Quand le téléphone sert à repérer un compatriote français ou pas (Nicholas)

Sweat de laine sur le dos, cigarette au coin de la bouche, un café dans la main, son sac qu'il avait en épaulière contre son épaule, Nicholas allait, non pas en cours, mais acheter ses manuels, histoire de commencer l'année. Son chauffeur venait de le reconduire dans le stationnement de la plus célèbre université au monde. Comme il marchait, il prit la cigarette pour la tenir dans ses doigts, tandis que son téléphone sonnait, il prit son téléphone de son autre main. C'était un ami de Montréal, au Québec, qui l'appelait pour lui demander un truc et c'est vrai que Nick lui avait dit qu'il lui donnerait un coup de main en la matière et que son ami pouvait l'appeler n'importe quand, alors c'est ce qu'il faisait. Le jeune homme discuta donc tranquille avec son ami, raccrocha et vint pour repartir, mais une fille l'interpella, apparemment, une Française. Lui parlait-elle en anglais ou en français? On va dire français! Après tout, elle venait de l'entendre parler pendant quelques minutes au téléphone, en français, elle devait en avoir déduit qu'elle pouvait lui parler français. Nick ne parlait pas français avec l'accent des Français de France, ou sans accent si vous préférez. Il avait un accent d'ailleurs, celui des Québécois, mais il croit savoir son français compréhensible quand même. Il reprit une bouffée de sa cigarette et observa Léa avec un petit sourire.

-Je m'appelle Nick et non, je ne suis pas Français, je suis du Québec, ou Canadien si tu préfères.

Déjà le tutoiement? Hey oui, d'où il vient, on ne vouvoie pas les gens bien longtemps, ou on ne les vouvoie pas du tout. Léa n'était pas plus vieille que lui, pas en apparence en tout cas, elle devait être dans la même tranche d'âge et il ne passait pas une entrevue pour un boulot alors... Son regard se précise sur la fille et eut un sourire en coin. Lui qui avait une cigarette à la bouche, c'était comique d'entendre la fille parler haut et fort de son mode de vie... vierge pour tout dire. Une sainte-ni-touche, une coincée, ne manquait plus que ça. C'était amusant.

-Léa, c'est ça? Écoutes Léa, j'ai l'air d'un type qui ne boit pas, ne fume pas et ne baise pas de jolies filles?

On sentait une certaine malice dans son regard. Visiblement, cela devait l'amuser de choquer. En tout cas, si elle voulait lui faire rejoindre un groupe de la virginité ou peu importe, c'était raté d'avance. Au moins, elle parlait en français et du coup, c'était plus distrayant. Si elle lui avait parlé en anglais, il aurait juste continué son chemin sans lui donner plus d'importance. Le beau brun ténébreux replaça la bandoulière contre son épaule et tira encore sur sa cigarette, prenant soin quand même de ne pas souffler la fumée sur la demoiselle.

Même s'il ne le montrait pas trop en ce moment, Nicholas est toujours heureux de tomber sur une personne francophone. Elles sont assez rares sur le campus, mais si le nombre d'Américains qui parlent français est relativement plus élevés ici qu'ailleurs, il demeure qu'ils ne sont pas toujours très à l'aise dans cette langue. Alors ouais, il était content dans un sens de rencontrer Léa. D'ailleurs, elle se montrait toute enchantée et sans même connaître le Mather, elle lui racontait pratiquement toute sa vie, c'est du moins ainsi que Nick voyait la chose.

-Bien félicitations, bienvenue à Harvard.

Il disait cela comme un réel bienvenue, il ne fallait pas y voir de sarcasme cette fois. Par contre, après, Léa jouait les emmerdeuses de service. S'il fume, c'est son affaire non? Puis bon, comparé à avant, il trouve qu'il a quand même réduit sa consommation, basketball oblige. La Française continuait de le vouvoyer, ce qui, pour une raison ou une autre, l'énervait plus qu'autre chose et en prime, elle en rajoutait et sous-entendait même qu'il devait se droguer. Elle le voyait comme un vrai délinquant, en même temps, il avait un peu joué à donner cette impression.

-Merci du conseil mère Thérèsa. Et si je comprends bien, tu me traites de drogué et de dépravé de la vie? Genre, j'étudie à Harvard, mais je suis un bon à rien selon toi, c'est ça? Tout juste bon à mourir jeune?

Le ton était plein d'invectives. Oui, il n'était pas très content de se faire sermonner sur sa façon de vivre en pleine rue, Française ou pas, sympathique ou pas, ce n'est pas le genre de chose qu'il laissait passer et puis, le petit "je ne te juge pas" affirmait tout le contraire. Miss parfaite ce croit à l'abri de tous démons? Elle a bien tord. Elle est à Harvard...

Nicholas admirait toujours comment des personnes que vous connaissez à peine peuvent parfois en venir à se confier à vous. De son côté, il était bien plus discret sur sa personne et n'était pas du genre à raconter sa vie au premier venu, même si celui-ci parle français. M'enfin, il pouvait comprendre que la séparation des sœurs ne devaient pas être facile. Il n'a pas de frère ni de sœur, mais il est capable d'imaginer et d'un minimum d'empathie également. N'empêche, cela l'amuse de jouer un peu les durs et il se contentait de tirer sur sa cigarette sans répondre à cette remarque.

