though conversations (parkeies)

Je viens de sortir de mon rendez-vous hebdomadaire avec ma psychologue et c’est grâce à ses mots, à notre travail que j'ai décidé de passer le cap. Assise derrière le volant de ma voiture, les deux mains sur le volant, je prends une grande bouffée d’oxygène et m’apprête à faire quelque chose de difficile, très difficile. Je sais qu’après ce soir - du moins si j’y arrive - le regard de João sur moi changera à tout jamais. Mais je sais qu’il a besoin de cette partie de moi pour son projet et je souhaite aussi lui montrer que je lui fais confiance. Malgré notre histoire finie peut-être trop tôt, malgré les émotions qui ont pris le dessus plus d’une fois. J’attrape rapidement mon cellulaire et mes doigts, habitués, appuient sur l’écran afin de me retrouver sur notre conversation. Je suis prête. Je peux passer ? Parce que je ne souhaite pas te faire venir chez moi et discuter de tout cela alors qu’Astoria pourrait tout entendre. S’il y a bien une chose que je ne souhaite pas, c’est qu’elle soit au courant de tout cela et que cette partie de ma vie change les gens autour de moi. Je refuse que ce salopard m’arrache mes bons moments et les rayons de soleil qui vont avec. C’est un risque que je prends avec toi mais c’est, d’une certaine manière, absolument nécessaire. Ta réponse ne tarde pas à arriver et alors que j’avais peur de changer d’avis entre temps, me voilà rapidement sur la voie rapide en direction de Jamaica Plain. Les doigts qui tapotent sur le volant, j’essaye de ne pas penser à tout cela pour le moment, bien trop effrayé et apeuré que ça me déconcentre et que le pire se passe. J’ai encore trop de choses à vivre, trop de causes à défendre et une voix que je refuse de voir s’éteindre. Il ne me faut qu’une petite vingtaine de minutes pour arriver jusqu’à ton loft et quelques secondes pour quitter l’habitacle chaleureux de ma voiture pour la fraîcheur de la rue et de ton hall d’entrée. Je n’ai rien ramené avec moi, si ce n’est mes traumatismes mais je sais que tu ne m’en tiendras pas rigueur. Cela faisait plusieurs mois que je ne suis pas venue ici, préférant bosser chez moi ou à l’extérieur et ça fait étrange. Le poing contre la porte, tu ne mets pas bien longtemps à m’ouvrir et un sourire se dessine sur mon visage lorsque le tien apparaît dans mon champ de vision. Hey. Je suis désolée c’est un peu… en dernière minute. Mais demain, je n’en aurais pas été capable, je le sais. Alors il fallait que je fonce et j’ai foncé. Et en plus je viens les mains vides, vraiment désolée. Mais on pourra commander si ses placards sont vides, ce n’est pas un problème. En tout cas, je suis tellement stressée que je parle pour ne rien dire, ce qui n’est vraiment pas quelque chose que je souhaite.

Je suis là, dans ma cuisine, la chaleur de la cuisson qui se mêle à l’odeur de l’ail et du basilic. Je prépare un risotto aux champignons, un plat que j’adore parce qu'il demande de l'attention, de la patience. Je remue le riz doucement, vérifiant la texture, ajoutant le bouillon petit à petit. J'aime cette idée de faire les choses avec soin, de ne pas précipiter les étapes. Le cliquetis de la cuillère qui tape contre la paroi de la casserole me calme. C’est une routine apaisante, une sorte de rituel personnel que j’apprécie. Mes pensées se baladent sans direction précise, juste le plaisir simple de cuisiner en silence. Puis, soudain, mon téléphone vibre sur le comptoir, un message, l’écran s’allume, et là, je vois ton nom s’afficher ainsi que ton message Je suis prête. Je peux passer ? Je tapote une réponse positive immédiate, impatient de continuer notre travail. On avait commencé cet article ensemble, venant de mon idée à la base. J’avais pensé qu’un article sur ta carrière de patinage brisée serait une manière de rendre hommage à ce tu avais accompli avant que tout ne parte en vrille. Mais en y repensant, je savais qu'il y avait aussi une part de moi, un peu plus égoïste, qui voulait m'éviter de replonger dans mon passé en me prenant comme sujet pour ce devoir. Ma préparation culinaire est terminée, je peux donc tout mettre en œuvre pour la conserver soigneusement en attendant ton arrivée. Qui ne se fait plus attendre quand contre la porte, je peux t'entendre frapper. Tu as le code de l'immeuble, je ne suis donc pas étonné que tu sois directement à l'entrée de mon loft. Je viens t'ouvrir et j'ai sans délai, un sourire qui se dessine sur mon visage lorsque le tien apparait Hey! Nan t'excuse pas, j'suis content que tu sois là. J'approche pour te déposer un baiser sur la joue avant de revenir te fixer quand encore une fois t'excuser. Ton attitude n'est pas normale et je commence à m'inquiéter Mais c'est rien Oli... j'viens de faire un risotto aux champignons, t'aime bien? J'ai du mal à cuisiner pour une seule personne alors je fais toujours une quantité largement suffisante pour t'en faire profiter. Mon corps s'écarte pour que tu puisses entrer et je referme derrière notre passage. Tu t'sens bien? c'est direct mais je suis déjà tracassé par ton état. Et quand je suis comme ça, j'ai tendance à devenir un moulin à paroles archi protecteur qui ne souhaite qu'une chose, ton bien. Tu veux boire quelque chose? Je t'invite à me suivre mais tu connais déjà les lieux. Je suis loin d'imaginer ce que tu viens me raconter ce soir.

