landry et skye — la bohème de puccini

Tes caprices,
Des supplices,
Qui me coulent dans l'oreille
Comme des roues en réglisse

Larmes sont promesses,
Sont prisons, sont serments
Ne me séquestre pas dans ce combat
Qui nous dévore tout notre temps.

***

« Skye? Skye? Tu es prêt? On va être en retard! »

Où te caches-tu? La représentation est imminente. Un coup d'oeil à la montre suffit: il faut qu'on parte, et vite.

La bohème – Puccini. Tu sais bien qu'aucun art n'est plus élevé que celui de l'Opéra. Des sopranos qui font frémir mon coeur autant que les falsettos me mettent la larme à l'oeil. Nous ne devons pas manquer la fermeture des portes. Cela fait des mois que cette soirée est prévue.

Devant la glace, dans le hall d'entrée, un dernier regard, lancé à mon reflet. Le noeud-papillon est de travers? Aucun soucis, on l'ajuste. Une mèche de cheveux s'égare de ses consoeurs? Quelques caresses appliquées la rangent au bon endroit.

Mais toi?

Où es-tu, toi?

Battements de queue, halètements, rythme de pas. Oedipus Rex est là.

« Doucement, doucement », je souffle avec tendresse, me penchant légèrement pour faire face à ce chien que tu affectionnes tant. « Tu vas être bien sage ce soir, pas vrai? » Je lui demande. « On ne veut pas un deuxième accident, n'est-ce pas Oedipus? » Pas comme hier soir. La femme de ménage était mécontente ce matin.

@Skye Czacki de Contrignac

Skye était assis à son bureau, en train de recopier des notes prises à la main pour les mettre en forme sur son ordinateur et surtout les étoffer avec quelques recherches complémentaires. D'habitude, il faisait cela avec des livres, dans l'une des bibliothèques de l'université, puisque celles-ci contenaient des tas d'ouvrages spécialisés sur tous les sujets. Même en première année, il voulait être certain d'aller au bout des choses, d'autant que ce n'était pas un cursus aisé. Il savait qu'il allait devoir cravacher et qu'il devrait faire quelques sacrifices sur son temps libre. Il s'y était préparé, et ce n'était pas un problème, puisque, lorsqu'il était secouriste, il était déjà habitué, du fait d'horaires très contraignants.  
Il portait une tenue de soirée, qui n'était pas du tout adaptée pour travailler seul devant son ordinateur, parce qu'il était prévu d'aller voir une pièce d'opéra ce soir-là... Et qu'il n'avait pas trop su comment dire à Landry qu'il ne voulait plus y aller. Il s’était donc préparé, avant de se dire qu'il avait un peu de temps à tuer.
Ce n'était pas vraiment dans ses intentions d'y aller, de toutes façons, le cœur n'y était pas. D'ailleurs, en se tournant, il remarqua le lit vide. Oedipus Rex n'y était plus. Le carlin devait s'être réveillé tantôt et avoir quitté la chambre alors que Skye était concentré sur ses études.

La voix de son mari parvint alors jusqu'à ses oreilles et il sursauta. En retard ? Il repoussa son ordinateur et se leva de sa chaise, remettant ses notes bien droites au passage. Ce n'était pas parce qu'il était pressé, qu'il devait faire un travail de sagouin !
Il rejoignit Landry dans le hall, l'observant, les yeux froncés. Il adorait son mari, c'était l'homme de sa vie, la lumière de ses nuits, mais... Il ne pouvait pas être sérieux, n'est-ce pas ? Comment pouvait-il être si désinvolte au sujet de la santé de leur chien ? Skye n'était pas vraiment énervé, mais il était inquiet.

« Je me disais.... Oedipus a été malade toute la journée hier... Et si jamais il se sentait mal ? On ferait mieux de rester...On ira une autre fois ? » demanda-t-il, allant jusqu'au carlin qui remuait la queue et s'était dirigé intuitivement vers lui à son arrivé. L'étudiant se pencha pour le caresser et le prendre dans ses bras, le serrant contre lui. Le petit chien battait de la queue, surexcité, et se mit à lui lécher le menton. « Je suis vraiment inquiet à l'idée de le laisser seul. » ajouta ensuite le trentenaire. ~ @Armand de Contrignac

Douce trahison,
Sublime déloyauté,
Que de te voir ainsi bafouer
Nos engagements sacrés.

