pumpkin carving contest (taylow)

Je ne peux pas m’investir autant que je l’aimerais, mon travail me prenant déjà énormément de temps mais quand la responsable du service oncologie pédiatrique m’a parlé de ce petit concours, je n’ai que pu répondre présente. Creuser des citrouilles est une activité que j’affectionne tout particulièrement et à laquelle je me suis améliorée au fil des années. Au début, mes cucurbitacées avaient l’air d’être fait par un alcoolique mais l’année dernière, grâce aux années de pratique et à la lueur de la chandelle, on aurait dit que le fantôme creusé sur la citrouille dansait. Enfin, aujourd’hui, ce sont des dessins plus simples qui me seront demandés. Vêtue d’une robe noire bien épaisse, je me dirige vers le service en question et commence à tout mettre en place. Une citrouille par chaise ainsi que des feuilles pour pratiquer le dessin, quelques outils pour creuser mais aussi de la peinture. Après tout, les moins manuels pourront toujours dessiner des balais volants ou bien des sorcières en plein rituel un soir d’équinoxe. Deux citrouilles en mains, j’entends la porte battante claquer et lève les yeux pour croiser le regard du Dr Foster. La surprise est immédiate. Dr Foster ? Mais je croyais que vous ne travailliez plus ici ? C’est pourtant bien ce que l’on m’a dit lorsque j’ai amené mon petit frère aux urgences il y a quelques mois… M’aurait-on menti ? Ça n’a aucun sens.

J’avais besoin de douceur, même si ce service à une tendance à me faire mal au cœur, j’ai toujours du mal à me dire que je ne suis pas capable de sauver le monde entier. Le syndrome de l’imposteur. Mais parce qu’eux, ils ont besoin de baume à passer sur les leurs, j’ai accepté de participer. De passer quelques heures à creuser – massacrer – une citrouille et à faire semblant d’adorer ça.

J’ai un café à la main lorsque je traverse l’hôpital afin de changer de service, la tête pleine, et je jette une œillade à mon bipeur, simplement pour m’assurer que l’on n’a pas besoin de moi ailleurs. Rien à signaler, lorsque j’arrive face à la salle réservée à cette activité, je suis donc toute prête à m’y concentrer. Cela dit, à peine entrer dans la pièce, je me fais surprendre par une voix, « Dr Foster ? » Je relève les yeux vers elle et la reconnait, ma mémoire n’est pas près de dérailler, « Mais je croyais que vous ne travailliez plus ici ? » là, en revanche, je me permets de grimacer avant de boire une gorgée de café, une dose de courage, avant de m’expliquer, « C’était le cas, oui. » j’avais décidé de tout quitter, de croire que le Boston, ce n’était pas à Boston qu’il se trouvait. Sauf que même après une année et demi-partie, je ne sais toujours pas où il peut se cacher. « Je reviens d’Inde, » ce n’est pas un secret, « un voyage humanitaire. » Menteuse. De la vie ici, Taylor, t’étais juste peureuse.  

On a beau imputer un tas d’horreurs à ma famille, ce genre de choses, je l’ai toujours fait. Souvent en famille, rarement en solo comme c’est le cas aujourd’hui. J’avais besoin de m’impliquer sans restrictions. Plus on grandit et plus c’est difficile de se coordonner. C’est surtout tout sauf productif que de se limiter et cette après-midi de libre - que je m’impose parce que du travail, j’en ai à la pelle - je compte bien la mettre à profit. C’est une piqûre de rappel de ce pour quoi je me bats, un rappel que les heures que j’enchaîne ont une vie, en quelque sorte. Et lorsque je vois Taylor passer la porte, je ne peux retenir un large sourire. Je ne pensais pas la voir ici puisqu’aux dernières nouvelles, elle n’était plus médecin ici. Oh, ça doit être merveilleux là-haut. Entre la misère et l'opulence de certains noms, je ne doute pas qu’il y a une belle histoire à écrire. Et vous êtes de retour pour de bons ? Je le pense bien mais quand on est un médecin avec un tel cœur sur la main, Dieu seul sait où le vent nous portera. Moi, c’est en retrait que je travaille alors ici ou ailleurs, je ne fais pas vraiment de différence, ce qui n’est absolument pas son cas. C’est la grisaille de l’Amérique qui vous manquez ? Un léger rire s’échappe de mes lèvres alors que je continue de disposer les citrouilles sur les tables à hauteur d’enfants. Je lui adresse un clin d'œil, comme pour l’inviter à entrer dans la confidence, si elle le veut. On ne se connaît pas dans une sphère professionnelle mais des fois, c’est ce dont on a besoin : pouvoir juste parler à quelqu’un dont le jugement potentiel ne changera rien.

