salvatore & léo ⸻ next to you

Elle n'avait eu que cinq petites minutes pour passer de son pyjama à un pull blanc, une jupe sombre en plus d'un collant noir fin et ses bottes bordeaux. Léo n'avait clairement pas pu se coiffer, ni se maquiller, mais si il y avait bien une personne envers qui c'était plus simple d'apparaître au naturel, c'était bien lui.

Bien sûr, elle s'était brossé les cheveux dans le taxi avec ses doigts, avait fait une rapide queue de cheval, mais pour le reste, elle avait laissé les choses ainsi. Tant pis. Il l'avait toujours vu sans rien sur le visage quand elle était petite, après tout.

Lorsqu'elle arriva, la jeune fille se dégagea de la voiture après un rapide pourboire au conducteur, puis, s'empressa de pousser le portail de l'immeuble, sans regarder vers les fenêtres du haut. Elle craignait qu'il soit déjà là, à la regarder, et préferait monter pour lui faire face qu'autre chose. En arrivant face à sa porte, après s'être recoiffée incessamment devant le miroir de l'ascenseur, elle toqua de deux petits coups, et sortit son téléphone la seconde d'après, faisant mine d'être distraite par celui-ci et loin de tout stress.

Mais qu'est-ce qu'elle avait mal au ventre, rien qu'à l'idée de le revoir.

La dernière fois... ils s'étaient disputés.

Pas qu'un peu.

Il s'était levé de son lit, Salvatore ne s'attendait pas à recevoir quelqu'un chez lui, heureusement son côté maniaque assurait un appartement toujours propre et soigné.

Un pantalon à pinces noire, une ceinture en cuir, un pull blanc rentré dans ce même pantalon, orné d'une petite croix chrétienne. Les cheveux légèrement en bataille, il s'était recoiffé comme il le put.

Le temps était passé si vite, il avait à peine eut le temps de se parfumer qu'elle toquait déjà à sa porte. Salvatore sortit son téléphone, s'approchant de la porte avant de l'ouvrir, laissant la porte ouverte avant de ranger son téléphone dans sa poche arrière.

La première chose que pourra remarquer Léo était qu'il avait toujours un pansement à l'arcade sourcilière, due au jeter de lampe de l'Italienne. Malgré toute l'animosité qu'ils s'exprimaient par message, Salvatore ne put s'empêcher de ressentir de la compassion et une certaine joie en ouvrant cette porte pour la voir. Bien qu'il ne montra rien, préférant rester de marbre, sans doute dans un ego purement masculin.

- Hey.

Elle entra.

⸻ Hey.

Léo referma la porte derrière elle en s'appuyant un peu dessus. Elle se racla la gorge, les yeux bas après les avoir relever un bref instant vers lui. Ce pansement était un rappel de sa violence, certes, mais aussi de sa peine.

Elle eut une petite moue, et resta silencieuse quelques secondes, sa langue sèche se blottissant à son palais dans sa bouche avant qu'elle ne se décide à se mouvoir.

⸻ Tu le penses ? Ce que tu m'as dis. Au téléphone.

Elle garda le regard rivé sur ses bottes. Plutôt que de rester planter là, elle se décida à les enlever, se penchant pour baisser leur fermeture et les retirer une à une. Mieux valait faire n'importe quoi d'autre que de supporter son temps de réponse, ou tout simplement sa réponse.

Il la sentait gênée, comme si elle regrettait ce coup de tête lié à l'émotion. Salvatore essayait de capter son regard, en vain, elle se baissait pour retirer ses chaussures, enfin ses bottes.

Ce que verra la jeune femme est la main de Salvatore, venant doucement se poser sur le tranchant de sa mâchoire, le pouce remontant sur sa joue et sa pommette. Il appliqua une pression, tout aussi délicate, pour qu'elle redresse la tête et le regard vers lui.

- Pourquoi mentirais je ?

Son regard passait à ses yeux, puis à ses cheveux, quelques rebelles, elle s'était précipitée ici. Elle qui était habituellement si apprêtée. Une jupe, des collants, un pull blanc. Maintenant qu'ils étaient là, il ne savait plus tellement quoi faire.

Enfin, si, il le savait.

Mais n'osait pas.

Une fois debout, elle sentit cette main venir se loger à sa joue pour lui relever le visage tout entier. Son cœur en rata un battement, puis deux. Son souffle lui sembla plus difficile maintenant. Sa gorge s'enserra. Ses prunelles vinrent rejoindre les siennes. Et là encore, elle les abaissa une courte seconde dans sa nervosité.

Il lui arrivait d'être un cygne bien sauvage parfois, de pincer, de s'enfuir, mais à cet instant, la voilà dans toute sa grâce fragile. Dans toute sa vulnérabilité.