***

Tu descends, et le monde se tend un peu pour pouvoir graviter autour de toi. Le plancher, les murs. Les livres dans la bibliothèque. Tout semble s'accrocher à ton champ magnétique, incapable de s'échapper de ton aura captivante. Et je n'y fais pas exception.

Un sourire, guilleret, opportun, à l'idée de pouvoir franchir ce seuil, main dans la main. T'aimer n'a jamais été autre chose qu'une évidence des plus pures, des plus simples. Aucune honte, aucune discrétion. À compter du jour où notre amour est né, impossible de le dissimuler à quiconque, tant il était beau. Je l'ai revendiqué du haut de la tour Eiffel lors de notre séjour à Paris. Du confort de la torche de dame Liberté, lorsqu'on a visité la Nouvelle York. T'avoir à mes côtés, non seulement une fierté, demeure le plus tendre des privilèges.

Mais une ombre se dessine, ouragan dans la prairie. Ces froissements dans ton visage, annonçant déjà les mauvaises nouvelles. Que se passe-t-il? Tu as l'art de savoir t'exprimer à travers tes silences.

Et l'aveu tombe. Tes inquiétudes. Toujours ces satanées inquiétudes. Si je suis anxieux, tu es l'anxiété: personnifiée, dans toute sa gloire. Mais pas moins étouffante.

Je t'adore.

« Tu crois? »

Coup d'oeil vers le carlin, qui mâchouille mes pantoufles. C'est la troisième paire de gâchée cette année. Mais « ce ne sont que des pantoufles », comme tu te plais tant à me le répéter. Il a l'air en sacrément bonne santé pour un mourant, mine de rien. Je me rapproche du coupable convalescent. « Tu ne vas pas retomber malade, mon grand, si? » Un couinement s'échappe d'entre ses lèvres. Difficile à interpréter, pour le coup. Un jappement aurait été préférable. « Il m'a l'air parfaitement rétabli ». je finis par marmonner. Bon, sa langue pend un peu, mais c'est normal, ça... Non? « C'est la dernière représentation, ce soir. » Comptes-tu réellement rater ce chef d'oeuvre de Puccini pour des peut être et des hypothétiques?

Skye reposa le carlin au sol, le laissant vaquer à ses occupations après une dernière petite caresse sous son menton. Il le regarda s’éclipser, allant aussitôt s'attaquer aux pantoufles de Landry. Il avait essayé de lui apprendre à ne pas s'adonner à cette mauvaise habitude, mais n'avait jamais réussi. Sans doute était-il un peu trop laxiste avec son chien, comme l'on pouvait l'être avec un enfant capricieux. Pourtant, Oedipe avait été éduqué : il connaissait les principales commandes et y obéissait, et savait même faire quelques pirouettes et autres fantaisies. Il savait parfaitement marcher en laisse, sans tirer, et se tenir au pied, lorsqu'on lui ôtait son harnais. Mais le carlin avait son petit caractère, ce n'était à en point douter. Peut-être mâchouillait-il les pantoufles de son Maître car il savait que celui-ci voulait l'abandonner – le laisser toute la soirée, dans la maladie.

Comme il s'y attendait, son mari ne voulait pas battre en retraite, l'opérette l'attirant bien plus que de veiller sur leur animale de compagnie. « Je ne suis pas sûr. » répondit simplement Skye, plaquant ses bras croisés contre son torse. « Il n'a pas dormi autant que d'habitude, il a à peine mangé sa gamelle, et regarde... » dit-il, indiquant la bête du menton, avec inquiétude. « Il a les yeux bien trop brillants. » ajouta-t-il, d'un air déterminé. « Je ne pourrai pas profiter de la représentation. Je m'inquiéterais toute la soirée si on y va ! » dit-il avec plus de véhémence. C'était la dernière représentation ? Et alors, il y aurait un tas d'autres opéras à voir à venir bientôt à la programmation, c'était certain. Il s'approcha de l'homme qu'il aimait tant, prenant ses mains dans les siennes. « S'il te plaît, mon cœur, on ira voir autre chose. » indiqua-t-il. « Mais si ça te tient tant à cœur, vas-y tout seul... Moi je resterai. » conclut-il finalement. Il était vrai qu'il ne voulait pas non plus empêcher l'homme de sa vie d'aller profiter d'un moment qu'il avait tant attendu, mais lui, il n'avait nullement le cœur à cela. Cependant, il n'aurait aucun reproche à faire à Armand s'il y allait tout seul... Juste, il se sentirait un peu attristé, et surtout dépité qu'il ne fasse pas plus attention à Oedipus Rex. Il aurait préféré qu'ils passent la soirée ensemble, tous les trois, même à faire des choses différentes. C'était satisfaisant d'être juste ensemble, dans la même pièce, à se parler de tempts en temps tout en vaquant chacun à sa propre tâche.  ~ @Armand de Contrignac

Il jape, il piaille, il est heureux, ne le vois-tu pas?
Mais ton regard s'embrume,
Emportant, dans ses orages, tout espoir que j'avais de pouvoir m'évader avec toi.

