anecdotes
un la petite famille de seoho, qui semblait jamais complète. les parents absents, à courir après le moindre travail dans tout le pays, c'est à se demander comment ils ont eu le temps pour te concevoir une petite sœur. suhee, la dernière, de trois ans ta benjamine, soleil de ta vie, trésor à protéger, celle qui t'a toujours donné envie d'avancer, de rester sur la droite lignée. puis cette grand-mère veuve, c’est elle qui vous a élevée, à vous donner tout l'amour qu'elle pouvait et essayer de vous éduquer au mieux pour que vous deveniez de bonnes personnes. sa mission principale a toujours été de se donner afin que vous ne manquiez de rien, malgré les sous qui se faisaient maigre. vétuste maisonnette accolée à son petit restaurant duquel émanait quotidiennement les odeurs des plats locaux qui te faisaient toujours saliver, l'enfance n'avait pas été si malheureuse, en somme. jouer dans les flaques d'eau, attraper des insectes au filet, couper les légumes pour aider mamie, se raconter des histoires d'horreurs avant de dormir une fois la lumière éteinte. plutôt trio que quintuor, mais au moins, tu savais sur qui tu pouvais compter. › deux l’aisance pour les mathématiques, depuis petit. l'amour des nombres, jouer avec, et l'ennui en classe pour toutes les autres matières. l'intérêt qui revenait lorsqu'on te demandait de résoudre des problèmes, de calculer, de trouver le x mystère. calculer combien de bonbons tu pouvais avoir pour quelques won, ou combien de kilos de légumes il fallait à mamie pour préparer le service du midi. peut-être ta curiosité qui parlait, le besoin de chercher, de comprendre, de trouver, que les énigmes se transforment en de simples histoires. puis quand t'arrivais au collège, ce sont les codes qui t'intéressaient le plus. comprendre rapidement que la programmation était la porte ouverte à un tout nouveau monde, où tout était possible, où tu pouvais tout réaliser. te mettre à apprendre les différents langages, tester des choses, traîner sur internet pour trouver des aides et des tutoriels sur des forums un peu sombres. qulbutoké, le pseudo pas très recherché que tu arbores aujourd'hui encore, la réputation qui s'est agrandie petit à petit au fil des années. › trois plutôt bon en danse, bizarrement. le talent dont personne ne s’attendait. ta sœur qui arrivait un jour après l'école, du haut de ses onze ans, à vouloir s'inscrire dans un club pour danser comme ses copines, jouer à l’idol dans la cour de récré, et la difficulté de lui dire que ce rêve était impossible. compliqué de devoir briser l’enthousiasme d’un enfant, de parler budget et de trouver comment serrer un nouveau cran à sa ceinture. t’avais que trois ans de plus, mais déjà, tu comprenais. alors tu t’es donné un mois. le club c’était pas possible, mais si elle voulait danser, elle danserait. tu t’entraînais après l’école, entre les murs de ta chambre, youtube en fond à tenter de suivre n’importe quel cours gratuit qui pourrait t’apprendre les pas de plusieurs chansons du moment. capter les techniques, les pas, sentir les courbatures dans ton corps - parce que vraiment, t’avais pas l’habitude de bouger comme ça, sentir des muscles que tu ne connaissais même pas. rendre les piquets qui te servent de jambes plus flexibles, se sentir con devant le miroir - tout pour le sourire de ton ange sur terre. › quatre ta petite vie, à osciller entre rester discret et ne pas te faire voir en cours, aider ta grand-mère au restaurant certains soirs et le weekend, programmer une bonne partie de la nuit à suivre des tutoriels ou échanger avec des gens aussi anonymes que toi, tenter de pas s’endormir au fond de la classe lorsque le cycle d’une nouvelle journée recommençait. le message des parents quelquefois dans l’année, le souhait d’un anniversaire quelques jours en retard, les pavés de bonne année impersonnels et les quelques cadeaux par-ci par-là - un nouveau clavier pour ton ordinateur, le dernier portable à la mode pour ta sœur - qui n’effaçaient en rien les années d’absences prolongées. la profonde envie de pouvoir ressentir de la joie de les voir réussir, de l’affection pour ces deux