ATLAS VAN DER WESTHUIZEN › troye sivan

« Pops, tu rates trop d’trucs ! j’vais jouer le premier rôle dans le spectacle de fin d’année ! » rivés sur lui, les regards du personnel médical deviennent interrogateurs. Depuis de longues minutes, il fait la conversation à son père, qui est allongé dans ce lit d’hôpital dans lequel il a si souvent dormi à ses côtés. « sunshine s’il te plaît… » Atlas adore quand sa mère l’appelle sunshine, parce qu’elle le dit presque en chantant. Mais, quelque chose est différent. Elle a des larmes dans la voix. Alors il se retourne pour la caresser des yeux, les sourcils néanmoins froncés, incrédule. Il lui sourit, parce qu’il a ce sourire magique qui panse les plaies. Malheureusement, rien ne pourra les sauver de cette journée. « Pops ? réponds-moi » malgré les bips de l’électrocardiogramme et la ligne plate représentant l’arrêt de son cœur, Atlas n’en doute pas ; son héros ne peut pas mourir. Il est indestructible. « Nous devons l’emmener nous sommes désolés » son-père-n’est-pas-mort. Il va devoir le répéter combien de fois pour que ces personnes en blouse blanche soient convaincues autant qu’il l’est. « laissez-le ! mams fais quelque chose ! » et la porte s’ouvrit, laissant entrer l’obscurité dans tout leur monde.

› un Atlas van der Westhuizen est le fils unique de Joost van der Westhuizen, joueur de rugby sud-africain ayant remporté la coupe du monde avec son équipe en 1995. Légende des Springboks, l'équipe d'Afrique du Sud de rugby à XV, il est aussi tragiquement connu pour son sombre destin, auquel il n’a pas pu échapper. Mort à l’âge de 45 ans, des suites de la maladie de Charcot, une affection neurodégénérative incurable, il rendit son dernier soupir devant la femme de sa vie, Amor, et de son petit ange, sa plus belle réussite à ses yeux – Atlas.

› deux La maladie de son père, cette intruse indésirable, a été découverte en 2011 ; Atlas n’avait que neuf ans. Il a vu le pilier de son univers passer des mêlées sur les terrains à être cloué dans un fauteuil, prisonnier de son propre corps. Mais, que ce soit sur le gazon ou dans la vie, Joost van der Westhuizen remportait tous ses duels. Alors malgré le pessimisme des médecins, ils se sont accrochés à cette dangereuse illusion qu’est l’espoir.

› trois Avant que cette maladie vicieuse ne le prenne à bras-le-corps et le paralyse, Joost faisait en sorte de passer des moments privilégiés avec son fils. Évidemment, qu’il aurait aimé qu’Atlas ait un don pour son sport de prédilection, plutôt qu’une voix angélique et la danse dans le sang. Cependant, Joost et Amor, avaient livré un combat contre la fatalité, en essayant par tous les moyens d’avoir un enfant, un petit être qui serait le fruit de leur amour éternel. Grâce à l’insémination artificielle, Atlas est venu au monde dans la soirée du 13 mars 2002 et à partir de cette date, ses parents se sont promis de tout lui donner ; surprotégé, gâté ; ils lui rappellent tous les jours qu’il est aimé. Joost évolue dans un milieu machiste, mais n’hésite pas à défendre l’homosexualité de son fils. À l’époque, il fait partie des rares joueurs professionnels du pays à briser les tabous et à soutenir publiquement les droits LGBT. Atlas a eu cette chance de n’avoir jamais eu besoin de cacher qui il est.

› quatre Atlas a 15 ans lorsque son père, « son pops », perd le match contre la sclérose latérale amyotrophique (dite maladie de Charcot). Il connait une longue phase de déni, résultat du mécanisme de défense mis en place par son propre cerveau. Les médias en parlent, l’enterrement a lieu, ses camarades de classe lui présentent leurs condoléances, mais rien n’y fait, Atlas a comme quitté son propre corps ; et il est persuadé de communiquer avec son père, qu’il voit partout. Atlas est en train de traverser la première phase de son deuil et le plus dur est à venir.

