(TW) Fading Light

Tu scrutes l’écran de ton téléphone, la mâchoire serrée, le cœur lourd. Aucun message, aucun appel. Le silence pèse, rempli de tout ce qui n’a pas été dit, de tout ce qu’il pourrait traverser en cet instant. Les nouvelles n’ont pas tardé, elles se sont étalées dans les potins comme des éclats de verre. Sa moitié, victime d’une overdose. Un accident pour certains, un drame pour d’autres, mais toi, tu sais. Tu sais ce que cela signifie pour lui, ce que ce gouffre peut rouvrir dans son cœur déjà usé, tu sais qu’il n’a jamais vraiment abandonné ses propres travers. Alors tu ne tergiverses pas. Tu repères la localisation qu’il a oublié d’effacer, sans te poser de questions. Un veston glissé sur tes épaules, des chaussures enfilées à la hâte, et te voilà dehors, les clés en main, l’esprit entièrement concentré sur l’idée de le retrouver, de ne pas le laisser seul face à ce tourbillon d’émotions noires.

Tu arrives rapidement à l’endroit. Tu coupes le moteur, jettes un dernier coup d'œil vers l’entrée, et tu pousses la porte d’un pas déterminé. Là, dans la pénombre, se découpe sa silhouette grande et fine, les lignes de ses tatouages à peine visibles sous la lumière tamisée. Le voir ainsi, silencieux, immobile, te serre le cœur. Sans un bruit, tu t’approches, effleurant le dessous de son coude, juste assez pour signaler ta présence sans l’intrusion. Puis tu prends place à côté de lui, ta présence discrète mais constante, comme cette lanterne que tu as toujours voulu être pour lui, veillant en silence dans l’ombre de ses luttes. Tu ne dis rien. Tu sais que le moindre mot pourrait le braquer, attiser cette fierté qui lui tient lieu de bouclier. Tu restes là, simplement, prêt à absorber un peu de cette douleur sans l’écraser sous un fardeau de paroles inutiles. Le temps s’écoule, et même si aucune phrase n’est échangée, tu es là, immobile et solide, espérant qu’il sente ton soutien, espérant qu’il trouve en toi l’appui qui l’empêchera de basculer.  Quitte à ce qu'il te dise de dégager, ce que tu ne fera pas. La seule chose que tu ne tolérera jamais c'est qu'il te hurle dessus. Ange sait comment tu es traumatisé par les hurlements.  Ce soir, tu es là pour veiller, pour t’assurer que ce même destin qui a emporté sa moitié ne l’emportera pas lui aussi.

Bien sûr que tu n'es pas insensible aux blessures qu'il présente. C'est marquant. Quelqu'un l'a passé à tabac et tu ne sais pas qui lui a fait ça. Poser la question... Non. Ce n'est pas le bon moment. Il est trop à terre pour la demander, il se braquera si aisément. Tu souffles par les narines, un soupir qui se perd dans l’atmosphère lourde de la pièce. Ton regard glisse sur ton verre, les doigts serrés autour comme si le poids de l’objet pouvait t’ancrer. La voix d’Ange, faible, éteinte, murmure ce "dégage", mais tu refuses de bouger. Tu sais que céder, partir, c’est le laisser sombrer, et ça, tu ne peux pas l’accepter.  

Tu portes le verre à tes lèvres, prends une gorgée, le regard distant mais ton esprit alerte. Ton "non" est clair, tranchant, lancé d’un ton égal, presque indifférent en surface, mais chargé de cette détermination qui te caractérise. Tu le vois vaciller au bord d’un précipice, et même si cela te coûte, tu as déjà pris ta décision.   Tu pivotes légèrement sur ta chaise pour capter son regard, mais ce que tu y vois te frappe en pleine poitrine : cette douleur brute, exposée, une désolation que même ses blessures visibles ne parviennent pas à masquer. Ce spectacle te tord l’estomac, mais tu refuses de détourner les yeux. S’il veut te frapper, qu’il le fasse. Tu as déjà connu la douleur physique, et ce n’est rien comparé à l’idée de devoir vivre avec sa mort sur la conscience.  

Tu poses ton verre avec soin sur la table, le bruit du cristal contre le bois résonnant doucement dans l’air lourd. Ton ton ne vacille pas, ferme, presque glacé : " Si tu veux te battre, Ange, vas-y. Si c’est ce qu’il te faut pour me détester assez et m’éloigner, alors frappe. Fais ce que tu veux. Mais je ne partirai pas."  Tu te penches légèrement, les coudes sur tes genoux, les mains jointes, comme prêt à encaisser ce qui viendra. Tu veux qu’il comprenne que ta présence n’est pas une simple décision impulsive. Tu es là pour veiller, même si cela doit vous amener à un conflit, même si cela doit se terminer avec les forces de l’ordre impliquées.  

Un silence lourd s’installe à nouveau, seulement troublé par le son de sa respiration et les battements irréguliers de ton propre cœur. Tu sais que chaque mot que tu choisis doit être calculé, car un pas de travers pourrait tout briser. Alors tu te contentes de rester là, une lanterne dans la tempête, attendant de voir s’il va briser la bouteille ou encore même sur ta propre tête, ou son propre mur de douleur. Qu'il le veuille ou pas, il n'est pas seul. L'acceptation est dure à faire pour quelqu'un d'aussi orgueilleux qui perd ses proches, mais ainsi est faite la vie. Certains voient la faucheuse comme une vieille ennemie trop amicale, mais tu ne peux pas te résoudre à le laisser sombrer quand toi, tu peux essayer de faire quelque chose. Il est un ami. Un confident. Pas n'importe qui. Donc tu as envie de prendre une certaine part de sa douleur. Même s'il ne te laissera pas aisément faire, tu vas la prendre de force, si c'est nécessaire.