humains, comme l’éclat d’un espoir qui réunirait la famille une bonne fois pour toute. la fatalité de savoir que ce ne serait jamais le cas, la rancune de ne jamais s’être senti assez pour les faire s’intéresser, pour les faire rester - juste deux géniteurs, qui profitaient de la grand-mère paternelle pour pas gâcher leurs jeunesses et leurs goals de carrière. › cinq t’aimais bien, travailler dans le restaurant. tu ne pouvais pas cuisiner pour un sou et ça ne payait rien du tout puisque tu étais plutôt là pour alléger les épaules de mamie, mais c’était de bons moments. toi et ta soeur assis à écouter les derniers potins du lycée de cette dernière, alors que vous épluchiez les légumes, la playlist kpop qui tournait en fond. mamie, qui racontait les histoires de son temps, de la guerre d'antan, de sa rencontre avec papy, pendant que vous étiez tous les mains dans le chou à réapprovisionner le kimchi. l’odeur de nourriture toujours présente, à toute heure de la journée, comme un rappel que même si l’argent ne coulait pas à flot, au moins, vous mangeriez. les services à ramener les plats, la façade sociable qui reprenait le dessus, à faire la conversation avec les vieilles mamies qui cherchaient à te caser avec leurs petites filles. devoir parfois faire le gros dur malgré ta tête d’adolescent, devant les gens aux uniformes respectables qui avaient un peu trop picolé et s’emportaient vite ou ne voulaient plus payer. peut-être comme ça que t’as appris que malgré ta nature calme t’avais une flamme en toi qui pouvait prendre le contrôle et lancer le poing. différent face à ta sœur, lorsqu’un jour elle a voulue tenter de faire sa crise d'adolescence, la rébellion futile à vouloir sortir en soirée comme une grande fille, l’insolence dans la voix, et toi qui l’attrapait par l’oreille, avançait de quelques pas vers mamie, et le excuse-toi lâché, haut, clair, sans équivoque - réduisant à néant son essai. pas toujours facile, d’être au final l’homme de la famille, les épaules étaient fragiles. › six l'envie de changement, l'envie de grandeur. les notes qui ont toujours été bonnes malgré l'ennui, pas l'envie de décevoir la mamie, ni de lui apporter des problèmes en plus de sa vie quotidienne. espérer qu’elle puisse se vanter un peu devant les autres grand-mères habituées à venir se retrouver autour d’un bon bibimbap. envie de continuer à rester pépère derrière son ordi, peut-être une bonne université à séoul qui pouvait être le remède, si t’arrivais à passer ton suneung. harvard, que poussait mamie, le rêve américain plein les mirettes, à vouloir le meilleur pour ton avenir. trop cher, que tu t’évertuais de lui rappeler, baissant les yeux pour n’pas croiser le regard déçu alors qu'elle s’épuisait chaque jour et voulait tout te donner depuis que t'étais né. tu n’voulais pas lui donner l'impression qu'elle n’en faisait pas assez, que c'était de sa faute si vous étiez coincé ici. alors tu te concentrais sur l’examen final, la vision des bancs d’harvard se posant dans un coin de ta tête dès que tu t’autorisais à penser à plus loin que les possibilités locales. dix-sept novembre 2016 le jour fatidique. le résultat en décembre. obtention. › sept puis le jour qui t’a fait vriller. le soleil de ta vie devenu orage, les larmes inconsolables en cascade sur ses joues, le teint pale, si blanc, comme malade - l’anxiété qui la rongeait depuis quelques semaines déjà. et t’aurais peut-être du plus creuser quand t’avais vu les signaux. elle parlait moins, elle mangeait peu, comme si la vie était devenue d’un coup fade. plus l’envie d’aller au lycée - mais ça, tu comprenais, à quinze ans, qui avait envie d’y aller. à penser que c’était qu’une façade, qu’un des nombreux bas dans l’adolescence qu’il fallait surmonter - pas vouloir trop la brusquer si elle ne souhaitait pas te parler. tu voyais rouge, pourtant, quand enfin elle ouvrait la bouche. ta sœur qui avait voulu quitter son copain, et lui qui s’était vengé. victime de photos sexuelles trafiquées, postées sur internet à la vue de tout le monde qui pouvait tomber dessus, la voix qui tremblait alors qu’elle avait honte. pas de sa faute, d’être