Ca me fait plutôt plaisir de tomber sur Willow, c’est le genre de personne que je connais assez pour me sentir, et que je ne connais pas assez, justement, pour me sentir jugée. C’est le parfait milieu. Un équilibre et une relation pas compliquée. Ca change de toutes les autres, de ce qu’on peut me reprocher. « Oh, ça doit être merveilleux là-haut. » L’inde ? Oui, ça l’est. Et quoi qu’on dise, malgré mon amour pour Boston, pour les Etats-Unis, mon cœur est affreusement attaché à mon pays d’origine. « Et vous êtes de retour pour de bons ? » La question me prend de court, les yeux posés sur mon café comme pour réfléchir. Est-ce que je le suis vraiment ? Est-ce que je vais reprendre mes jambes à mon coup à un moment ? Est-ce que je serais revenue si ma mère ne nous avait pas quitté ? J’en inspire longuement, je ne sais pas quoi répondre, c’est affligeant. Bon sang, Tay, t’as trente cinq ans. « C’est la grisaille de l’Amérique qui vous manquez ? » Et à son clin d’œil, j’ose lui rendre un petit sourire, me cachant derrière mon café le temps qu’elle mette en place les citrouilles pour le concours à venir. « On peut dire ça. » que je réponds finalement, mordant ma lèvre inférieure en un rictus indéterminé. « Des obligations familiales. » Le décès de ma mère, c’est ce que c’est, non ? Je n’arrive pas encore à le prononcer à haute voix. Je ne suis qu’une petite fille, je crois. Ca me fait trop mal, je ne réalise toujours pas. Et mes regrets remuent les plaies à l'intérieur de moi. « Et puis le charme de Boston a opéré à nouveau. » Amoureuse de la grisaille, c’est vrai. « Je pense que c’est définitif, oui. » J’ai décidé de ne plus fuir. De ne plus me laisser guider par mes peurs. Qu’il était temps de grandir.  

Les bons médecins, ça ne court pas les rues et je sais de quoi je parle. Travailler dans le milieu médical, c’est faire face à des rapaces, des opportunistes et des charlatans qui profitent de la détresse des gens pour s’enrichir. Je sais que c’est un peu le cas de ma famille puisque les traitements ont des tarifs exorbitants mais je connais le travail qu’il y a derrière une pilule et on ne parle pas en heures de travail. C’est quelque chose que les gens oublient facilement. Alors quand un bon médecin s’en va, c’est toujours une perte pour la communauté dans laquelle il exerçait. Revoir Taylor ici, à Boston, c’est une bénédiction. Et si personne ne lui a dit, moi je lui dirais. Oh. Que je souffle rapidement lorsqu’elle parle d’obligations familiales. À nos âges, ça n’annonce jamais rien de bon. Pourquoi ? Parce que nos parents ne rajeunissent pas et si nous faisons partis des chanceux qui ont encore leurs grands-parents, eux aussi se rapprochent d’une épreuve on ne peut plus définitive. C’est une belle ville, il n’y a pas à dire. Encore plus quand elle sera couverte de blanc. Et bon sang que ça va être difficile de voyager, de prendre la voiture et d’aller au travail mais j’apprécie toujours autant les tempêtes de neige, bien au chaud. Ce qui n’est pas le cas du personnel qui se démène aujourd’hui, comme n’importe quel autre jour, pour mettre un sourire sur le visage de leurs patients. Je suis ravie de l’entendre. Vous avez manqué à vos patients. Que je souffle de manière générale. Surtout à moi et ma famille en fait, je ne sais pas pour les autres. Mais j’ai peu de doutes qu’elle n’ait pas été accueillie avec les bras grands ouverts. De toute façon, je ne vous laisse pas repartir, c’est impossible. J’hausse les épaules avec un large sourire avant de finir de poser les citrouilles pour les enfants. Par contre, ne vous la pétez pas trop avec vos techniques parfaites avec un bistouri en mains. Ce serait complètement déloyal pour les pauvres gosses qui vont se retrouver avec des citrouilles bancales creusées par mes soins. Je lui adresse mon plus beau sourire en finissant les derniers placements de produits pour les enfants. tout ce qui est tranchant sera de notre côté, bien entendu. J’ai hâte de voir les sourires sur leurs visages, de voir les visages que je n’ai pas vu depuis quelques semaines et mois pour certains. Aucun d’eux ne sera jamais Anastasia mais si je fais ce que je fais aujourd’hui, c’est pour chacun d’entre eux.

