Douze octobre mille neuf cent quatre-vingt-dix. Je poussais mon premier cri à l'hopital de Barrancabermeja parce que mes parents et mon grand frère vivaient là-bas. Mon père était un immigré riche colombien et ma mère une pure américaine. A la base, ils se sont mariés pour que mon père puisse rentrer sur le territoire américain, mais ils ont fini par s'aimer vraiment et ça continue depuis trente ans maintenant.
Gamine, j'étais un vrai garçon manqué. Le genre de gamine à jouer exclusivement avec des petites voitures, à la guerre avec les garçons de l'école et qui voulait jouer au docteur avec les autres petites filles de l'école. Comme quoi, l'homosexualité c'est directement dans les gênes et on s'en rend compte qu'après. J'étais toujours en jeans basket, aussi. Puis y'avait cette petite blonde qui voulait bien jouer au docteur avec moi. C'était la seule fille, d'ailleurs. Cette petite blonde, c'est l'une de mes amies les plus proches, encore aujourd'hui, c'est Cataleya. Plus je grandissais, plus je trainais avec des garçons, souvent les potes de mon frand frère, qui trainaient dans la rue. Je devais avoir quoi...onze ou douze ans, grand maximum. J'étais la "petite soeur" du groupe. Devrais-je dire, du gang. Mais moi, je ne savais pas pourquoi les flics venaient nous voir souvent et pourquoi le leader jouait les caïds. Jusqu'au jour où ca a dégénéré. Là, j'étais un peu plus vieilles, genre quinze ans. Les flics savaient qu'ils dealaient et faisaient tout pour les coincer. Putain de flic en civil, putain de flingue qui trainait dans le froc de Fernandez. Mon frère m'a dit de partir vite, de courir et de si possible, ne pas revenir avant qu'il ne me le dise par message. Je n'ai jamais reçu ce putain de message, mais j'ai couru, vite, longtemps. Sans savoir où aller. J'avais semé les flics, j'en pouvais plus. J'appelais Cata' pour lui demander de me cacher et je me rendais chez elle, paniquée. Je lui racontais ce qu'il s'était passé, que j'attendais des nouvelles d'Angel, parce qu'il devait me rappeler. Au bout de deux heures, pas de nouvelles. Je quittais donc le domicile de mon amie pour retourner sur le lieux de départ, voyant Fernandez, plein de sang et en larmes, mais pas de traces d'Angel, juste du sang par terre et la chaine de mon frère, le cadeau que je lui avait offert pour ses vingt ans. Fernandez levait les yeux vers moi, pleurant de plus belle. Je ne voulais pas y croire. C'était impossible. Je rentrais chez moi, pas de trace d'Angel et mes parents étaient absents. Je saisissais le téléphone pour appeler tous les hôpitaux de la ville, demandant s'ils pouvaient appeler Marianne et Miguel Diaz. L'hopital de Barrancabermeja était le bon hopital. Mes parents s'y trouvaient, attendant des nouvelles d'Angel. Le temps que je les retrouve, Angel était mort.
Ses funérailles ont été éprouvantes pour nous tous. Amis, famille et surtout sa petite-amie, enceinte de six mois. Maria était belle, Maria était enceinte, Maria était triste, Maria s'est donnée à moi car je lui rappelais Angel. Son Angel, notre Angel. Celui qui est mort pour me sauver, mon frère bien aimé, adoré, idôlatré. Depuis sa mort, j'ai sombré. Le gang ne me voyait plus, je restais enfermée, comme inanimée. Un peu morte, moi aussi. Je passais mes nuits à boire, alors que Maria était là. Elle ne supportait pas de voir le visage de son homme en moi, mais elle en avait besoin. C'était sa drogue, alors que moi je voulais des choses toujours plus fortes. Cataleya s'inquiétait pour moi, elle aussi. Mais comment voulaient-elles que j'aille bien, alors que je me sens si coupable ? Pourquoi il n'est pas parti avec moi ? Il arrivait souvent que Maria m'appelle "Mi angel". Au début, je pleurais. A la fin, une claque partait. Devant son fils, mon neveu, mon beau-fils en même temps, qui dormait paisiblement. Je ne supportais pas ce surnom. Et les claques ne l'empêchaient pas de continuer, ni d'aimer mon frère à travers moi. Je lui donnais ce qu'il ne pouvait plus. Puis j'ai craqué. Je lui ai dit d'aller se faire mettre, que je n'étais pas Angel et que je ne le serai jamais. Que ca ne servait à rien, ne rimait à rien. Que je ne voulais plus d'elle, ni d'un fils. Que ce petit ne verra jamais son père en moi car il ne l'a jamais vu. J'étais en crise, vraiment incontrôlable. Maria est partie. Et moi, je sombrais un peu plus, parce que j'étais persuadée de décevoir mon frère d'où il se trouvait. Puis je me suis prise en main. Je ne voulais pas finir morte à vingt ans, comme lui. Je ne voulais pas que mes parents essuient une nouvelle blessure et perdent leur dernier enfant. J'ai continué mes études, entrant à Harvard. Je n'étais pas seule, en fin de compte. Personne ne m'a lâchée. Pas même Fernandez.
Aujourd'hui, j'ai vingt-trois ans. J'ai finalement bien réussi ma vie. J'ai un super boulot, des supers potes, j'suis à Harvard, je me suis féminisée, je fume toujours quelques joints de temps à autres, mais rien de plus. Je bois quand je peux, quitte à finir complètement à l'envers. J'ai eu une vie sexuelle très active et une belle flopée de conquêtes parce que je n'ai jamais voulu me caser vraiment. Je suis jeune, je n'ai pas envie de me prendre la tête avec une relation. Et je suis là, dans une fac super réputée, avec pas mal de jolies paires de fesses à croquer. Elle est pas belle la vie, finalement ?