Ciera Hale s'appelle en réalité Asha Eova-Tessier. Elle n'est pas née à Chicago, mais à New-York. Elle n'est pas fille unique, elle a une sœur jumelle. Il y a deux ans à peine, l'existence entière de la jeune femme était un mensonge. Un énorme mensonge.
Ciera a été élevée par Harry et Katherine Hale, un bibliothécaire et une infirmière, à Chicago. Un couple tout à fait charmant, qui aimait leur fille, lui offrait tout ce dont elle avait besoin – entre autre beaucoup d'amour – et la connaissait « comme s'il l'avait faite », pour reprendre l'expression populaire. A un détail prêt ; il ne l'ont pas faite, justement. Elle n'est pas leur fille biologique, comme ils le lui ont laissé croire pendant dix-neuf ans. Elle n'est même pas leur fille adoptive, en réalité. S'ils ont eu l'occasion de l'avoir avec eux dès sa naissance, de l'élever, de la chérir, de l'aider, c'est parce qu'ils l'ont enlevée alors qu'elle n'était encore qu'un nourrisson. Plus précisément, Katherine a profité de son poste d'infirmière à la maternité pour arracher le bébé à sa famille et l'emmener avec elle. Elle, Harry et Asha, rebaptisée dès lors Ciera, ont quitté New-York pour s'installer à Chicago.
La petite fille a eu une enfance plutôt normale. Elle ne s'est jamais imaginé une seule seconde que Katherine et Harry ne pouvait pas être ses vrais parents. Ils étaient très présents, toujours à l'écoute, prêts à faire n'importe quoi pour qu'elle soit heureuse. Évidemment, elle n'avait pas les derniers jouets ou des vêtements de marque, parce qu'ils n'avaient pas des salaires très élevés, mais elle n'a jamais manqué de rien. Sociable, elle a toujours eu beaucoup d'amis autour d'elle, surtout parce qu'elle avait tendance à se sentir seule. Elle aurait voulu un frère ou une sœur avec qui passer du temps en rentrant chez elle, mais ce n'était pas le cas, alors elle profitait de l'école pour passer du temps avec pleins de pleins de gens.
L'adolescence à, somme toute, été aussi simple que l'enfance. Élève assidue au collège, puis au lycée, elle a toujours eu de bonnes notes. Elle s'est tournée vers une filière littéraire et a obtenu son bac avec mention très bien, sans aucune difficulté. Jolie mais discrète, elle était loin d'être un bourreau des cœurs. Intelligente, très vite mature et responsable, elle s'est rapidement entourée d'une bande qui lui ressemblait. Elle et ses amis n'étaient pas les plus populaires du lycée, et ils s'en fichaient, d'ailleurs. Féministe, militante active et engagée, elle passait plus de temps dans les manifestations que dans les boîtes de nuit – où elle n'avait jamais mis les pieds jusqu'à récemment, par ailleurs. Pendant son année de terminale, elle est partie en mission humanitaire au Burkina-Faso avec une association qui avait fait appel à son lycée. Pour résumer, Ciera est loin d'être une fainéante, de même qu'elle est loin d'être égoïste.
Elle avait un peu plus de dix-neuf ans lorsqu'elle a découvert la vérité. Ses parents avaient décidés, un samedi matin, sur un coup de tête, de faire le tri dans toutes leurs affaires et Ciera, qui était revenue de l'université de New-York pour le week-end a naturellement proposé son aide. C'est dans le grenier, entre un carton de vêtements datant des années 80 appartenant à sa mère et la collection de vinyles de son père que la vérité à pointer le bout de son nez sous la forme une petite boîte en fer. Curieuse de savoir quels nouveaux secrets elle allait trouver sur le passé de ses parents – elle avait bien ri en trouvant les robes fleuries de Katherine et si elle pouvait trouver autre chose pour charrier ses parents, elle n'allait pas s'en priver – elle a donc jeter un œil à ce que contenait cette petite boîte, sans se douter, bien évidemment, que sa vie allait prendre un tournant. Un bracelet de naissance, un journal avec à la une deux bébés et un titre à effet choc « alerte enlèvement : la petite fille toujours introuvable ». Pourquoi ses parents avaient-ils cela? En se penchant sur l'article, elle comprit. Le couple Eova-Tessier avait eu deux jumelles, l'une avait disparue, enlevée à la maternité, sûrement par une infirmière qui avait elle aussi disparue de la circulation avec son mari. C'est en se penchant sur la photo illustrant l'article que Ciera a remarqué la tâche de naissance sur le bras droit de l'un des bébés, celui qui avait disparu. Le bracelet de naissance au nom d'Asha Eova-Tessier a fini de la convaincre de ce dont elle commençait à se douter, sans pour autant réussir à l'accepter. Elle n'était pas Ciera Hale. Elle était Asha Eova-Tessier.
