♪ Au fil des notes de musiques ♫ ft Lisabeth pierson.

L'archet frôle la corde. Mon souffle se coupe un instant. D'un geste court et précis, je réunis les deux parties de l'instrument. Les notes fortes et distinctes rompent le silence environnant. La danse peut commencer. Plus rien n'existe autour de moi. Seule la musique m'emporte, me transporte, loin, si loin de tout. Je joue sans réfléchir, mes mains bougent de leur propre chef au rythme des notes qu'elles ont envie de jouer. Je suis heureuse, presque euphorique, ma mélodie l'est aussi. Je tourne sur moi même, mes jambes décrivent des cercles au sol et ma jupe virevolte gracieusement. Je ne fais plus qu'un avec ma musique. Je porte les notes le plus haut possible, je plonge joyeusement avant d'escalader de nouveau les monts irréguliers de cette partition que j'explore, je me perds en chemin pour mieux me retrouver, je laisse mes sentiments s'exprimer, je me découvre à la fois joyeuse, mélancolique, romantique, enragée, posée, libre. Une fois que j'ai délivrer toute les émotions qui dormaient au fond de moi, je baisse le rideau de cette comédie musicale d'une note courte et sèche. Haletante, j'ouvre les yeux et retourne à la réalité. Assise en face de moi, une jeune femme me regarde d'un air serin. Oh non! J'avais totalement oublié que je m'étais perdue sur le campus et que j'avais atterri à la Lowell House! En cherchant la sortie j'avais alors découvert cette salle de musique avec ce violon qui me tendait les bras et je n'avais pas pu résister à l'envie de l'essayer. Mais je n'en n'avais absolument pas le droit, quelqu'un m'a entendu et venait me réprimander! Penaude, je rangeais rapidement l'instrument dans son étui en m'excusant platement : « Oh pardon! Je suis confuse, je vais m'en aller, je voulais juste... » Juste quoi? Oublier un instant le stress de la rentrée par la thérapie musicale? Seulement poser les mains sur un aussi joli violon? J'avoue que je ne le savais pas moi même. Quand la musique s'insinuait en moi, j'étais incapable de pense à autre chose.

La hâte m'empêchait d'être aussi soigneuse que de coutume. Je ne faisais attention à rien, je jetais rapidement le violon dans l'étui que je ne refermais même pas. Il me fallait partir d'ici le plus vite possible, je ne voulais pas me faire remarquer à peine entrée à Harvard, mon grand-père aurait bien trop honte s'il savait que son héritière enfreignait les règles de cette mythique université. Je me retournais vers la sortie et constatait avec une certaine surprise que la jeune blonde qui m'observait était venue me rejoindre sur la scène. Elle ne semblait pas vouloir que je m'en aille puisqu'elle me barrait le passage. Elle s'excusait de m'avoir dérangée... Oh je vois, elle pensait sans doute que j'étais une membre de maison Lowell venue se détendre! Je pouvais l'affirmer pour me sortir tranquillement de ce pétrin, mais j'hésitais : mentir, c'est mal. De plus j'étais incapable de me revendiquer autre chose qu'une Eliot, toute fière de mon statut que j'étais. Je décidais d'assumer mes actes en bafouillant : « Mais non, c'est moi qui suis en tort... ». La jeune femme n'en tint apparemment pas rigueur puisqu'elle continua sur sa lancée en complimentant ma prestation. Je changeais soudain d'attitude. Il est vrai que j'avais admirablement bien joué, si elle m'avait entendu ma professeure de violon du conservatoire de New York aurait été très fière de moi. Je répondais avec l'air assuré comme l'on m'avait appris : « Merci bien, tout le plaisir est pour moi. » Je me trouvais plus à l'aise lorsqu'on ne montrait gentil envers moi. De plus cette jeune fille était très souriante et avenante, ce qui me laissait penser qu'elle était sincère et sûrement pas là pour me réprimander. Elle avait l'air de s'intéresser à moi, cela me flattait. L'inconnue se présenta comme Ellana, mais je pouvais l'appeler Ella. Je prenais ça comme une marque de confiance et lui répondait avec un grand sourire : « Enchantée Ella, je suis Lisabeth Pierson. » Mon grand-père m'avait toujours appris à me présenter par mon nom complet. Notre famille était connue et je signifiais ainsi mon appartenance à l'élite de la nation. La dénommée Ellana me demanda ensuite depuis combien de temps je jouais du violon. « Depuis toujours je crois. J'ai commencé pendant mon enfance et je pratique de manière assidue. » Je ne parvenais pas à me souvenir exactement de la première fois que j'ai touché un violon. Je me rappelle seulement d'une femme au regard très tendre qui me jouait des berceuses parfois, lors d'une époque qui manque cruellement à ma mémoire... « Peu importe. Le fait est qu'aujourd'hui j'ai un excellant niveau. Je prends des cours et je donne parfois des concerts au conservatoire de New York. » Je ne cherchais pas spécialement à me venter, je ne faisais que répondre à la question qu'on m'avait posée.