› cinq Des mois durant, Atlas ne pleure pas, jamais, il n’y parvient pas, quelque chose s’est brisé en lui, et dans ses yeux transparaissent l’amertume et la colère. Il abandonne le théâtre, et son corps le trahit en provoquant chez lui des crises d’angoisse à chaque fois qu’il veut sortir de la maison. Tout, devient si effrayant. Amor, mise en morceaux par sa propre peine, a la sensation d’abandonner son bébé. Elle l’emmène voir un thérapeute qui lui explique qu’elle va devoir aider son fils à transformer sa douleur. Elle marque une pause dans sa carrière de chanteuse, et elle ne sait pas encore, mais elle ne chantera plus jamais.

› six Entouré d’amis et de famille, Atlas ne s’est ô grand jamais senti abandonné par ses proches. Ce sont eux qui lui ont donné une véritable raison de vivre. Eux, et le théâtre, son premier amour, à qui il avait tourné le dos. Se glisser dans la peau d’un personnage, quitter la réalité, ne plus s’appartenir, c’est ce qui le maintient, ce qui rend l’existence plus supportable ; les couleurs flamboyantes des costumes, la musique qui fait danser son esprit, et son corps qui se libère en suivant le rythme entraînant de celle-ci. Tout ça sous l’éclairage des projecteurs, qui dévoile son talent.

› sept À la suite de ces évènements, il est obligé de redoubler sa dernière année de collège ; il intègre ensuite un lycée privé. Il y rejoint le club de théâtre après une audition sur le thème du magicien d’oz, dont son professeur se souviendra longtemps. Atlas rayonne sans effort sur les planches, et il parvient à en faire autant dans la vie de tous les jours, malgré sa profonde tristesse enfouie sous de gigantesques sourires.

› huit En 2018, en scrollant sur Netflix, il tombe par hasard sur une compétition qui met en lumière les drag-queens, appelée RuPaul's Drag Race ; elle devient leur émission préférée à sa mère et à lui ; leur moment rien qu’à eux. C’est au fil des épisodes, avec son bol remplis de Froot Loops, enfoncé dans son canapé, qu’Atlas ressent l’envie viscérale de faire comme ces reines, d’en devenir une. Faux cils, ombres à paupières pailletés, teint éclatant, perruque 16 pouces, il suit assidument les tutoriels qu’il trouve sur les réseaux. Amor, est sa première spectatrice et sa première fan. En 2020, il décide de déconstruire les stéréotypes en créant du contenu sur youtube où il expose les bases du makeup en donnant les secrets qu’il a finis par percer à jour à force de s’entrainer.

› neuf Avec une maman chanteuse, et un père joueur international de rugby, Atlas a énormément voyagé durant son enfance sans vraiment se rendre compte de la chance qu’il avait. L’Afrique du Sud a une place particulière dans son petit cœur en guimauve, mais il croit un peu, naïvement, au célèbre rêve américain. En 2021, accepté à Harvard, il est face à un dilemme : réaliser la volonté de son pops en allant étudier dans la même université que lui ou renoncer afin de rester avec son ange gardien, sa mère. Amor est catégorique ; « tu vas à Harvard ou j’te renie sunshine » et ils se mirent en même temps à rire aux éclats, les échos résonnants à travers tous les recoins de leur magnifique maison. Atlas le sait, son père aussi, riait en chœur avec eux.

› dix Les États-Unis sont tout ce qu’il espérait, et plus encore. C’est ici qu’il a découvert la démocratisation de l’art du drag. Avec un lieu : le « jacques’ cabaret », un bar et restaurant intimiste, situé à Boston, ce lieu mystique offre à ses clients des shows extraordinaires dignes des plus grands cabarets. Atlas est tombé sur une annonce et s’est présenté en tant que Faye Tality, une sulfureuse blonde au déhanché hypnotisant ✧.⋆ il a commencé serveur, et depuis un an, il fait partie des 10 drags à performer devant les habitués et les curieux.