Décembre 1990. Un hiver glacial s’était abattu sur la ville cette nuit-là. Un des pires hivers de la décennie. Le pire, c’était tous ces pauvres gens qui n’avaient pas un endroit à s’abriter. Parmi eux, une jeune femme d’une vingtaine d’année. Et enceinte de neuf mois. Elle s’était retrouvée à la rue dès qu’elle avait appris sa grossesse – ses parents l’ayant foutu purement et simplement à la porte. Quant au père ? N’en parlons même pas. Lui qui a toujours clamé – haut et fort – que cet enfant n’était pas son affaire. Elle avait beau essayé de parler à ses parents pour qu’il la reprenne, en vain. Elle avait donc pris la décision de quitter son petit patelin natal pour rejoindre Londres. Elle n’y connaissait personne. Ce n’était certes, pas un problème. Le plus important pour elle, était de se trouver un travail – et vite. Mais comment en trouver un quand on attend un enfant ? Elle avait d’ailleurs essayé pas mal de refus à cause de ce seul fait. Elle avait fini par en dénicher un à force de détermination. Un gars rencontré au coin d’une rue lui avait proposé un poste de vendeuse. Elle avait pu du coup trouver un logement. L’essentiel était assuré comme elle le pensait réellement. Seulement quelques mois plus tard, la boutique ayant fait faillite – et n’ayant plus de quoi payé son loyer – elle s’était de nouveau retrouvée à la rue. Elle était alors enceinte de cinq mois. Pour ne pas rester sous les ponts, elle s’était débrouillée comme elle le pouvait – allant même jusqu’à squatter de vieux immeubles désaffectés. Au moins, elle avait eu un toit sur la tête. Et puis, elle avait aussi pu compter sur quelques autres démunis pour l’épauler. Sans cela, elle n’aurait certainement pas pu s’en sortir. Même si pour cela, ils devaient avoir recours au vol. Comment auraient-ils pu faire en même temps ? Ils n’avaient pas un rond sur eux – et personne ne voulait d’eux pour travailler. Et comme, elle ne voulait pas à avoir recours aux associations – ayant assez de fierté – elle n’avait pas hésité une seconde. Leur affaire avait duré quelques mois avant que la vie de la jeune femme prenne une tournure des plus dramatiques. Venant en effet de donner naissance à son enfant, elle n’avait pas eu d’autre choix que de le déposer dans la boite à bébé d'un hôpital de la capitale anglaise. Un déchirement pour la jeune mère, mais elle avait surtout pensé à son fils. Quel avenir aurait-il pu avoir si elle avait décidé de le garder ? Aucun. Elle le savait bien...
Les années ont passées. L’enfant a depuis été adopté par une riche famille catholique. Sa mère biologique avait pensé qu’en l’abandonnant, elle le destinait à une vie meilleure. Il n’en était rien hélas. Il ne fut pas malheureux pour autant. Enfin du moins les premières années. Mais disons que depuis tout petit, il a toujours senti comme un manque en lui. Une présence invisible mais dont il ne parvenait – néanmoins – pas à s’approcher. Il y avait des moments où il se sentait atrocement seul… à l’école… comme chez lui. Et les choses ont empirées dès que sa mère adoptive mourut. Il avait onze ans. C’est à ce moment là que les choses prirent une tournure dramatique pour lui – comme pour son jeune frère, né deux années après son adoption. Noyé par le chagrin d’avoir perdu sa femme, le père ne s’occupait plus guère de ses enfants. Il passait le plus clair de son temps dans le bar de leur quartier. Lorsqu’il rentrait à la maison, c’était bien évidemment ivre. Et il y avait intérêt que tout soit bien en ordre, sinon il ne se gênait pas de leur donner une bonne correction. Chose qui arrivait assez souvent malheureusement. Il se braqua très vite contre l’autorité de son père adoptif. D’autant plus qu’il n’avait eu de cesse de lui ordonner de suivre une voie qui ne souhaitait pas du tout suivre. Sous prétexte que dans la famille, on se devait de perpétuer les traditions. Aussi, avec le temps, il avait fini par ne plus le supporter. Leur calvaire avait duré en tout trois ans avant que Wesley ne songe à quitter le domicile. Seulement, il ne pouvait pas laisser son frère seul avec ce rustre. Il le prit donc avec lui et c’est ensemble qu’ils partirent s’installer chez un oncle, à Westminster. A partir de là, les choses n’ont fait que s’améliorer pour eux. Quand au père, c’est à peine s’il avait pris le soin de les retrouver. A croire qu’il n’avait que faire de savoir si sa progéniture allait bien. Mais en même temps, c’était tant mieux. Une nouvelle vie s’ouvrait à eux… et ils ne comptaient plus laisser quiconque la gâcher.