Ellana sembla impressionnée par mon niveau musical. Je ne voyais pas pourquoi, savoir parfaitement jouer d'au moins deux instruments était le minimum syndical que l'on puisse demander à une jeune fille de mon rang. Pour ma part je me défendais également plutôt bien à la harpe. Mais je ne pratiquais d'aucun autre instrument ce que mon grand-père m'avait toujours reproché, pour lui cela signifiait que je n'étais pas suffisamment accomplie et que je faisais honte à la famille. Alors que je voulais éviter de penser à ce qui fâche, Ellana me demanda alors pourquoi j'avais paniqué en la voyant. Je ne pouvais lui mentir alors j'avouais en baissant les yeux : « Je ne suis pas membre des Lowell mais des Eliot, je n'ai pas le droit d'être ici et encore moins de me servir de vos installations. Je pensais que tu venais me gronder. » Je le relevais alors la tête, les larmes aux bords des yeux et la bouche implorante : « Mais tu ne vas pas le faire, hein? Tu ne vas pas me mettre dehors? Je me sens tellement bien ici. » Ellana avait l'air si gentille, j'espérais sincèrement qu'elle me pardonne mon intrusion et que nous pourrions continuer à discuter.

A vrai dire je ne pensais pas qu'Ellana puisse être capable de me chasser. Elle était si gentille, si bienveillante, c'était une bonne personne qui n'avait pas l'air d'être du genre à martyriser les autres. Et elle le confirma en posant amicalement sa main sur mon épaule tout en m'assurant qu'elle ne me dénoncerait pas et ce serait notre secret à nous deux. Je fus très honorée par ce geste et ces paroles, je venais d'acquérir la confiance de quelqu'un. Une amie de plus à Harvard, quelle formidable rencontre! Je laissais libre cours à ma joie en joignant mes mains sur ma poitrine : « C'est vrai? Oh merci infiniment! » Ellana continua en expliquant que ce lieu la reconfortait elle aussi quand elle s'y rendait. Elle me comprenait si bien, c'est fou! Je sentais déjà poindre les prémices d'une belle amitié. J'approuvais ce qu'elle disait par un vigoureux hochement de tête affirmatif; pour elle comme pour moi la musique semblait être une échappatoire au quotidien. C'est alors qu'Ella me proposa quelque chose qui me surpris et m'enchanta à la fois : si je voulais revenir jouer ici (ce qui était fort probable vu que mon grand-père ne m'avait pas laissé emporter le violon familial à Harvard) et que je me faisais attraper il me suffisait de dire que j'avais rendez-vous avez Ellana pour que l'on me laisse tranquille. Pour moi ça ne pouvait signifier qu'une seule chose : « Alors ça veut dire que tu est d'accord pour qu'on se retrouve ici de temps en temps pour discuter? » Mes yeux pétillaient de bonheur, je venais de me faire une nouvelle amie! Continuant sur ma lancée, je l'interrogeais : « Dis-moi, puisque tu viens souvent ici apparemment, est-ce que tu joue d'un instrument? » Je voulais tout savoir sur elle et les points communs que nous pourrions avoir.