13 AOÛT 1995 - NEW YORK ► Née dans un environnement des plus favorable, j'avais des parents très peu présents qui s'efforçaient de se rattraper quand ils en avaient la possibilité. J'avais à peine deux ans et j'étais déjà la reine du monde. Maman actrice et papa gérant d'un grand hôtel à Manhattan. Je les voyais peu et même si j'étais encore très jeune, je les aimais plus que tout au monde. On ne peut imaginer une vie sans parents et inconsciemment je savais que sans eux, mon monde serait bien triste. Très pris par leurs travails respectifs, c’était souvent une nounou qui me gardait. Nany. Elle s’est longtemps occupé de moi, jusqu’à ce que je n'ai plus besoin d’elle et elle faisait partie intégrante de la famille ce qui la rendait indispensable au bon fonctionnement de celle-ci et elle était là pour combler les trous d’amour que mes parents créaient en moi mais à chaque retrouvaille, c’était un éclatement de joie et d’affection comme on en avait rarement. C’était tout ce dont j'avais besoin de toute manière. Quand on prend vie, on ne recherche qu’une seule chose : aimer et être aimé en retour. Voilà pourquoi les humains naissent et meurent. C’était ce que me disait Nany. Elle m'a toujours dit depuis toute petite que notre but dans la vie était de trouver quelqu’un avec qui partager sa vie. Quelqu’un ou quelque chose mais surtout quelqu’un. Elle, elle avait trouvé son quelqu’un enfin quelque chose qui y ressemblait. Elle nous avait trouvé nous. Et elle en avait trouvé d’autre. Elle se faufilait de famille en famille, laissant une marque indélébile et disparaissait aussitôt son devoir accomplit. C’était tout ce dont elle avait besoin. La famille dans laquelle elle travaillait devenait presque la sienne. Incapable de faire des enfants, elle s’était mis à adopter les enfants des autres et s’en occupait comme si c’était les siens et c’était vraiment la sensation qu’elle me donnait. Elle était comme une tante, une mère, une sœur, une copine. Un peu tout à la fois. Gardant mes secrets, me guidant dans la vie, me faisait des fois des remontrances quand je le méritais, enfin elle assurait un tas de rôles même celui de soutiens quand il s'agissait de parents comme les notre qui ne se sentaient pas capable d’assumer leur rôle avec tout le travail qu’ils avaient. A défaut de pouvoir compter sur mes parents, je comptais sur elle. . Moi, la petite fragile, frêle et très peu sure d’elle. Je vouais un culte à la personne qui me servait de nourrisse. Et je n’imaginais pas à cette époque à quel point elle serait importante, à quel point je ne pourrais plus vivre sans elle. J'ai toujours eu une sensibilité inégalable, m'attachant à n'importe qui et surtout à ceux qui prenaient soin de moi. J'étais une princesse, et dans un futur proche, j'allais conquérir le monde.
30 DÉCEMBRE 2008 - HÔPITAL DE NEW YORK ► J'ai commencé à apprécier la vie quand j'ai vu qu'elle m'échappait. J’étais allongée dans mon lit d’hôpital. Je m’étais réveillée ne me souvenant plus de ce que je faisais, ce que je disais, où j’étais. J’étais morte pour quelques heures. J’ai fermé les yeux mit énormément de temps à les rouvrir. Un mal de crâne qui m’a assommé et fait perdre connaissance. Cela m’était déjà arrivé mais jamais de cette intensité. C’était impressionnant et je n’étais pas capable de dire à quel point j’avais souffert. Et me voilà sur un lit, un tas de tuyaux branché sur mes bras, me transperçant la peau et je ne pouvais pas bouger. Ma famille était autour de moi et j’étais incapable de comprendre ce qui se passait. Tout le monde s’agite autour de moi et je ne comprends toujours pas. J’ai toujours imaginé une chambre d’hôpital. Souvent, dans les films, on les voit comme des pièces d’abord froide et simple puis elle finisse par se réchauffer et devenir beaucoup plus belle avec l’histoire des personnes et les sentiments qu’ils nous transmettent, mais moi, j’étais là, tentant de réfléchir à ce que pourrait bien être ma vie quand j’allais en sortir car je savais que tout ça n’était pas anodin et je ne remarquais aucune chaleur, aucun bon sentiment qui pourrait me faire croire que ça irait mieux. J’étais totalement perdu. Tout le monde s’agitait de manière incessante et fatigante autour de moi et je n’avais même pas l’envie de répondre, de dire que ça allait. Je me contentais de sourire et hocher la tête. Après tout, que pouvais-je faire de plus que ça ? « Bonjour.. Je suis le docteur Rosberry. Je pourrais vous parlez en privée s’il vous plait ? » Se tournant vers mes parents, il n’a même pas daigné me jeter un regard. « Euh excusez-moi, c’est de moi qu’on parle alors je pense que si quelqu’un doit être au courant de quelque chose c’est bien moi et personne d’autre. » « Bien, si vous insistez. » Il marqua un temps, repositionnant ses lunettes et regarda mes résultats puis enleva ses