Deux ans après le cours de leur existence avait recommencé. Une nouvelle vie entamée. De nouveaux liens créés… de nouvelles amitiés développées. Tout allait pour le mieux. Pourtant une ombre continuait, cependant, à illuminer le cœur de l’adolescent. La recherche des origines. Ce besoin intime de connaître d’où l’on vient. Wesley le ressentait plus que jamais. Pressant… oppressant parfois même. Il avait alors comprit que le vide ressenti quelques années auparavant, n’était en fait que le manque de sa mère biologique. Bien sûr il aimait sa mère adoptive, mais elle n’a jamais pu combler ce gouffre immense. Le besoin de le combler s’était alors fait sentir. Sa quête venait de débuter. Un détail à rappeler. Ce fût lors d’une dispute avec son père adoptif que son adoption avait éclaté au grand jour. A la fois brutale que soudaine. Une révélation qui avait fait été comme une onde de choc dans l’esprit du jeune garçon de l’époque. Et depuis, il n’a eu de cesse de creuser un peu plus chaque jour. Pour cela, l’aide de son oncle, généalogiste, lui avait été d’un grand secours. Cependant, qui peut dire ce qu’il ressentirait à l’idée de la revoir un jour ? De la joie… de la colère… tout se mêlait en lui… le fait est qu’il avait besoin de savoir, de comprendre les raisons de son abandon. Seize ans. Pendant seize ans, il avait appris à vivre sans elle. Il s’était construit seul… ou presque. Il avait su vivre avec ce manque, malgré tout. Il aurait pu même ressentir de la colère à juste titre. Après tout, en seize ans, elle n’a quand même pas donné signe de vie. Il pourrait lui en vouloir pour cela. Mais non. Plus les années passaient et moins il ne parvenait à vivre sans connaître ses origines. Qui suis-je ? Le genre de question qui tournait sans cesse. De plus, la seule information en sa possession constituait une bien maigre consolation.
Il s’en est passé du temps depuis. Après de brillantes études secondaires, Wesley avait fini par obtenir son diplôme avec mention. Une grande satisfaction pour son entourage. Pour lui surtout. Un peu moins pour son jeune frère qui était triste à l’idée qu’il s’en aille à l’université, aussi loin surtout. Mais il comprenait la raison. Ses recherches, entreprit quelques années plus tôt, avaient bien avancées. Trop bien même. Et il était important qu’il s’y rende. Il avait en effet apprit que sa génitrice vivait à présent aux États-Unis. Une bonne raison d’aller étudier au pays de l’Oncle Sam donc. Malheureusement, il n’avait pu avoir les réponses à ses questions. Jamais. Elle était morte et enterrée quelques semaines avant qu’il n’arrive. Quand le destin décide de s’en mêler ! La vie continuait quand même. Certes, il n’avait pas pu la revoir… avoir des réponses… mais il était quand même parvenu à retrouver sa trace. Le temps fera le reste. C’est en tout cas, ce qu’il se disait. Et puis, la vie est trop courte. Elle aurait de plus certainement aimé qu’il vive sa vie, sans se préoccuper trop du passé. Ce qu’il s’efforçait de faire depuis qu’il était sorti du joug de l’autre salopard. Puis, il avait retrouvé son père. Un peu par hasard. Et même si les retrouvailles n’ont pas été de tous repos, ils ont fini par s’apprivoiser. Ils n’en demeurent pas moins proches quand même. D’autant plus qu’ils ne se voient que peu souvent.