bloody hell (junior&olive)

Avec le spectacle d’Halloween qui approche, je réfléchis de plus en plus à la mise en scène, à l’histoire que les filles vont pouvoir raconter sur scène. Lors du feu de camp, une idée à germer dans mon esprit mais je ne sais pas si elle sera trop effrayante. Après tout, la moyenne d’âge des patineuses sera de dix ans. Enfournant mon dernier pancake plein de sirop d’érable dans ma bouche, je vérifie mes messages pour voir si Junior m’a répondu pour le cours de la semaine et, en effet, elle confirme bien le rendez-vous. Si je ne peux pas tester mon idée sur les plus jeunes, je pense que je dois voir avec mon amie si c’est trop ou si c’est juste bien. Et plutôt que de lui demander son avis, je me mets à la mise en scène. Cette année, pour Halloween, pas de vampires, de fantômes ou bien encore de chauve-souris. Cette année, je suis morte sur la glace. La bouteille de ketchup en main, je me dirige vers la glace et réfléchis à ce qui serait le plus simple à faire. Je ne veux pas rester trop longtemps sur la glace et manquer de choper un rhume. J’attrape un des tuteurs pour les enfants en forme d’écureuil et me dirige vers le centre de l’arène. Je n’en ai visiblement pas besoin mais cela me permettra de cacher la bouteille de ketchup pour qu’elle ne la voit pas de loin. Et lorsque j’entends la porte claquer, un sourire machiavélique se dessine sur mon visage. Aaaaaah !! Que j’hurle en m’allongeant par terre, me badigeonnant de ketchup, essayant de ne pas trop en mettre sur la glace. Et puis, j’attends. Silence, ça tourne - pas rond dans ma tête ! Quel déguisement foireux, quand on y pense : une tenue qui m'a déjà servi de nombreuses fois et du jus de tomate qui n'a jamais vu la tomate de sa vie. Mais au moins, c'est fait maison !

Presque je pourrais dire que j’y prends goût, à nos petits rendez-vous. Bon pas au point de dire que j’en suis fanatique, mais lorsque je traverse les allées de Boston pour la rejoindre, mangeant une part de tarte au potiron en observant les différentes décorations des devantures de boutiques et maisons destinés à nous procurer quelques frissons, j’avoue avoir le cœur léger. L’envie d’y aller. Même si j’ai l’allure d’une idiote et que mon corps semble se transformer en caramel mou, désarticulé, une fois sur la glace… Ca me fait sortir de ma chambre, ça me fait lâcher mon écran, délaisser mes cours et mes carnets. Ca me donne la sensation d’avoir une vie sociale et de ne plus être un corbeau solitaire. Et tout ça, sans avoir l’impression de vivre un calvaire.

Alors à proximité de la patinoire, j’enfourne le restant de mon goûter dans ma bouche et trottine quasiment pour arriver et entrer à l’intérieur. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que… « Aaaaaah !! » Ca y est ?! L’apocalypse zombie est là ? Je cours presque, cligne des yeux, cherche Olive – parce qu’aucun doute à avoir c’était son cri, sa voix – et quand je les pose sur la glace, je manque de m’étouffer. Avec la tarte, s’entend, que je n’arrive pas à avaler. Evidemment, je ne passe pas mes patins, la vision d’horreur – j’ai beau être habituée, Resident evil étant mon jeu préféré – me fait trembler. Normalement, ce genre de chose n’arrive pas dans la réalité. « Non, non, non ! » Du coup je cours, je manque de glisser, de me péter une cheville et certainement moi aussi de me flinguer, « OLIIIIVE ! » que je gueule à quelques centimètres d’elle avant de me jeter à côté, c’est froid putain, la peur, elle m’a fait perdre mon cerveau en chemin.

