Ce que vous n'avez jamais eut ne peut pas vous manquer. Ainsi, alors qu'il partageait la chambre de son frère jumeau, Maël ne ressentait pas le sentiment oppressant d'être un hamster coincé dans sa cage, sentiment qui l'habiterait peut-être désormais s'il devait revenir en arrière maintenant qu'il a connu les grands espaces et le sentiment d'intimité. De son enfance, Maël a gardé de nombreux souvenirs rendus assez douloureux par l'absence de son frère dans sa vie désormais. (le simple fait de penser à Noa suffit à lui bousiller le moral) Ses parents ne roulaient pas sur l'or lorsque les jumeaux virent le jour. Une femme de ménage, un livreur de journaux, pas de quoi faire vraiment rêver, cependant, si certains mariages dans la haute société se font sans que le moindre amour soit présent, de l'amour, il y en avait vraiment entre les Thomas. (Et il y en a d'ailleurs toujours) Comme dans tous les couples, il y avait cependant des disputes et Maël se souvient d'être resté assit en tailleur sur son petit lit couvert d'une couette aux couleurs délavés, feuilletant une revue, alors que des éclats de voix de ses parents lui parvenaient. Parfois le ton montait, mais au bout de quelques minutes, il faisait toujours par se faire plus doux. La vie n'était pas parfaite et Maël éprouvait une jalousie tenace en voyant des gamins bien mieux lotis que lui alors qu'il devait se satisfaire des plaisirs simples que lui permettaient ses parents. Il trouvait ça profondément injuste et éprouvé parfois un sentiment lourd de colère envers tout le monde. Cette colère finissait toujours par se dissoudre. Puis un jour, un tournant et cette colère fut aspirée tout au fond de Maël.
Comme toutes les semaines, Maël était assit dans un bar, installé à la droite de son père tandis que son frère jumeau se trouvait de l'autre côté, à sa gauche. Maël sirotait son soda sans conviction, las de sa petite routine. C'était un moment agréable au cours duquel les hommes Thomas se retrouvaient seuls, un moment sympathique que le jeune homme affectionnait d'ordinaire, pourtant Maël était lassé de sa routine. Tous les évènements de sa semaine étaient assommant de prévisibilité. Le blond avait l'habitude de répéter les mêmes actes et s'il n'en faisait pas de même avec les paroles, pour lui c'était tout comme. Comme d'habitude, ils se trouvaient installés en face du petit poste de télévision. Les numéros jouaient par son père, Maël les connaissait par coeur et pour cause : ils faisaient toujours les mêmes. Face aux appréhensions de ses fils, il rétorquait toujours que de cette façon, il finirait un jour par gagner, qu'ils le verraient bien le moment venu. Maël avait hérité le côté rêveur de son paternel : aussi loin qu'il était capable de s'en souvenir, il avait toujours rêvé de journaliste. Parmi ses plaisirs de la semaine, il adorait camper devant le marchand de journaux, feuilletant en ce dernier, épluchant l'actualité même quand, dans un premier temps, il ne comprenait pas tout ce qu'il lisait. Ce rêve semblait hors d'atteinte, pourtant il ne parvenait pas à s'en défaire, s'y accrochant de toutes ses forces. C'est parti... Commenta son père. Maël reposa son verre en regardant l'écran. Un premier nombre. Son père avait visé juste. Pour le suivant aussi. Pour le suivant également. Encore. Encore. Encore. Il en resta bouche-bé. Ses oreilles se bouchèrent et il traversa le moment comme dans un songe, inébranlable, intouchable. Ce n'était pas possible, il devait se trouver en plein dans l'imagination de son père. Un cri de victoire et Maël revint à lui, encore bouleversé. Il croisa brièvement le regard de Noa qui semblait tout aussi ébahi. Alors qu'il s'apprêtait à ouvrir la bouche pour dire quelque chose et sortir ainsi de son mutisme soudain, son père le serra dans ses bras après en avoir fait de même. Maël laissa son père ébouriffé affectueusement ses cheveux blonds. Sa main tremblait un peu. Lui aussi était sous le choc. C'était une chose d'avoir la conviction qu'un évènement cela se produirait, mais cela en était une autre de voir l'évènement en question se réaliser. On est riche. Balbutia Maël, sa voix vidée de toute l'assurance qu'elle trahissait pourtant d'ordinaire. Sa vie venait de changer en l'espace d'une poignée de minutes.