lunettes et me regarda. « Vous êtes atteinte d’une adénomes hypophysaires. C’est une tumeur qui née dans l’… » Et je n’ai plus rien entendu. M’enfermant d’une bulle infranchissable, je venais d’apprendre que la mort était près de moi, en moi et que je n’avais aucun moyen d’y échapper. Le médecin expliqua qu’elle était petite et qu’elle mettrait peut être du temps à grossir et à devenir vraiment dangereuse, qu’elle me provoquerait ce genre d’accident mais qu’elle restait intouchable. Il n’y avait donc aucun moyen de m’en aller de cette hôpital totalement guérie. J’étais condamnée. Tout s’est passé très vite ensuite. Ils m’ont gardé deux nuits puis m’ont laissé partir. Ce qu’il me restait à faire ? Venir régulièrement à l’hôpital et prier pour qu’elle ne se développe pas et selon les docteurs j’avais de la chance. Mais elle est où la chance là ? Je venais d’apprendre que je ne vivrais pas plus vieille que 30 ans, que je pouvais mourir d’un instant à l’autre, que je n’aurais surement jamais la possibilité de devenir maman, une vrai, que de toute façon, à quoi ça servait d’aimer si c’est pour ne pas pouvoir en profiter jusqu’au bout. Il me restait quoi ? J’ai toujours rêvé de ces choses quand j’étais petite. Toute petite fille rêve d’un beau mariage, de 3 chiens, de 11 enfants, d’un château, et moi il ne me restait que l’espoir. L’espoir de survivre. Car oui, à ce stade, je ne vivais plus, je survivais.
2 FÉVRIER 2009 - NEW YORK ► Allongée, j’étais dans l’herbe et je rigolais. Bourrée. Je regardais le ciel, me parlant à moi-même de tout et de rien, jetant un regard de temps à autre à la personne qui se trouvait à côté de moi. Je ne le connaissais pas mais je l’aimais bien. Il était gentil et me faisait rire. Il me passa ce qu’il tenait dans la main, tirant dessus, une épaisse fumé s’échappa par la suite de ma bouche. J’ai fermé les yeux quelques secondes puis j’en ai repris deux ou trois fois et j’ai fait passer. J’étais déjà loin mais je ne m’arrêtais pas. Je quittais la terre ferme et quittais mon corps. Je quittais toutes mes souffrances et la pitié des gens, de mes proches. Je participais parfois à ce genre de soirée. Je n’en faisais pas énormément mais ça me permettait le temps d’une soirée de sortir un peu de mon quotidien épuisant. « Tu sais.. demain je suis censée me réveiller super tôt. Je dois allez à l'hôpital. Puis plus tard je ferais du théâtre. Je prendrais des cours dans une graaaaande école. Tu sais, c’est ma passion. » Je ne savais faire que ça après tout. C’était la seule chose pour laquelle j’étais douée mais de toute façon ça me suffisait. Je m’étais faite à ma vie et je m’en contentais. Je pouvais mourir à n’importe quel instant mais au moins, ça me permettait d’apprécier la vie à sa juste valeur. Me dire que je pouvais la perdre demain me faisait vivre aujourd’hui comme le dernier. J’ai arrêté de me fixer des barrières. Je disais oui à la vie et je ne me prenais plus la tête. Après tout, je n’allais pas m’apitoyer sur mon sort. J’aurais pu finir ma vie dans un lit, dans une chambre avec des murs blancs et pour seule décoration dans fleurs me rappelant les fleurs que l’on met sur les tombes dans les cimetières. Ouais, en y repensant j’étais chanceuse. J’avais mes parents, qui d’ailleurs avaient pris finalement plus de temps pour s’occuper de moi, pour que l’on forme une vrai famille. Nany nous avait quittés. Elle était partit comme elle l’avait prédit, sans un bruit, sans bouleverser nos vies, partant lentement mais à quand même finit par laisser un grand vide en nous mais maintenant que j’étais grande, j’étais capable d’aller la voir régulièrement et ça me faisait du bien de parler avec elle, car ma famille, ma mère, mon père, me voyaient plus comme leur fille malade que comme leur fille bientôt actrice et qui était prête à tout donner pour y arriver. J’ai finis par détourner mon regard et je l’ai plongé dans l’immensité de la nuit. Comptant les étoiles. Enfin j’essayais. Je n’étais même pas consciente de la stupidité de mes actes mais je n’en avais rien à faire. Ce soir, j’étais Jislaine, moi, dans un état second. Demain, j’allais redevenir la petite fille sage qui respecte ses parents et qui plait à tout le monde. J’avais développé une sorte de masque que j’utilisais à ma guise. J’ai toujours fait croire que j’étais une enfant modèle mais au final j’étais qu’une adolescente comme les autres. Pourtant, en voyant à quel point une vie pouvait changer et à quel point j’avais changé, j’ai adopté une manière très différente de voir les gens et les choses. J’étais prête à pardonner n’importe qui, pour le peu de temps qu’il me restait. Je ne courrais pas après l’amour, ça ne servait à rien au final. J’étais destinée à faire souffrir quelqu’un après mon départ alors à quoi bon si l’amour ça fait mal ? C’est censé faire du bien.