Par contre, après, quand elle commence à faire toutes sortes d'hypothèse sur ce qu'il fait et ce qu'il ne fait pas, qu'elle lui suggère d'arrêter la cigarette, dans le genre "de quoi je me mêle?", c'était difficile de faire plus emmerdant et oui, Nick s'énerve un brin, ce qui est typique de sa part. Cette fois, il n'y avait plus de sourire du côté de la Française, qui se rétractait et tentait de s'excuser. Bon, c'est déjà mieux que ce qu'elle baragouinait avant. Nick, toujours plein de compréhension... eut alors une phrase assez tranchante. Pour la peine, il enleva la cigarette d'entre sa bouche et la garda entre ses doigts. De toute façon, elle achevait celle-là.

-Ouais bien au lieu de parler de choses et d'autres, t'aurais peut-être dû la fermer.

Fallait pas le chercher. Quel genre de fille avait-il en face de lui au juste? Une sorte de grano' qui veut sauver tout le monde? Une sainte-ni-touche? Une fille ambitieuse ou bien une demoiselle naïve qui n'a encore aucune idée de où elle a mis les pieds? S'il veut trouver une réponse à cette question, faudra qu'il fasse connaissance un peu. Nick lâche un léger soupir et balance sa cigarette pour venir l'écraser avec son pied ensuite. Vive l'environnement.

-Bon, je suppose que tu ne voulais pas mal faire. Aller, je te pardonne, mais seulement parce que t'es Française... Entre francophones, faut bien se serrer les coudes un peu.

Petit accrochage ce matin dans le parking de Harvard et ce n'était pas entre deux voitures, mais bien entre deux personnes. Faut dire que de son avis, Léa ne se mêlait vraiment pas de ses affaires et s'attirait les foudres du Mather, qui finit par frapper, verbalement bien sûr, il n'irait pas frapper une fille physiquement, jamais ça ne lui est encore arrivé. Il a peut-être déjà attrapé un poignet pour empêcher une deuxième ou troisième gifle, mais ça, seulement durant une dispute monumentale. De toute façon, dans le genre, il était plutôt pro-égalité homme-femme. De l'autre côté, avec son vouvoiement, sa "fausse" grandeur d'âme, son ton, son mépris et combien elle parlait de manière articulée, comme si cela la rendait supérieure, il était loin supporter Léa. Sa manière aussi de poser des questions comme si elle était le professeure et lui l'élève... Ça l'énervait au plus haut point.

-Bah je suis pour l'égalité homme-femme la grande, alors si une fille dit des âneries ou aurait mieux fait de se taire, je vais lui dire, je vais pas lui faire des courbettes.

Ah, une bonne vieille prise de becs en français, cela faisait un petit bout de temps que ça ne lui était pas arrivé, depuis cet été en fait. N'empêche, il se rétracte un brin, il n'avait pas envie que ça dégénère et que cela fasse la une du quotidien du campus, même si personne autour ne devait comprendre un traître mot de ce qu'ils échangeaient. Léa continuait de le vouvoyer et il sentait qu'il devait mettre fin à cette rencontre le plus vite possible.

-Ouais... Bon ben tu mexcuses han, mais je dois aller acheter mes manuels tout ça, c'est le rush de la rentrée.

La jolie brunette devait aussi avoir quelques trucs à faire non? Elle ne traînait sûrement pas dans le parking à la recherche de Français à emmerder? Quoique, ce ne serait pas surprenant!

Visiblement, ces deux-là avaient beau parler français, c'était probablement leur seul point commun. Léa s'efforçait d'être poli, de diminuer le ton, mais sa manière d'être et sa façon de parler énervait Nick, sans oublier toute la prémisse de ce qu'elle avait dit un peu plus tôt. Oui, il avait juste hâte de passer son chemin et il avait mieux à faire que de perdre son temps avec cette fille. C'est ce qu'il pense, après, on peut lui reprocher de le penser ou pas.

Bon, puisque Léa semblait contrariée, décidément, c'était chacun son tour, Nick fait un effort de civisme et baisse le ton, devient un peu plus agréable et conclut en disant qu'elle ne voulait sûrement pas mal faire, ce qu'elle confirme plus ou moins. En fait, comme lui, elle donnait l'impression de vouloir passer à autre chose et en prime, elle avait un cours d'ici quelques minutes, une justification encore meilleure que la sienne, ahah! Ceci dit, ce serait comique qu'ils aient un cours ensemble, mais ils n'étudient sûrement pas le même domaine. Nicholas est en admin et à entendre Léa parler comme une femme du XIXe siècle, elle étudie sans doute la philosophie ou la littérature. C'est ça, retourne lire "Orgueil et Préjugés"! pense-t-il.

-Merci... Bon ben, au revoir.

Sans attendre plus longtemps, il fait un petit sourire qui se veut une forme de politesse et reprend sa marche, d'un pas décidé et passe à côté de Léa. En chemin, il s'allumait une nouvelle cigarette et maugréait quelques trucs à lui-même. Foutu grano mère thérèsa qui veut sauver tout le monde...