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« Because I Love Alcohol. »
L'alcool apaise ma souffrance
L'alcool est pour moi comme une délivrance
♪
- Courir. Déroutée, juste ainsi, sans savoir où les pas précipités et désespérés peuvent mener. Allonger sa course sans regarder autour, confinée dans l’obsession qui ne veut quitter l’esprit, aveuglant de la sorte tout le reste, qui, dans ces instants, n’a plus aucune importance. Entendre simplement le bruit fracassant des chaussures martelant le sol avec frénésie et l’écho ricochant sur les murs de l'université. C’est de cette façon que Nyssa traversait les longs boyaux de la structure. Sa respiration haletante aux consonances sifflantes, presque asthmatiques, rythmait l’envol de cet oiseau noir, filant avec vivacité tout en laissant un nuage de malaise derrière lui. Elle avait mis un certain temps avant de comprendre qu’il ne s’agissait que d’un rêve. Et que ce dernier, à la place de s’enfuir peu à peu, gonflait ostensiblement et l’oppressait. Des images résiduelles défilaient devant ses yeux clos ou ouverts, mais trop rapidement pour pouvoir être déchiffrables. Et des paroles musicales obsédantes l’envahissaient, se répétant avec une clarté presque insupportable. Sanchez se sentait perdue et, ne sachant que faire pour affronter cela, elle s’était élancée sur les sentiers déformés qui menaient près de la rivière. Elle n'arrivait plus à avaler sa salive, tout restait coincé dans sa gorge trop serrée à en être nauséeux. Pourquoi se sentiment de solitude l’envahissait-elle ? Être seule ne l’avait jamais dérangée, elle trouvait cela fort agréable parfois. Il s’agissait certainement de ce rêve indéfinissable. Sans trop savoir dans quelle direction aller, elle marcha à la façon d’une marionnette, comme manipulée par des fils invisibles. Les flash persistaient et les chansons se mélangeaient. Un sentiment de vide l’enveloppait doucement. Soudain, elle arrêta nettement sa course folle et éperdue. Elle s’arrêta pour réfléchir de manière sensée. Peut-être vivait-elle encore dans le rêve. Peut-être n’était-il pas terminé. Peut-être que la soirée alcoolisée d'hier avait laissé quelques séquelles. Nyssa avait l’irrésistible désir de s’éveiller en sursaut. Pour se rassurer, elle regarda attentivement autour d'elle. Les lieux étaient déserts. En écoutant attentivement, elle ne perçut aucun son, hormis sa propre respiration convulsive. Dans les rêves, parfois, il n’y avait personne. Ceci constituait un petit argument pour la convaincre qu’elle était encore enfermée dans son sommeil. Et pourtant, le réalisme environnant était beaucoup trop troublant pour être négligé. Inspiration brusque et foudroyante qui la fit tousser bruyamment. Extirpant alors de ses entrailles une fumerolle neigeuse due au degré élevé de l'alcool qui contrastait avec l'air d'une flegmatique fraicheur. Smog blanchâtre, vapeur livide d'un corps en perdition. Impatience du temps qui se mettait en suspension, démangeaisons extrêmes d'un désir de se déplacer, de se remuer les fesses. Altruisme et résignation. Elle avait fini par arrêter de réfléchir, de se fatiguer à penser. À songer à tellement de chose en un même instant que son esprit terminait par en être brouillé et engourdi.
Le lent et éphémère défile des heures se muant en journées et devenant inéluctablement des mois pour finalement devenir des années et puis misérablement terminer en poussière parmi les décombres oubliées d’un temps trop pressé. La Vie. Dieu, le Paradis, l'Âme montant vers les Cieux... Foutaises. Hérésies qui ne servent qu'à adoucir l'existence et la torture de celle-ci. Balivernes inventées pour aider l'humanité dans sa glorieuse avancée. Acheminement qui ne sert à rien, si ce n'est l'envie toujours constante de renouveau. Cheminer, à tâtons, petit à petit, mettre un pied devant l'autre. Progresser, mais tout ce qu'on fait, c'est marcher vers l'infini d'un Cosmos bien trop vaste pour qu'il puisse être exploré dans son entièreté. Si c'était à cela que se résumait la vie, il fallait comprendre les personnes qui ne désiraient pas aller plus loin, ou qui convoitaient d'en finir. Le suicide. La mort pour seule délivrance. Qui a dit que seuls les faibles se suicidaient ? Le Suicidaire est intelligent. Il a compris à quoi consistait son existence. Il a assimilé qu'il valait mieux en finir plus rapidement pour passer outre les années de calvaire qui l'attendaient. D'un courage assez éveillé pour qu'il puisse aller jusqu'à l'achèvement de ses abstractions. Et il y a les autres. Pauvres âmes en perdition qui persistent à parcourir le chemin en espérant. Souhaiter l'impossible, escompter l'improbable. Stop. L'agonie larvée et silencieuse de la vie ne valait pas vraiment la peine qu'on s'y attarde avec autant de pragmatisme. Absence totale de réaction, qu'elle soit physique ou mentale. Nyssa ne songeait plus. Elle buvait, tout simplement. Les heures défilaient inexorablement aussi sûrement que les bouteilles se vidaient avec cette sainte avidité désaltérante. Seulement, elle semblait s’être fondu comme l’opium incandescent se consume lorsque des lèvres insatiables se pressent contre la pipe salvatrice qui le contient. Oui, l’allusion au temps qui se consume comme de la drogue fumante était propice à la situation nébuleuse qui s’étalait sous les pas de cette fiévreuse journée intemporelle. Loin. Loin des normes de ce monde, des règles d’une société profanée et des contraintes qui érigeaient la vie des Autres. Il semblait que la barrière qui avait toujours séparé Nyssa du monde extérieur avait fondu comme la cire d’une bougie qui à brûlé d’un feu trop vif avec trop d’engouement. Il n’y avait plus de distinction entre elle et les Autres. Elle ne demeurait plus qu'elle-même, au milieu de l’univers, parmi la foule sans visage, noyée dans l’absurde existence d’une destinée délabrée, elle au milieu du monde, confondue dans le néant palpitant du gouffre bleuté, elle et cet éclat doré, scintillante aura de noirceur incandescente, cette personne qui lui faisait maintenant face, mais que l'alcool empêchait de bien voir. Le Songe Transcendant qui lui faisait sentir les vibrations de la mort et subir les frustrations de la vie. Cette aberration humaine, cette utopie d’évasion incarnée dans une enveloppe charnelle. Ce jeune homme qui, dans ses yeux, faisait refléter les mirages de rives oubliées et décharnées. Ce gars qui prodiguait son essence, qui partageait avec elle cette vue bénédictine, ce semblable dont elle ignorait tout et dont elle possédait tout. Un regard interrogateur qui combattait le regard moqueur. Le temps n’était pas à la confrontation verbale ou à la contradiction spontanée. Le temps était au voyage, comme elle pensait si bien, c’était une quête de transcendance et de peur, soutenue par l’absinthe dont la bouteille restait accrochée à sa main, criée et décriée par son corps saoulé. C’était peut-être le moment d’exacerber l’intensité de la vie. Le temps avait fondu dans l’opium. L’opium avait volé dans la mer. La mer s’était noyée dans l’océan d’un bleu éthylique.
(Invité)