J’aurais pu me contenter de lui demander ce qu’elle en pensait. C’est quelque chose que j’aurais pu faire mais s’il y a une chose que j’ai compris avec mes années de compétitions, c’est que pour une réaction authentique, il ne faut rien dire à personne. J’en ai gardé des secrets pendant mes années sur la glace et aujourd’hui, j’ai l’impression d’y retourner, dans le passé. Une large vague de chaleur parcourt mon corps. C’est un peu comme si je vivais à nouveau pleinement. Étrange mais agréable. Non, non, non ! Je me retiens de glousser sur la glace, la laissant venir me rejoindre. Peut-être bien même que le spectacle commencera comme ça. Les filles qui courent sur la glace pour venir découvrir mon corps sans vie avant de se lancer dans une drôle d’enquête qui les emmènera à mon tueur. OLIIIIVE ! Elle y croit vraiment et c’est à ce moment que je ne peux retenir le gloussement qui nait tranquillement dans ma gorge. Je me racle la gorge et souffle  Ju-Ju-Juniorrrrr… J’ouvre doucement les yeux comme pour ajouter à la scène, comme si c’était dans mon dernier souffle que je prononçais son prénom. Une grande comédienne, il n’y a pas à dire. Mon regard croise celui, complètement paniquée, de la demoiselle et j’éclate de rire. Bouh ! Je me redresse rapidement, restant assise sur la glace. Je t’ai fait peur ? J’hausse les sourcils de manière répétée et exagérée. Elle y a vraiment cru ?

Je suis tellement paumée, que je ne reconnais pas que le sang, n’est pas du sang. Je suis enfermée dans un truc, hors de la réalité, la manique me fait débloquer. J’ignore ce qu’il me faut dire. Ce que je dois penser. Il n’y a rien qui va, je ne suis pas programmée pour ça, et l’espace d’une seconde, j’ai simplement envie d’appeler mon papa.

J’entends pas son gloussement, ni même sa gorge qu’elle racle, et l’entends prononcer, « Ju-Ju-Juniorrrrr… » voilà, elle va me claquer entre les doigts. Mes yeux cherchent les siens, heureusement que je ne suis pas vraiment émotive, sinon, je suis persuadée que je chialerai, putain.
Puis quand elle se met à rire, je suis choquée, autant que lorsqu’elle ose, « Bouh ! » sur les images, je fais un arrêt. Elle se redresse et moi, je cligne des yeux plusieurs fois. « Je t’ai fait peur ? » Assises toutes les deux sur la glace, face à face. Je regarde le liquide rouge et réalise de ce que c’est, j’aurais dû voir au premier coup d’œil que ce n’était pas de l’hémoglobine, bon sang. Alors ma paume pousse, avec force, j’espère, son épaule, quand je lui crache. « MAIS T’ES PAS NETTE ! » Ca ne tourne pas rond dans sa foutue tête. Je suis pas encore remise, et j’ai envie de l’étrangler. « T’es peut-être pas morte, mais ça ne saurait tarder. » Menace de pacotille, j’suis pire qu’une petite fille.

Je n’aime pas Halloween, je déteste avoir peur mais faire peur aux autres, ça me fait toujours rire. Peut-être que c’est ma façon de voir que mes peurs ne sont pas si illégitimes si d’autres les ressentent aussi ? Je ne sais pas, c’est définitivement quelque chose dont je devrais discuter avec ma thérapeute. Mais pour le moment, je me concentre sur Junior et la peur bleue que j’ai fait naître en elle. Je ne l’ai jamais vue si effrayée et c’est revigorant. Elle n’est pas que folie et innocence, il y a quelque chose de plus profond, qui me montre juste qu’elle est bien plus normale que ce que le commun des mortels essaye de nous faire croire. En tout cas, je ne tire pas le moment en longueur, ne pouvant retenir ce rire qui s’échappe finalement de mes lèvres. De toute façon, à part jouer la morte et la voir tenter un massage cardiaque suivi d’un bouche à bouche, je ne suis pas sûre qu’il y ait grande chose à faire. Quoi que, je suis supposée pleine de sang donc même ça… Ça ne serait pas idéal. Elle me repousse légèrement et je lui adresse mon plus beau sourire. MAIS T’ES PAS NETTE ! Oui, on me le dit souvent, qu’il me manque une case ou que j’ai du tomber un peu trop souvent sur la tête quand j’apprenais quelques pirouettes. Je peux vous dire que vu le nombre d’IRM que j’ai pu passer depuis ma chute aux JO, tout va bien. T’es peut-être pas morte, mais ça ne saurait tarder. Je la regarde avec un regard tendre et souffle Mais non, tu m’aimes trop pour ça. Vraiment, ça me fait rire comme jamais mais je retiens le gloussement guttural qui se profile à l’horizon. M’en veux pas, je testais une potentielle scène pour le spectacle d’Halloween des petites. Que je souffle rapidement, reprenant mon sérieux. Je me mets à genoux sur la glace et tends le bras pour attraper l’essui-tout caché derrière le pingouin. Il n’y a qu’un tout petit peu de ketchup sur la glace, ça partira facilement. Je peux te faire un câlin plein de ketchup pour me faire pardonner ? J’enlève le gros à l’aide de mon essui-tout mais il va tâcher sa tenue, c’est sur.