Elle ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit tout de suite.Son instinct la poussait à s'éloigner, à se protéger, mais une autre part d'elle-même voulait rester là, dans cette proximité.

⸻ Parce que... toi et moi, on sait très bien qu'on est pas les plus honnêtes l'un envers l'autre, et qu'on a tendance à s'en vouloir, souffla-t-elle, le ton plus amer qu'elle ne l'aurait voulu.

Elle marqua une pause, cherchant ses mots, ses doigts tremblant légèrement contre sa propre cuisse.

⸻ On dit des choses qu'on pense sur le moment... et après, tout change.

Son regard vacilla, de nouveau attiré vers ce pansement à son arcade. C’était elle, elle l’avait blessé physiquement autant qu’émotionnellement, et elle ne savait même plus pourquoi la dispute avait pris de telles proportions.

Léo laissa échapper un léger soupir avant de baisser la tête, ses cheveux en queue de cheval tombant sur son épaule.

⸻ Alors dis-moi. Pourquoi, cette fois, ça serait différent ?

Il l'écouta, longuement, sans rien dire jusqu'à ce qu'elle ait fini. Puis le garçon réfléchit, le temps d'une seconde, pas plus, peut-être deux à la rigueur. C'était suffisant pour faire planer ce poids sur l'estomac.

En espérant peut-être le retirer lorsque le noeud de la gorge se libérerait.

- Car cette fois on se le montrera.

Salvatore plongea ses yeux dans les siens, son pouce caressant très légèrement sa joue, avant que ses lèvres ne viennent se poser sur les siennes. Il n'y avait pas besoin de dire, pas besoin de mentir. Car son corps n'arrivait pas à le faire, pas quand il souriait malgré la colère, quand ses mains tremblaient de nervosité en sa présence, pas quand il se détendait au point de s'endormir contre elle sans se soucier d'une quelconque pensée.

Elle contre la porte, il ne voulait la dévoiler à la fenêtre dans son dos, sa silhouette la couvrant d'un quelconque regard, inexistant et paranoïaque certes, mais que ferait-il si quelqu'un découvrait, tout en haut de cet immeuble, que Léo était ici. Qu'elle était à lui et à personne d'autre ? Qu'elle dormirait ainsi contre lui et que les pensées se tairaient pour toujours ?

Son autre main se posait sur sa hanche, celle qu'il avait minutieusement regardé sur la photo postée en tenue de tennis.

Salvatore se détacha doucement de ses lèvres, comme pour s'assurer que ça allait, en réalité il s'était perdu le temps de cette seconde, comme si l'aiguille du cadran tiquait en boucle sur ce même schéma circulaire. La gravité, celle qui manipulait le temps, l'avait cloué au sol, abattant le poids du cosmos sur ses épaules, et les secondes s'étaient figées avec lui. Le temps d'une respiration, d'un baiser. D'un échange.

Tout retraversait son esprit, ce premier regard, à Atrani, ces sourires, les granités, les glaces, les rires, le sable entre les pieds. L'eau passée sur la peau pour détacher le sable, la brise qui se secouait ces cheveux qu'il pouvait sentir aujourd'hui. Le départ chaque été, les pleurs, la tristesse aussi grande que le bonheur des retrouvailles. Plus jamais il ne pourrait la serrer dans ses bras avec une telle candeur, l'innocence de la jeunesse s'était éteinte, ou plutôt avait laissé place au brasier de la passion. Ou de l'amour, restait à savoir si ce n'était qu'un retour de flamme ou la naissance d'un foyer.

Le temps d'une seconde.

Tic.

Le baiser, aussi inattendu qu'il était, fit vaciller Léo. Ses lèvres se figèrent un instant sous celles de Salvatore, mais ce n’était pas un malaise qui l’envahissait. C’était plutôt cette chaleur familière, rassurante, une douceur qu’elle n’avait pas anticipée. Le poids qu’elle portait dans sa poitrine semblait se dissiper, comme si ce simple contact suffisait à effacer, même momentanément, toutes leurs querelles.

Quand il se détacha d’elle, son souffle lui manqua presque, et elle resta un instant appuyée contre la porte, comme pour se stabiliser. Sa main, presque machinalement, effleura ses lèvres, encore surprises par ce geste. Elle toucha du bout de ses phalanges l'humidité que Salvatore était venu apposer, écarquillant quelque peu ses yeux. Elle eut un sourire stupide.

Le silence entre eux était lourd de tout ce qu'ils n'avaient pas dit, mais étrangement, il ne l’effrayait plus. Ses yeux scrutèrent son visage, observant la façon dont il la regardait, avec cette tendresse et cette retenue à peine contenue.