Le déménagement eut lieu dans les jours qui suivirent. Ce fut comme évoluer dans un rêve et malgré, le caractère encore irréaliste de la situation aux yeux de Maël, il fallut bien avancer et envisager un futur différent, plus confortable que la vie jusqu'ici. Maël et son frère durent quitter leur maison, leurs amis aussi et si ce fut déconcertant et difficile, ils savaient pertinemment tous deux que les jours futurs allaient être meilleurs. Leurs parents qui jusque là ne pouvaient pas se permettre de prendre un peu de bon temps ou des vacances plus longues que quelques jours pour subvenir aux besoins de leur petite famille, allaient désormais pouvoir passer plus de temps à la maison. La jalousie de Maël avait disparue, évincée par l'espoir d'une vie meilleure, plus douce et agréable. Des deux jumeaux, Maël était le plus fonceur, le plus sociable, ainsi n'était-il pas inquiet de recommencer en quelque sorte sa vie à zéro, qui plus est il y avait toujours son frère, son double, sa moitié. En dépit de toutes leurs différences, ils demeuraient inséparables, comme indissociables l'un de l'autre, depuis toujours. Maël ne voyait aucune raison pour que cela change. Ils n'envisageaient pas la vie de la même manière et Maël avait une façon d'agir plus ou moins radicalement opposée à celle de Noa, mais peu importe. Il aurait été capable de se couper un bras pour son frère. Rien n'avait changé. Une fois à Boston, Maël eu le sentiment enrichissant de revivre. La vie n'était pas non plus parfaite, mais il fallait bien avouer qu'elle se rapprochait sensiblement de l'image de Maël de la perfection.
Ayant quitté le Bronx vers l'âge de treize ans, Maël devint un jeune adolescent, plein de vie et toujours désireux de passer du temps à l'extérieur. Il n'a jamais beaucoup apprécié de se retrouver 'coincé à l'extérieur'. Ce sentiment l'étouffait, sentiment bien paradoxale vu qu'il avait vécu de façon bien plus 'condensée' jusque-là. Maël développa une passion pour les sports en parallèle à celle le dévorant depuis la petite enfance. (c'est à dire le journalisme) Très bon nageur, il a également pratiqué tous les sports impliquant un ballon et s'est toujours avéré plus doué. Vif, rapide et fervent amateur de la compétition, Maël est en revanche un très mauvais perdant et ce dans tous les domaines et depuis toujours. (Nombreux furent les fois ou il boudait après avoir perdu à un jeu de société) Ses parents le firent entrer plus tard dans un lycée réputé. Jusque là habitué à des établissements moins sélectifs, Maël se retrouva en compagnie d'adolescents de son âge ayant pour la plupart toujours menés la vie qui était encore nouvelle pour lui. Se fondant dans la masse jusqu'à se sentir comme un véritable poisson dans l'eau, il s'est aisément adapté. Toujours entouré de son frère et de ses amis, Maël eut une adolescence heureuse quand bien même il y eut quelques ratés. Légèrement fainéant sur les bords et intéressé par peu de choses en dehors du journalisme et des sports, Maël n'a jamais été un élève très studieux. Loin d'être un cancre cependant, il est toujours parvenu à garder un niveau correct, évitant ainsi des disputes lors de l'arrivée des bulletins scolaires au domicile des Thomas.
A l'âge de dix-huit ans, enfin, arrivera le moment pour les jumeaux d'intégrer une université et leur choix se porta sur la prestigieuse université d'Harvard. Plusieurs choix à faire, choix que Maël fit comme à son habitude avec aisance. Assez arrogant et un brin insupportable, il n'en était pas moins un garçon foncièrement gentil et prêt à tout pour ses proches, c'était du moins ce que l'on découvrait à propos de lui si on parvenait à pénétrer le cercle de ses proches. La vérité à propos de Maël, c'est qu'il aboie pas mal, mais qu'il ne mord pas. Parfaitement conscient de ses charmes, de ses atouts, sûr de son physique et rendu fort par ses conquêtes passées, Maël est particulièrement dragueur. Il n'a jamais dit je t'aime à une fille en le pensant vraiment. Ce n'est tout bonnement pas pour lui : il ne veut pas se voir attribuer des surnoms tartes comme lapinou ou poussin, il ne veut pas avoir à jouer les princes charmants et à rivaliser de romantisme pour combler une fille. Il ne veut pas de tout ça. Les femmes, il les aime : des créatures magnifiques, très différentes des hommes, mais c'est bien là ce qui les rend si désirables. Rejoindre les Winthrop, cela lui sembla tout naturel. C'est dans les lignes décrivant les critères à respecter pour rejoindre les rouges qu'il se reconnu le mieux et il fut ravi de venir grossir leurs rangs. Maël n'a jamais voulu changer de confrérie et si aujourd'hui, il a bel et bien quitté les Winthrop, ce n'est pas par lassitude. Sa raison est plus profonde, plus acceptable et plus douloureuse aussi.