22 JUIN 2011 - NEW YORK ► Je vivais maintenant une vie active et plutôt agréable, même après l’annonce de ma maladie et même si parfois c’était dur, j’avais accepté. Je continuais mes études pour devenir comédienne et me passion ne faisait que grandir. Être sur scène, jouer une personne que je ne suis pas, essayer de faire ressentir un tas de sentiments aux autres, rien ne me rendait plus heureuse que jouer. C’était ça ma raison de vivre. Je n’ai jamais été aussi épanouie. Sur mon parcoure j’ai rencontré un tas d’homme, j’ai aimé, j’ai ris, j’ai pleuré, mais je ne suis jamais vraiment tombé amoureuse. Je ne m’en sens pas capable. Il y a aimer et aimer. J’ai adoré des hommes, j’aurais voulu passer des journées entières avec eux mais je n’ai jamais sentis l’étincelle, celle qu’ils décrivent dans les livres. Je ne me suis jamais sentis pousser des ailes et je pense que celle-ci, j’allais les sentir venir quand j’allais partir, que j’allais m’envoler et quitter ce monde. On rêve tous de voler quand on est petit. On le souhaite à notre anniversaire, quand on voit une étoile filante. Et moi, j’allais bientôt en être capable. Je ne m’en réjouissais pas, mais j’étais heureuse en quelque sorte, heureuse d’avoir la possibilité de profiter, de savoir que la vie est précieuse et qu’il faut en prendre soin. J’ai arrêté de jouer les rebelles, j’ai arrêté d’aller en soirée, je suis revenue dans le droit chemin et j’ai tout fait pour avoir un dossier irréprochable pour Harvard. J’en rêvais de cette université et de ses cours de théâtre. Je savais que ma place était là-bas. Et c'est à peine un mois plus tard que j'ai reçu mon dossier d'inscription.
29 AOÛT 2013 - MIAMI / HARVARD ► Assise au bord de la plage privée de notre famille à Miami, je fais le point sur tout ce qui s’est passé depuis mon arrivé à Harvard. Me considérant toujours comme une outsider, je me suis fait peut d’amis, je sortais peu, j’étais Jilly la jeune femme mystérieuse que personne ne connaissait et pour les rares qui en avaient le privilège, je n’en restais pas moins indéchiffrable. Depuis la mort de Tom, je n’étais plus le même. Cette bombe avait anéantit une partie d’Harvard mais aussi mon cœur au passage. Il était mon seul soutient, le seul en qui je pouvais avoir totalement confiance, le seul qui était au courant de ma maladie. A fil des années, je me suis rendue compte qu’il était préférable que personne n’en sache rien, que cela reste un secret. Je ne voulais plus voir la pitié ou même la compassion dans le regard des gens. Dire que l’on est condamné rend le monde autour de nous, beaucoup plus aimable et gentil à notre égard. Après la révélation à Tom, notre relation resta inchangée. Il ne modifia pas son comportement ni ses mots. C’était ça qui était plaisant avec lui. Malheureusement, il n’était plus là aujourd’hui et je me sentais toujours aussi coupable que par le passé. A mes yeux, c’était de ma faute. (cf la partie sur la bombe plus haut) Pourtant, partir loin m’ouvrit les yeux et je me suis rendue compte qu’il était temps que j’aille de l’avant. Faisant difficilement mon deuil, je me suis dit qu’en m’impliquant d’avantage dans la vie de l’université, j’allais peut être finir par moins souffrir, peut-être qu’en m’impliquant d’avantage dans mes cours, la peine allait s’estomper. Bonheur illusoire, j’étais face à une utopie éphémère. J’allais devoir rentrer à Cambridge et je savais que revenir sur les lieux allait provoquer en moi, un bouleversement bien plus puissant encore. Mais je ne me laisse pas abattre. J’allais continuer mes cours, ne plus être une outsider et intégrer la Cabot House et j’allais prendre mon destin en main.