Je préfère vous prévenir, mon histoire est des plus banales.
Je suis née en 1989, dans le quartier Sud-Ouest de Londres, entre Bayswater et Notting Hill. Oui, ce sont les quartiers chics de Londres. Oui, ma famille est plutôt aisée. Mais, il ne s’agit pas d’une famille posh comme toute les autres. Mon père bosse dans une banque, je crois. Il n’en a jamais beaucoup parlé. Ma mère quant à elle est directrice d’une agence de photographie. Mes parents sont des gens extrêmement cultivés, et ont toujours aimé voyager et découvrir des choses. L’intérieur de notre hôtel particulier près d’Hyde Park est plein de bibelots ethniques, d’instruments de musiques, de plantes, de vieux tissus et d’un nombre incroyable de bouquins, la bibliothèque occupant tout le dernier étage de la maison, sous les toits. C’est là que j’ai grandi, dans cette pièce au plafond percé de nombreux vélux, d’abord à regarder les images puis à lire les livres d’arts, d’ethnologie, etc. J’ai marché et parlé très tôt, selon mes parents. Après un test psychologique, il s’est avéré que je suis très intelligente, ce que, vous vous en doutez, je ne dis pas à tout le monde. J’ai toujours voulu être considérée comme quelqu’un de normal. Ce que mes parents ont parfaitement compris. Étonnamment, ils ont toujours été extrêmement compréhensifs. Leur philosophie est que j’ai le droit de faire ce que je veux, tant que je suis la meilleure ou l’une des meilleures dans le domaine. Ainsi, très tôt ils m’ont payé les cours de danse, de dessin, de théâtre, m’ont acheté les DVD des films cultes ou moins cultes que je voulais, les livres de cinéma, etc. Je dois reconnaître que je leur dois énormément dans la culture qui est la mienne aujourd’hui.
Cinq ans après ma naissance, mon frère, Saul (encore un prénom à consonance biblique), vint au monde à son tour, pour devenir absolument autre chose qu’un artiste (puisqu’il a toujours été passionné par les sciences et compte en faire sa carrière, mais après tout, dans ma famille, chacun peut faire ce qui lui plaît.)
Je suis allée à l’école comme tout le monde, et tant que j’avais des bonnes notes, on me fichait la paix. Quelque peu enfermée dans mon monde, je n’ai jamais eu beaucoup d’amis, mais je ne me suis jamais ennuyée, grâce à toutes les choses que je faisais en dehors. En entrant au collège je me suis rapprochée de quelques personnes, plus particulièrement d’un certain groupe, une fille et deux garçons (dont il peut être utile de préciser les noms : Julia, petite brune aux yeux verts, Arthur et Nils, d’origine hollandaise, et avec qui j’ai toujours gardé de très forts liens, encore aujourd’hui, bien qu’un peu moins étroits du fait de la distance), et finalement, nous sommes devenus tous très intimes, et avons appris à nous découvrir les uns les autres, avons mené maintes activités en toute parité. Malgré ça je ne me suis jamais totalement confiée, et j'ai toujours eu, et j'ai encore l'impression d'être encore et toujours seule, même au milieu d'une foule. J’étais très à l’aise avec eux, car aucun ne m’a jamais jugée, et ils ont toujours parfaitement respecté mes choix et mes idées.
Lorsque je n’avais pas envie de les voir il me suffisait de le leur dire. On peut considérer que je suis quelqu’un de très chanceux : j’ai le chic pour avoir parmi mes proches des gens tolérants et faciles à vivre. C'est une chance. Et il faut dire que de mon côté je ne le suis pas toujours. Disons que lorsque je commence quelque chose, je peux être obsédée par ça pendant des jours entiers : il est arrivé que pendant les vacances, je ne sorte pas de ma chambre pendant des jours, ou seulement pour manger, et mes parents n’ont jamais rien eu contre ça, chacun étant aussi dans son propre univers. En revanche, nous aimions, et aimons encore nous retrouver en voyage, pour découvrir des nouvelles choses. J’ai hérité de mes parents une soif infinie de culture et de dépaysement. Bien qu’ayant fait mes classes dans un collège et un lycée public, j’avais particulièrement envie d’aller dans une université réellement excellente. J’ai donc consacré ma dernière année au lycée à préparer l’entrée à diverses universités de l’ivy league. Dans le même temps, j’ai connu ma première histoire d’amour. Pas avec quelqu’un de la Meute (comme l’appelle ma mère), non, mais avec une fille rencontrée à la bibliothèque. M’étant toujours considérée hétérosexuelle, sans doute par défaut, je fus étonnée qu’elle me plaise autant, et de tomber amoureuse d’elle. Elle s’appelait Rose, était une grande blonde à la peau pâle et aux yeux clairs. Notre histoire fut éphémère, et après notre rupture j’eus une passade où je m’enfermais à la fois dans le travail pour ne plus penser, et je sortais et buvais beaucoup trop, pour oublier ma timidité. C’est ainsi, dans des circonstances plus que floues, que j’ai perdu ma virginité avec un quasi-inconnu. Après ça, pour l’une des premières fois et la dernière depuis, mes parents m’ont reprise en main. Ils m’ont rappelé mes objectifs, et ce qu’il fallait que je fasse pour les atteindre.