Maël respirait bruyamment, un gros sac marin posé en travers de son lit. Il se trouvait dans sa chambre chez les Winthrop et était en train de profiter de l'absence de son colocataire pour ranger toutes ses affaires et quitter le campus. Il ne pleurait pas en publique, mais pour une fois, respecter cette interdiction formelle imposée par lui-même n'était pas chose aisée. Il devait quitter le campus et ce vite, sans avoir à répondre à des questions. Il ne se sentait pas capable de formuler la moindre réponse, la moindre explication. Noa n'était plus là. Les souvenirs de Maël étaient brumeux : il ne se souvenait pas avec exactitude de la dernière conversation qu'il avait eu avec son frère, des derniers mois qu'il lui avait adressé, de la dernière fois qu'il l'avait vu. Certains bâtiments du campus étaient encore abimés, en pleine réparation, grouillant du souvenir terrible des bombes explosant sur le campus. Maël ne pouvait pas vivre ainsi. Après avoir enfoncé une derrière pile de tee-shirt dans son bagage, il referma la fermeture éclaire d'un coup sec et attrapa le sac avant de quitter la pièce, bien résolu à mettre les voiles.
Ne se sentant pas capable de continuer à mener sa vie à Cambridge sans son frère, Maël quitta l'université s'en informer qui que ce soit de son départ, ne donnant plus le moindre signe de vie quelques jours après l'attentat. Il se savait recherché bien sûr, les gérants de l'université ayant indirectement la responsabilité de leurs étudiants. Maël s'installa à Winchester en Virgine. Il évita les appels et textos de son entourage, devant gérer toute sa culpabilité grandissante, notamment à l'égard de ses parents. Il ne se sentait pas la force de renouer avec qui que ce soit, tout en étant incapable pour autant de cesser de penser à ses proches. Ainsi joue-t'il souvent avec sa gourmette, qui n'est autre que celle de son frère disparu, lorsqu'il est pensif, c'est à dire la plupart du temps. (Ils se les étaient échangés par le passé, comme en gage de leur amitié et de leur relation fraternelle des plus fortes.) Si son héritage lui aurait permit de se tourner les pouces en attendant de se remettre, Maël décida qu'il n'était pas dans son intérêt de rester dans son appartement à se torturer avec des souvenirs rendus particulièrement douloureux par l'absence de Noa dans sa vie. Il fréquenta avec assiduité un club de sport à quelques pas de chez lui afin de se vider un peu la tête (sans grand succès, malheureusement) et décrocha un job d'assistant journaliste. Encore aujourd'hui Maël se passionne de son travail qui colle à ses attentes dans ce domaine et ce depuis bientôt cinq mois. La perte de son frère lui est toujours aussi douloureuse, cependant, la plaie semble se cicatriser un peu, ainsi, Maël commence à songer à faire son retour à l'université. Prêt à revenir, il est même retourné à Cambridge quand bien même cette ville déborde de souvenirs de moments heureux avec Noa. Il veux aller de l'avant, reprendre ses cours et recommencer à travailler plus tard. Cependant, la vie semble vouloir lui mettre encore des battons dans les roues. Lui qui s'efforce de faire le deuil de son frère va être déstabilisé par la vue de ce dernier, dans un fauteuil roulant. Comme si la vie, après leur avoir donner un coup de pouce, semblait décidée à les punir, Maël va aussi apprendre que son frère a perdu la mémoire et a développé un sentiment de conviction qu'il est Maël.