Je sens encore mon cœur qui tambourine de peur dans ma poitrine à cause de sa mascarade improvisée. J’en suis encore retournée et elle, elle sourit toujours comme l’illuminée qu’elle est. « Mais non, tu m’aimes trop pour ça. » Non, non, là, tout de suite, je ne t’aime pas. D’ailleurs, je te sers ma moue la plus boudeuse afin de te le montrer. Je ne trouve pas ça drôle du tout, on ne joue pas avec les sentiments des autres comme ça. On ne s’amuse pas avec la mort, en fait, donc je maintiens, elle n’est pas nette. « M’en veux pas, » je ne lui en veux pas, j’ai juste envie de l’étrangler à la force de mes doigts, « je testais une potentielle scène pour le spectacle d’Halloween des petites. » Bah putain.

Je la regarde tenter de se débarbouiller de la substance qu’elle a utilisée pour vous feindre sa blessure, et j’en suis toujours silencieuse, « Je peux te faire un câlin plein de ketchup pour me faire pardonner ? » Non ! Enfin, je ne le prononce pas, forcément, mais elle est pour maintenant, mon explosion. « Tu veux les traumatiser ?! » les gamines auxquelles elle réserve ce petit spectacle très… réjouissant. « Déguise-les en citrouilles, j’sais pas, » un truc ridicule qu’elles auront probablement honte de porter, « mais évite l’Olive morte. » à noter que les parents n’ont plus ne vont probablement pas apprécier. « Je sais pas si tu le mérites. » mon calin, parce que je suis encore vexée de m'être faite avoir comme la débutante que je suis. Je me suis déjà sentie ridicule dans la vie, mais c'est un peu plus élevé que d'habitude, aujourd'hui.

Assise sur la glace, les fesses qui se congèlent doucement, je tente de me rattraper après cette petite mascarade improvisée. Je tentais le tout pour le tout mais il semblerait que je doive plutôt m’abstenir de tout cela. J’hoche la tête quand elle parle de les déguiser en citrouille. C’est pas une si mauvaise idée. Peut-être mêler sorcières, monstruosités, citrouilles et autres personnalités qui font penser à Halloween. Mais le sang et ma fausse mort, on oublie. Seulement, quand elle parle de l’Olive morte, j’ouvre grand la bouche. Imagine, des olives écrasées sur la glace ! C’est la propriétaire de la patinoire qui va me détester et me faire payer le nettoyage complet de la glace une fois qu’on aura déchiqueté les petits fruits de différentes couleurs. Non, vraiment, il faut que j’arrête de vouloir trouver de très bonnes idées parce qu’elles s’annoncent toutes plus foireuses les unes que les autres. Je passe de mes fesses à sur mes genoux et la regarde avec le regard le plus apitoyant qui puisse exister. Vraiment ? J’en viens à retrousser les lèvres et battre des cils, comme si cela changeait quoi que ce soit. Moi, je le mérite pas ce câlin. Mais toi oui. Pour me faire pardonner. Et je crois que c’est pour cela que l’on s’entend aussi bien, Junior et moi. On est un peu sur la même longueur d’onde, quelques blagues par-ci par-là, une simplicité qui nous fait vivre, chacune à notre façon. Et comme pour l’inviter à accepter mon câlin, j’ouvre grand les bras. On ne peut pas faire plus accueillant.