La Meute aussi m’a beaucoup aidée à me remettre. J’ai pu retrouver la vie d’avant, et finalement, passer l’examen d’entrée de plusieurs universités prestigieuses. Je fus prise à Harvard, et célébrais ça dignement. Une de mes rares véritables beuveries. Jusqu’alors en tout cas. J’entre donc à Harvard en Arts visuels (option études cinématographiques et histoire du cinéma) en majeure, et théâtre en mineure. Cela ne m’empêche pas de continuer mes activités artistiques, de plus en plus nombreuses. Je me suis fait quelques amis, même si je passe, il faut le dire, le plus clair de mon temps soit dans les clubs auxquels j’appartiens, soit dans ma chambre ou sur le campus, toute seule, à lire, dessiner, jouer de la guitare ou du piano, ou regarder des films. J’ai la chance d’apprendre vite, et de faire des matières qui me passionnent : je suis donc toujours parmi les premiers de ma promo, je m’investis pas mal dans la vie du campus, et le théâtre m’a permis de m’affirmer un peu et de dépasser un peu ma timidité et ma misanthropie habituelle. Disons que je suis quelqu'un qui est toujours là pour aider, qu'on voit sans cesse au fond du décor, qu'on entend en fond sonore, mais à qui on ne s'intéresse jamais vraiment au delà du rôle au théâtre ou de l'information donnée.
J'ai eu ma première migraine à 13 ans; j'ai cru que j'allais mourir. Je me souviens l'hôpital, le scanner, ma mère qui pleurait, les médecins. Depuis, j'ai des visites de ces choses dans ma tête souvent, irrégulièrement. Ça me paralyse alors. Parfois pour quelques heures, parfois pour plusieurs jours. Le plus souvent j'essaie de vivre quand même mais je suis obligée parfois de mettre ma vie en pause. Il faut alors que je m'enferme dans le noir et dans le silence jusqu'à ce que ça finisse. Je ne mange pas, je ne dors pas. j'attends. Il s'agit en fait d'une déformation des capillaires qui se trouvent dans le cerveau. Sans traitement on peut mourir à tout instant. Tous les cachets qu'on peut prendre éloignent les risques, mais ne peuvent éviter des crises de céphalée plus ou moins fréquentes. Alors je souffre en attendant le traitement miracle qui me fera aller mieux. Le plus important c'est que normalement, je ne mourrai pas d'une hémorragie cérébrale. Du moins pas avant quelques décennies. Mais à cause de ça je supporte mal le soleil, la chaleur, la moiteur, le brouhaha. Pour le reste je me débrouille.
Je retourne assez souvent à Londres, pour les vacances, surtout celles pour les fêtes familiales ou religieuses. Pas que la religion soit importante à mes yeux, mais être avec ma famille l’est, d’autant que je n’ai pas souvent l’occasion de les voir. Finalement je me plais bien ici, même si je ne suis pas sûre de rester vivre aux Etats-Unis après mes études. Mais ce qui est sûr c’est que je vais me faire quelques amis supplémentaires d’ici à l’obtention de mon diplôme. L’incident qui a eu lieu avec la bombe, qui a fait des morts et des blessés et m’a beaucoup choquée, a permis aussi un certain rapprochement qui me sera sans doute bénéfique, malgré ma difficulté à me rapprocher des autres, particulièrement quand je n’ai pas d’excuse. Finalement je me dis qu’arrivera ce qui doit arriver, et si je dois avoir des relations, je veux dire, autrement qu’amicales, cela aura lieu, même si je ne suis pas habituée à faire de vagues avec ma vie amoureuse, malgré une ou deux vraies relations et quelques histoires sans véritable lendemain, enfin à peu près comme tout le monde. Je ne parle pas beaucoup, je suis assez solitaire même si j'ai des amis, mais ça ne veut pas dire que je n'ai pas de sentiments et que la weirdo n'entend pas quand on se fout d'elle derrière son dos. Ça ne veut pas dire non plus que je n'aimerais pas rencontrer quelqu'un avec qui être moi même, quelqu'un avec qui construire des blankets forts et regarder des vieilles séries ou parler d'aliens.
Finalement, je suis quelqu’un d’assez banal, quand on ne me connaît pas intimement.