Adieu, Puccini. Ce soir, ce sera Rachmaninoff sur le tourne-disque, un vert de rouge à la main. Il y a peut être pire comme consolation, mais l'amertume du Bordeaux se mêle à celle de la bile.

Le débat n'a même pas commencé que je le sais perdu d'office. Ainsi est le triste sort qui m'attend. Une vie de concessions. Des combats régulièrement avortés, dans la fuite d'un conflit ingagnable. Car si je gagne, c'est au détriment de notre histoire. Et ça, ça n'a rien d'une victoire.

Le language corporel. C'est intéressant comment les linguistes oublient son rôle primordial dans la communication. J'enseigne un module dessus, chaque année. C'est un de mes séminaires les plus populaires, au sein du corps étudiant. Ils envisagent sans doute des conseils en matière de séduction. Nombreux déchantent lorsqu'ils découvrent le véritable contenu du programme: loin d'un cours d'hypnose, il s'agit tout simplement d'une analyse sur nos comportements, et comment ils peuvent exprimer des pensées qu'on préfère ne pas verbaliser.

En l'occurence, ton corps hurle ce que tu n'oses pas énoncer. Les bras croisés sont clairs: c'est une barrière, un seuil à ne pas franchir. Une limite. Je ne sortirai pas ce soir, n'insiste pas. Et si une boule se noue, au fond de ma gorge, c'est uniquement parce que je me sens complètement étranglé par cet amour que tu voues à ce carlin. Parfois, j'ai la conviction que tu l'aimes davantage que moi. Si notre immeuble brûlait, ne le sauverais-tu pas le premier?

Le désir de soupirer, irrépressible, et pourtant, essentiel à réprimer: je l'ai vu, faire sa sieste. Je l'ai vu, de mes propres yeux. Toi, tu ne l'as pas vu, mais moi, j'étais là. J'ai tout vu. Et s'il a à peine mangé sa gamelle, c'est parce que j'ai été obligé, oui, obligé, de partager mon déjeuner avec lui. Et tu sais combien de temps j'ai mis à le préparer, mon risotto aux cèpes et à la truffe? Quarante minutes. Et oui, mon estomac gargouille encore de ne pas avoir pu se rassasier. Donc ne va pas me dire que je l'aime pas, ce chien. Et puis les yeux... Ses yeux brillent toujours, non? C'est des yeux, ça brille. C'est mouillé. L'hypochondrie par proxy, ça existe? Il faudrait que je me penche sur la question.

Mais tu n'as pas besoin de faire tant d'efforts. Je le sais déjà, que tu n'as d'yeux que pour ce canin. Je sais déjà que toute la soirée sera consacrée à écouter tes soupirs et rassurer tes angoisses quant à l'état d'Oedipe. Et toi, tu sais également que je ne peux rien te rassurer. Encore moins quand tu adoptes ce ton. Et que tu berces mes mains des tiennes. Ta dernière suggestion me fend le coeur. Offerte comme une libération, je la vis davantage comme une agression. Je ne veux pas passer ma soirée loin de toi. Je voulais la passer avec toi. Partager cet opéra, avec toi. Faire face à la scène seul ne m'intéresse absolument pas. Et tu le sais déjà, car je te l'ai déjà dit une dizaine de fois.

Je regarde mon reflet dans le miroir. Il y a cinq minutes, j'avais l'air bien distingué et chic, dans mon costume. Maintenant, j'ai l'air incroyablement sot. L'amour rend bête, ne le saviez-vous pas? Ce que je ne ferais pas pour ta belle paire d'yeux. T'en as, de la chance, qu'ils soient si envoutants. Sans parler du fait qu'y aller ferait office de déclaration de guerre: reste donc avec ton chien, j'ai plus important à faire. C'est un piège, insidieusement tendu. Et le pire, c'est que tu n'en as même pas conscience.



