ZADEN JOYNER › désiré quadjo mia

April 3rd 2021
L.A, Santa Monica Boulevard

- Zac Joyner ? 
L’intéressé lève la tête, sourcille et s’avance dans la pièce exiguë qui complétait le ridicule du lieu. Posture assurée, désinvolte, l’aura du grand gaillard appelé criait l’apathie. Sur le chemin, il ne se retient pas de retourner le regard noir de ceux qui le jugent sans discrétion - ses concurrents. Ils étaient au bon nombre de vingt ici, si ce n’était pas plus - impossible de compter les lâches qui se préparaient inlassablement dans le placard à balais.
- Entrez et placez vous sur votre ligne. 
L’assistante aussi agréable qu’une porte de prison le pousse dans le le trois mètres carrés de murs. En face de lui, trois personnes, nez plongé dans de nombreux portraits ne daignent à peine lui accorder l’attention méritée. Le dénommé Zac fronce les sourcils.
- Commencez. 
Les sourcils froncent davantage, la bouche muette, tirée en fine ligne renfrognée.  
- J’ai dit : commencez. 
La riposte ne tarde pas à venir, aussi vif qu’un tir de balle.
- Quand vous oserez m’regarder dans les yeux. 
Et à peine les mots franchirent ses lèvres qu’il se maudit, que la voix de sa très chère agent résonne dans sa tête : Putain Zade, si tu veux gagner ton ticket d’or pour la célébrité, être aimé, apprends à te la fermer pour ne pas te mettre à dos tous les directeurs de casting de Los Angeles. Et il lui répondait, constamment, sur le même ton exaspéré le même refrain : J’en ai rien à foutre d’être aimé, j’veux juste interpréter des rôles, jouer, être acteur quoi. Réponse traditionnel du jeune naïf, récemment envolé sur la terre des anges, les étoiles pleins les yeux, les rêves pleins la tête, l’illusion encore bien encrée. Lui qui pensait que l’art suffisait, le talent, refusait encore d’échanger son intégrité et sa franchise pour lécher les bottes du prochain directeur, dont le talent n’était pas questionné de par son lien familial avec ce grand réalisateur hollywoodien que tout les studios s’arrachaient. Naïveté, naïveté. Dix-neuf ans et il pensait révolutionner le monde, mini Joyner.
- D’où tu viens, bonhomme ? 
Un des trois mousquetaires, piqué à vif, balade enfin ses iris sur la silhouette devant lui. Le ton agacé, les pupilles on ne peut plus dilatées - sans doute par le déplaisir et par un autre facteur que les habitants aussi d’ici s’arrachaient autant que les réalisateurs connus aka poudre de Blanche Neige.
- Milwaukee, Wisconsin. 
Claire, nette et concise la riposte tandis qu’il sentait trois lourds regards le déshabiller de la tête aux pieds. Instinctivement, il se renferme davantage.
- Hm… Zac Joyner, c’est ça ? 
Pseudonyme que son agent lui avait conseillé sous prétexte que Zac était plus facilement mémorable que Zaden ou Zade pour un grand acteur de renommé. Et il avait accepté, sous la seule condition que son nom de famille reste inchangé. On ne touchait pas à son nom de famille, c’est celui de Maman, de son frère, de sa soeur, de sa racine, de sa vie et il compte l’honorer jusqu’à ce que le souffle lui en soit retiré. Aucun reste du paternel, tout hérité de la maman qu’il chérit plus que tout.
- Merci pour ta venue mais tu n’es pas ce que nous recherchons. 
Deux minutes et trente trois secondes. Deux minutes et trente trois secondes, il avait compté grâce à l’horloge de fond qui résonnait dans la salle ridiculement exiguë, l’unique bruit qui venait tâcher cette parfaite encontre qui serait, sans aucun doute, revisité et discuté par les trois pies à l’heure du déjeuner.
- Et vous recherchez quoi exactement ? L’prochain clébard stupide prêt à s’mettre à quatre pattes devant vous et vous lèchera l’pied sans poser de questions ? 
Le coup de feu avait été encore une fois tiré plus vite qu’il n’avait réfléchi. Maudit soit son caractère. Mais les termes dorénavant posés, il tient sur sa position Zade, ose même croiser les bras en signe de défiance.
- Nous recherchons un.. autre physique plus avantageux.
Silence.
- C’est ton premier casting ? Il reprend.
- Non.
- Depuis combien de temps t’es dans le business ?
- Vous avez mon CV, dit-il au tac au tac.
Impertinent. Un sourire insincère peint le visage botoxé de la seconde pie du milieu, sourire qui disparaît aussi vite qu’il n’est apparu. Zaden ne l’a aperçu uniquement parce qu’il était irrévocablement attiré par tout geste de provocation et ce type de sourire, était considéré comme un classe deux de la provocation. Classe un étant le coup de poing imprévisible dans une confrontation houleuse et classe deux étant.. tout le reste.
- Le Wisconsin ne te manque pas ?
Zaden arque le sourcil, loin d’être naïf sur ce plan là, le sous-entendu dans cette question presque innocente. Le croc du loup habilement préparé sous le costume de la chaste gazelle.
- Ca va merci, j’me plais bien à L.A.
- Etre serveur dans le bar miteux de votre quartier, accumuler trois boulots médiocres pour survivre, enchaîner les auditions désastreuses - en ajoutant celle-ci, en espérant devenir un jour le prochain Michael B. Jordan [...]
- J'ai plus des airs à la Tom Cruise, mais soit qu’il assène dans un murmure cynique d’un rictus amusé en direction de la première pie, muette.
- [...] te plaît réellement, Joyner ? Tu veux un conseil d'ami ? Je peux te le dire d'avance que t'as aucun avenir dans ce monde, te fais pas plus de mal et retourne à Milwaukee ou dans ton minable job de serveur ou tes minables études pour espérer avoir un semblant de vie dans le futur.
Le chauve - détail peu important mais assez perturbant étant donné que Mme Irma elle-même pouvait utiliser sa tête lustré pour y lire l’avenir - perpétue ses attaques. Zaden ne s’en démord pas, ne perd pas la face en surface. Quand il était à l’école, sa maîtresse avait cité son ‘entêtement perpétuel’ comme une qualité qui le perdrait sans doute dans le futur. Et entêté qu’il était, Zaden avait décidé de mémoriser que la partie ‘qualité’ de son avis. Un trait de caractère qu’il a cultivé avec amour et tendresse toute son adolescence, il se ferait un plaisir d’honorer sa maîtresse d’école de primaire et sa plus grande qualité aujourd’hui.
- Déglinguer tous les acteurs c’est un passe-temps favori ou je suis votre unique et heureux élu ? Vous savez, ma mère, mon frère m’ont appris à viser l'plus gros lot et le fait est que j’adore apprendre, j’adore appliquer les leçons. On ne fait pas que simplement me dire que je suis capable de tout Mr Le Chauve, on me l’a appris, on me l’a inculqué, je l’ai démontré plus d'une fois ; si vous prenez la peine de lire les quelques lignes sur mon CV, vous saurez ce dont je suis capable, les rôles dans les films à succès que j’ai réussi à décrocher en moins d’un an. Je sais ce que je vaux, les boulots d’merde et les cours ne sont que d’passage et vous emmerdent. Et si vous êtes trop aveugles ou trop cons pour vous en rendre compte, ce n’est clairement pas mon putain de problème.
Quelques secondes plus tard, la porte claque sans ménagement. Et quelques heures plus tard, son agent le maudit de tous les noms par téléphone.