon père quant à lui m’arrache au sol pour un dernier câlin. Il est plus affectueux, plus absent aussi mais il s’est libéré quelques minutes pour me souhaiter bonne chance et m’ouvrir la porte. Je passe le pas de la porte et je suis envahie d’une sensation d’excitation. Ma vie commence. L’université m’attend. Je suis impatiente d’être à Harvard, et je me dépêche de m’engouffrer dans l’immense voiture qui m’y conduira. Je lance un dernier regard vers mes parents avant que Carl ne se place à mes côtés sur la banquette. Mes valises submergent le coffre et la voiture pleine, nous prenons enfin la route, le chemin vers mon indépendance.
Le paysage défile à vive allure, les heures passent, je somnole par moment, envoie quelques messages à mes amis, et finalement, je me perd dans la lecture d’un de ces romans d’amour stupide. J’ai un faible pour les thrillers psychologiques mais ma mère préfère me voir lire ce genre de roman qui relate les histoires déprimantes de femmes qui trouvent le grand amour, le mari qui leur fera de magnifiques enfants. Elle aimerait cela pour moi. Un homme influent pour me promener de banquets en réceptions, m’exposant tel un trophée. Elle rêve pour moi de la vie qu’elle a eu mais cela ne m’intéresse pas. Je ne veux pas être la princesse des médias, l’icône glamour d’une famille de politiciens. J’ai plus d’ambition, je veux être présidente. Et l’université d’Harvard pourra m’apporter l’apport théorique dont j’ai besoin. La politique a été comme une évidence, mais j’ai choisi aussi la psychologie pour mieux comprendre les gens et exceller d’avantage dans l’art de la manipulation. Pressée d’apprendre, curieuse de nouveaux savoirs, je passe ce trajet en imaginant ma vie à Harvard, un sourire rêveur ornant ma délicieuse bouche pulpeuse.
La voiture se gare devant l’immense résidence qui devrait m’accueillir, je me hâte de me glisser hors du véhicule pour admirer mon nouveau chez moi. Harvard est aussi somptueux que sur les photos des catalogues. Des centaines d’étudiants se trouvent de part et d’autres d’Harvard et je m’empare d’une valise que je ne veux pas savoir loin de moi. A l’intérieur se retrouve divers souvenirs, mon journal intime et des vêtements plus importants à mes yeux que les autres. Je la sors du coffre avant de m’avancer sur le perron. Je suis là, figée à scruter ma nouvelle vie, et je ne fais pas attention au jeune homme qui marche dans ma direction, les yeux rivés sur ce qu’il tient en main. Si j’avais prêté plus attention, je ne me serai sans doute pas arrêtée sur son chemin, mais lorsqu’il me percute plutôt violemment je manque de m’étaler sur le sol. Je relève des yeux agacés sur lui. « Je suppose que tu demandes comment te racheter là immédiatement ? » Dis-je sur un ton assez froid pour lui transmettre mon énervement mais assez chaleureux pour qu’il ne fuit pas. Une mèche de sa chevelure blonde cache l’un de ses grands yeux bleus. Il est particulièrement séduisant et je devine à sa silhouette et sa tenue qu’il est l’un d’entre nous. L’un de ce petit cercle fermé. Les gens qui ont de l’argent. Les fortunés, les héritiers. Je lui tends machinalement ma petite valise. « Tu peux te charger de la porter jusque dans ma chambre et ça devrait effacer la bousculade… » Dis-je d’un sourire espiègle.
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