Je pose les armes. Je m'avoue vaincu. Si j'ai l'air dépité, c'est car mon coeur se fend, encore un peu, face à une nouvelle déception. La dernière fois, Oedipus avait peur de la pluie. Celle d'avant, t'avais peur qu'il prenne froid. Celle encore d'avant, le motif était si insipide et ridicule que je l'ai effacé de ma mémoire tant il m'avait frustré. Me feras-tu, un jour, passer avant ce satané carlin?

Je frotte mes tempes. J'abaisse mon regard. J'inspire profondément. Pour maintenir mon calme.

« ... Bon, d'accord, restons, dans ce cas. »

Tu la sens, cette extinction de lumière, dans ma voix?

Je t'aime.
Mais putain, qu'est-ce que tu me tues, parfois.

Skye devrait être heureux lorsque Armand lui annonça qu'ils resteraient, finalement. Mais le son de sa voix, l’expression de son visage lui firent tout de suite perdre son sourire et changer d'avis. Les traits de son propre visage se tendirent, et il fronça les sourcils, inquiet. Il voyait bien à quel point cet Opéra lui tenait à cœur, mais surtout pas tant la pièce que de partager cette passion de l'Art avec lui, d'y aller ensemble. Cela faisait un certain temps qu'ils n'avaient pas partagé un moment de la sorte, devant une bonne pièce. L'ancien secouriste jeta un regard à Oedipus, qui continuait de mâchouiller les pantoufles de son Maître, émettant des petits bruits très caractéristiques pour les petits chiens de sa race. Il le regarda faire quelques instant, puis posa de nouveau les yeux sur son mari, gardant ses mains dans les siennes. Le trentenaire poussa un large soupir, se mordillant la lèvre, inquiet. Il ne voulait pas que l'homme de sa vie, l'homme qu'il aimait soit attristé de son fait, de par son anxiété qu'il ne savait plus aussi bien gérer dernièrement. Et en même temps, l'angoisse pour son animal de compagnie le rendait fou. Mais peut-être était-il temps de travailler sérieusement sur ce problème... Sinon, quelle chance auraient-ils dans leur couple ? Ce n'était pas la première fois qu'il refusait de sortir par inquiétude pour l'animal. Il poussa un nouveau soupir, encore plus large, avant de poser une main tremblante contre la joue d'Armand, le caressant avec une immense tendresse, comme l'on toucherait l'objet le plus précieux du monde.
« Excuse-moi, mon amour, je suis trop à fleur de peau quand il s'agit d'Oedipus. Tu as raison, je ne devrais sans doute pas m'inquiéter autant. » commença-t-il. « Et si... » Encore un nouveau soupir. Ce n'était pas facile. Vraiment pas facile. Il s'apprêtait à proposer quelque chose qu'il avait toujours redouté, quelque chose dont il avait peur, mais il savait qu'il risquait de détruire leur mariage, à force d'imposer ses craintes à son partenaire. Armand était un homme bon, et surtout un homme amoureux. Mais leur couple vivait souvent des moments compliqués dernièrement. D'une part, du fait que son époux acceptait son asexualité, et devait restreindre ses envies. D'autre part, avec la reprise de ses études. Ils avaient déjà eu des discussions au sujet du désir et des relations, mais c'était compliqué de tomber sur des compromis qui ne fassent se sentir mal aucun d'entre eux.

Skye plongea son regard dans celui de Landry et afficha un petit sourire. Sa jambe tressautait, de par son stress. « Et si j'appelais ma sœur. On pourrait déposer Oedipus chez elle en chemin, comme ça, je serais rassuré, et on pourrait quand même y aller. » Ils risquaient un peu de retard, mais c'était jouable. D'un point de vue extérieur, vous vous demandez sans doute 'mais c'est logique ! Pourquoi n'a-t-il pas proposé cette solution plus tôt si elle était disponible ?'. Et bien sachez que Skye ne laissait jamais Oedipus Rex sous la surveillance de personne, si ce n'était le vétérinaire qui le suivait depuis qu'il était un chiot. C'était la première fois qu'il se résignait à le faire. La première fois qu'il sortait de sa zone de confort, la première fois qu'il prenait le taureau par les cornes. Mais il n'avait pas d'autre choix... La mine défaite, le feu éteint dans les iris de son époux lui brisaient le cœur.
« Qu'est-ce que tu en penses ? » demanda-t-il, continuant de lui caresser la joue avec amour.
 ~ @Armand de Contrignac