Raisons familiales, personnelles… C’est la formule consacrée, la meilleure façon de détourner. Ca vaut mieux que de prononcer ; Ma mère est morte, j’ai du revenir gérer ce que j’ai fuis toute ma vie. « C’est une belle ville, il n’y a pas à dire. » Oui, Boston a volé mon cœur il y a des années déjà, et peut-être que ça fait partie de mes plus gros regrets, « Encore plus quand elle sera couverte de blanc. » Comment pourrais-je la contredire ? J’aime la neige plus que ce que je ne pourrais jamais le dire. Même si j’ai été victime d’un accident lors d’une tempête, même si j’en garde une cicatrice… Il n’y a rien de plus magique. « C’est vrai. » que je prononce pour me contenter de l’approuver, et je reste malgré tout surprise quand Willow se montre si enjouée quant à mon retour au pays. « Je suis ravie de l’entendre. Vous avez manqué à vos patients. » Mais le problème n’était pas les patients, le souci venait de mes connaissances, de mes amis… Je ne suis sure pas certaine qu’eux, soient ravis. « Surtout à moi et ma famille en fait, je ne sais pas pour les autres. » J’en craque un sourire en soupirant, ça me touche, forcément. « De toute façon, je ne vous laisse pas repartir, c’est impossible. » Elle hausse les épaules et j’en bois une gorgée de café. Je crois que j’avais besoin de ça, même si je n’avais pas réalisé d’à quel point c’était le cas et j’espère que mes lèvres étirées la remercient pour moi. Une personne qui est tout simplement heureuse que je sois à nouveau là. « C’est gentil… » et même plus, je le ressens au plus profond de moi. « Par contre, » j’en fronce les sourcils, surprise par cette accroche, finalement, elle n’est peut-être pas aussi contente, n’est-ce pas ? « ne vous la pétez pas trop avec vos techniques parfaites avec un bistouri en mains. » Une expiration de soulagement plus tard, je me mets à rire, « Ce serait complètement déloyal pour les pauvres gosses qui vont se retrouver avec des citrouilles bancales creusées par mes soins. » Toujours en train de rire, je secoue le visage par la négative. « Promis, je vais faire un effort pour faire des citrouilles affreuses. » et après tout, est-ce que ce n’est pas ce qu’on attend pour célébrer comme il se doit Halloween ? « Je ne vais pas me risquer à énerver la seule personne qui semble bien prendre mon retour à Boston. » C’est triste mais j’ai une tendance à croire que plus j’y pense, plus c’est vrai. Et pour justifier ma phrase, à lui dire, je m’égare, « Je n’ai pas manqué à tout le monde. » et balaie mes mots d’une main, directement, l’air de rien.