J’ai l’impression que les kilomètres qui me séparent de ton loft sont en fait des miles. Tout me semble plus long. La route, la durée des feux tricolores mais aussi le temps que les gens mettent pour traverser. J’ai envie d’appuyer frénétiquement sur mon klaxon mais cela ne servira à rien, sauf peut-être à me prendre une amende si un flic est dans le coin, ce qui me retardera encore plus. J’ai peur de changer d’avis en cours de chemin, j’ai peur de me dégonfler. Je sais que cette partie est importante pour le dossier de mon ex petit-ami mais aussi pour ma guérison, pour mon avancée dans la vie. Je le fais pour lui mais aussi, et surtout, pour moi. Mon cerveau est en mode autopilote et cela me rappelle les moments pré-compétitions où je ne laissais rien me déstabiliser. C’est un peu plus compliqué cette fois mais je vais y arriver. Pour l’adulte que je suis, mais aussi pour la petite fille terrorisée que j’ai été pendant de nombreuses années. Tout cela, c’est pour l’adolescence qui a vu son rêve de médailles olympiques s’envoler à cause des actes d’un homme malveillant. Le loup était dans la bergerie et personne n’a rien vu. Un frisson me parcourt et je secoue mes épaules, comme si j’essayais de m’en débarrasser. Tout va bien se passer. Je suis en sécurité. Et je peux toujours arrêter. C’est quelque chose que je dois me répéter quelques fois dans l’ascenseur. Je ne dois rien à personne sauf à moi-même. Et lorsque la porte s’ouvre et que je te vois, mon palpitant se calme légèrement. Tu m’apportes un certain réconfort que je ne saurais expliquer. Oui, j’aime bien. Mais.. J’ai pas trop faim. Que je souffle, la mine triste, le coeur qui plonge jusque dans mon estomac. Je me sens pas très bien. J’ai… peur. Je me sens prête mais je sens que… Je ne sais même pas ce que je sens. Est-ce que ça va vraiment me faire du bien ? J’en sais rien. À ta dernière question, je secoue le visage de droite à gauche et retire mes chaussures que je laisse dans l’entrée. Ma veste est posée sur une chaise et je souffle Bordel, j’ai l’air d’être complètement dérangé mais… J’ai trop peur de changer d’avis. On peut en parler tout de suite ? Pour que ce poids se libère, que mon histoire te serve à décrocher la meilleure note de l’année mais aussi que j’arrête de me sentir comme ça. Mes mains dans mes cheveux, je souffle Bordel ce que je suis égoïste. Mes poings se serrent contre la racine de mes cheveux et je souffle Je suis tellement désolée de ce que je vais t’infliger. Ces mots, je les souffle avec des larmes aux ras des cils. Mais tu vas pas en sortir indemne. Ta vision de moi risque de changer, la façon dont tu me regardes aussi et ça me tue d’avance. Mais c’est comme ça que j’imagine mon futur : ne plus avoir honte de ce qu’il s’est passé. Parce que vous savez quoi ? La honte doit changer de côté.

C'est la première fois que je te vois dans cet état-là, et ça me perturbe. D'habitude, tu es calme, réfléchie, capable de tout gérer avec une certaine légèreté, mais là, tu es tout sauf ça. Tu sembles absente, comme si ton esprit était pris ailleurs, coincé dans un tourbillon que tu n'arrives pas à arrêter. Je me suis approché doucement, lentement, sans vouloir te brusquer. J'avais peur que chaque mouvement trop rapide ou trop fort te fasse reculer encore plus dans ta panique. Ma main se pose sur ton épaule délicatement pour que je te souffle ca va aller.... mais tu es toujours aussi agitée et je me suis pour le moment, impuissant. Tu veux démarrer tout de suite comme pour éviter de reculer. De ma voix la plus douce je te demande, comme en échange Bien sur, laisse moi juste dix secondes pour prendre mon carnet. Mon bras t'indique le canapé dans lequel tu peux te poser alors que moi, je vais vers la table à manger sur laquelle je récupère le premier stylo qui vient et mon cahier de notes. Je reviens et tu te tiens toujours debout à gigoter, tu t'excuses pour ce que tu vas m'affliger et tu me paumes un peu je le reconnais. Mes sourcils un peu froncés quelques secondes, mon visage retrouve sa bienveillance rapidement Oli t'excuse pas. C'est a moi d'le faire pour te mettre dans cet état... mais ca va aller, je suis là et on a tout le temps. Tu le sais, tu n'as qu'a dire stop et on s'arrête. Et je glisse mes doigts sur le dos de ta main pour l'agripper tendrement Allez viens. Et toujours avec affection, je te guide jusqu'au moelleux de mon mobilier. Je me suis assis à côté de toi, mais j'ai rompu le contact physique pour l'instant. Je sais que tu as besoin de ton espace, et je veux que tu te sentes en sécurité avant tout. Alors je suis resté là, à tes côtés, silencieux, attendant que tu prennes le temps d’assembler les morceaux de toi-même. J'ai le corps tourné vers le tien, une jambe repliée pour pouvoir utiliser cette dernière comme support pour écrire. Mes yeux sur ton visage, j'ai l'envie folle de te serrer fort contre moi mais je dois me retenir, parce que je dois te laisser diriger. A ton rythme. On commence quand tu veux. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu me demandes sans attendre. D'accord? Je veux que ce soit entendu, que tu prennes conscience que c'est toi la priorité, pas mon article. Tu n’as pas à tout porter seule, je veux que tu saches que je serai toujours là pour veiller à ce que tu ailles bien, même dans les moments où tu as l’impression de t’oublier.