⸻ Salvatore...

Sa voix était douce, presque chuchotée. Elle ne pouvait pas nier l’effet que ce moment avait sur elle. Pas maintenant. Elle s’approcha légèrement de lui, pour refermer la distance qu'il avait réinstauré.

⸻ Je ne sais même pas si on est capables de se montrer quoi que ce soit. Mais... peut-être qu'on pourrait essayer.

Elle recula jusqu'à ce que son dos soit contre la porte à nouveau. Léo le regarda longuement dans les yeux, souriant de plus en plus, remontant ses épaules petit à petit, tandis que son nez se fronçait doucement dans sa joie. Léo s'empressa de retomber contre lui à nouveau, son corps jouant au pendule. Elle passa ses bras autour de sa nuque, se mettant sur la pointe des pieds pour venir rejoindre ses lèvres à nouveau, sans pour autant l'embrasser.

⸻ Dis moi que je suis la seule.

Quand elle toucha ses lèvres sans rien dire, le jeune homme crut avoir fait une terrible erreur. Son chuchotement ne l'aidait guère. Puis elle revint contre lui, sentant cette chaleur corporelle se dégager pour l'envelopper complètement.

Il s'y perdait, tout devenait flou. Sans vraiment comprendre pourquoi, il avait connu la chaleur des femmes, sans jamais ressentir un tel réconfort.

- On a toujours réussi à montrer qu'on s'aimait. On était trop stupide pour le voir.

Il rit quand elle vint à ses lèvres, ses bras venant se joindre dans le creux de son dos, à la limite du décent.

- Te le dire, ou te le montrer ?

L'Italien la resserra contre lui avant de l'embrasser, le temps d'une seconde. Puis il se détacha pour souffler.

- Tu l'es.

Le souffle de Salvatore contre ses lèvres, puis son rire, firent fondre les dernières résistances de Léo. Elle sentit son cœur s'emballer dans sa poitrine alors qu'il la serrait un peu plus contre lui. C'était une sensation nouvelle, un mélange de sécurité et d'excitation qu'elle n'avait jamais ressenti aussi intensément. Et puis, tout ce vide qui n'avait cessé de grandir en elle depuis sa rupture avec Soren se retrouvait subitement bien comblé, visiblement. Plus rien ne pourrait jamais l'atteindre, n'est-ce pas ? Son puit profond d'attention était à nouveau abondant !

Combien de temps ?

Elle releva les yeux vers lui, un sourire naissant sur ses lèvres, à mi-chemin entre la complicité et la tendresse. Il y avait dans ce regard de sa dualité candide d'enfant, et sa confiance en elle d'adulte acquise avec le temps.

⸻ Tu sais très bien que je préfère quand tu me montres.

Elle rit doucement, un peu nerveusement, mais surtout parce que ça semblait trop irréel. Comme si, à tout moment, ils allaient se réveiller et que ce moment n’aurait été qu’un rêve. Peut-être était elle endormit sur le sable de la plage de son village, recroquevillée sur sa serviette de princesse Cendrillon, et s'était imaginée toute cette vie avec son amourette d'enfance.

Quand il se détacha à nouveau, et qu'il murmura ces mots — "Tu l'es" — , Léo sentit une chaleur lui monter aux joues.

⸻ On aurait pu continuer à se disputer, à passer à côté de tout ça…

Elle marqua une pause, puis leva les yeux, son sourire se faisant plus franc, plus confiant.

⸻ Mais je suis contente qu'on soit assez stupides pour avoir enfin compris. Salvatore, je ne veux plus jamais que tu me laisses seule. N'ose même pas me faire pleurer alors que je m'agace à me maquiller tous les matins. Ne me brise pas le coeur. Ne m'embarasse pas. Ou je le dirai à ta nonna.

Elle haussa un sourcil, pencha la tête... et elle pouffe de rire, le nez retroussé, remontant sa lèvre inférieur pour montrer ses petites canines pointues, ces mêmes canines qui avaient été absentes de son sourire il y a quelques années.

Il rit à nouveau, avant de lui répondre.

- Je peux toujours simuler une dispute si ça te ramène à un réconfort.

C'était à peu près tout ce qu'ils avaient connu de l'un l'autre depuis quelques temps :des disputes, des provocations, du sarcasme et de l'ironie. De quoi s'assurer de ne jamais s'ennuyer.

- Je t'ai toujours préféré sans maquillage de toute façon.

Il virevolta avec la jeune femme dans les bras, s'approchant pour tomber sur le lit, avec un sourire candide. Salvatore se moquait des bactéries sur le lit, ou de la saleté.

C'était bien la dernière de ses pensées.