Le soir-même, elle faisait sa valise, emportant dans ses affaires la petite boîte en métal. Le lendemain matin, elle était partie. Du fait de ses études, elle louait un appartement à New-York, ce qui a facilité ses recherches sur sa famille biologique, dont elle a rapidement retrouvé la trace. Mais avant de rencontrer ses vrais parents, elle voulait commencer par faire la connaissance de sa sœur dont elle avait été séparée déjà bien trop longtemps. Ciera qui s'était toujours sentie seule, au fond d'elle, se découvrait une sœur jumelle. Est-ce que cette jeune femme qui se nommait Nevada était au courant de son existence? Elle n'en savait rien. Mais elle avait besoin de savoir qui elle était, et comment elle était. Elle apprit que sa sœur étudiait les sciences et l'histoire à Harvard grâce à internet et qu'elle était même présidente d'une maison. Harvard. Présidente. C'était, pour Ciera – qui avait du mal à se faire à son « nouveau » (ou plutôt ancien) prénom – plutôt impressionnant. Elle qui avait été élevée dans un milieu modeste n'avait jamais osé rêvé à des études dans un endroit aussi prestigieux. Mais elle se retrouva, sans trop savoir comment, à faire un dossier de demande d'admission pour la rentrée scolaire suivante. Son « CV » d'étudiante était convaincant, du fait de ses résultats excellents pendant toute sa scolarité au lycée, de l'obtention du bac avec mention très bien, des stages qu'elle avait fait et des nombreuses activités et connaissances qu'elle avait en parallèle. Elle fut donc admise à Harvard en tant que boursière et intégra l'université à la rentrée 2011.
Cela prit un an à Ciera pour être capable d'aller voir Nevada. Elle en avait envie, mais elle avait peur. Ce serait un énorme chamboulement pour toutes les deux. Et si Nevada ne voulait pas la connaître? Elle se concentra donc sur ses études, mais s'appliqua aussi à rencontrer du monde. Elle retrouva quelques amis perdus de vue. Finalement, à la fin de l'année, elle était parfaitement à l'aise, le campus était devenue sa maison et elle aimait bien tout le monde. Elle observait sa sœur de loin, se trouvait quelques points communs avec elle, échafaudait des plans pour enfin avoir le courage d'aller lui parler. Et finalement elle osa. Les deux jeunes femmes se ressemblant énormément sont presque immédiatement devenues fusionnelles. Après tout, elles avait vingt-et un ans à rattraper, ce n'est pas rien.
Aujourd'hui, Ciera va bien. Elle a revu ses « parents d'adoption » contre qui elle est toujours très en colère, mais elle comprend ce qui les a poussé à l'enlever ; ils étaient désespérés. Elle n'a pas encore rencontrer le couple Eova-Tessier, sa vraie famille donc, elle préfère attendre encore, elle ne sait pas très bien pourquoi. C'est une Quincy épanouie, comme Nevada, elle se plaît à aider les gens autour d'elle. Elle travaille comme une dingue, étant boursière elle n'a pas le choix mais cela ne la dérange aucunement ; ses études la passionnent. Elle sait aussi s'amuser, il ne faut pas croire – la fille déchaînée après trois verres en boîte, c'est elle. Pour résumer, elle vit pleinement sa vie de jeune femme.