tombé sur la pire des ordures, d’avoir fait confiance à quelqu’un qu’elle pensait sincère et sain. ton câlin qui l’écrasait presque, à vouloir absorber sa peine, créer une bulle de protection tout autour d’elle. ta première envie, c’était de l'emplâtrer, ce mec. mais tu savais que la satisfaction ne serait que passagère, l’euphorie trop éphémère, les fausses photos toujours partagées. c’est là que ta vie en un sens basculait. › huit c’était juste après le lycée. pas l’argent pour se payer harvard, tu savais qu’il y avait des bourses, mais tu ne voulais pas devoir puiser le reste sur le salaire minime de mamie. alors même si t’avais récolté des lettres de professeurs dans l’optique de monter un dossier, t’avais finalement baisser les bras. juste pour un ou deux ans, tu te disais, l’année sabbatique à but premier d’amasser un peu de billets. les jobs de serveurs, en premier, déjà l’aisance sur le métier. puis quand quelques mois après ta sœur a vécu ça, t’as trouvé ton ordinateur vite fait. le hacker qui supprimait les photos compromettantes. accompagné d’un petit virus pour récolter les informations personnelles de l’ex. au cas où. pas mauvais garçon, juste prévoyant. mais ça a continué après ça. une amie de ta sœur qui rencontrait le même souci quelques mois plus tard. puis la connaissance de cette amie qui se retrouvait victime de revenge porn encore après ça. pas le temps de faire l’étonné, quand la corée du sud faisait face à plus en plus de scandales sexuels numériques d’année en année. pays conservateur et patriarcal, où les groupes antiféministes prenaient plus de places, t’espérais être un petit pion pour le bien, mettre tes talents en œuvre pour lutter contre le chantage sexuel et les deepfakes, devenant un expert dans l’art de supprimer les photos et les informations. la mise en place d’un site où tu pouvais être anonyme et venir en aide à celles qui se retrouvaient démunies et sans solutions. alors à ton échelle, t’étais là. › neuf seulement voilà, faire le sauveur, devenir le white knight de l’internet, ça ne payait pas. pas assez hypocrite de faire payer les victimes pour tes services, les mois qui continuaient de s’écouler, une année sabbatique qui devenait deux. si l’entraide et la légalité ne payait pas des masses, tu devais passer à la vitesse supérieure. commencer à vendre sur certains forums de hackers des programmes pour voler des mots de passe, revendre des données personnelles à d’autres pirates, rapporter des failles de sécurité pour les sites qui proposaient une compensation. slalomer entre légalités et criminalités, restant léger, pas assez pour causer des milliards de pertes ou se faire prendre par les autorités. pas encore. le risque zéro n’existait pas, le stresse restait là, couche superflue de ton corps, tu faisais juste assez pour gagner de l’argent qui ne paraîtrait pas suspect - après tout, tu ne volais pas toi-même ni ne blanchissait de l’argent. tu voulais juste pouvoir intégrer harvard sans mourir de faim et en t’assumant toi-même une fois sur place. puis en septembre 2019, à 21 ans, tu entrais en première année à harvard en computer science. › dix c’était difficile de quitter ta sœur et ta grand-mère. quitter le pays pour un autre, changer complètement de continent, si différent de là où t’avais toujours vécu. t’avais jamais vraiment voyagé, la connaissance et la vue des autres pays dans les livres de classe et sur les pages d’internet majoritairement, c’était impressionnant, de partir tout seul. juste pour voir la fierté dans les yeux de la grand-mère. à toujours croire en toi, à te pousser, à pas vouloir voir ton talent pourrir là-bas sans perspectives d’avenir. alors avec tes valises, ta bourse et ton visa, t’arrivais à boston. aller en cours, trouver un travail à côté pour économiser - mettre dans le compte à la sœur pour espérer qu’elle vienne te rejoindre. tu continuais d’aider les femmes que la vie mettait sur ton chemin, comme une représentation de ta sœur à chaque fois qu’une nouvelle se présentait - l’envie de les protéger, peut-être pour ça que t’étais gay. être en amérique réveillait peu à peu ton côté activiste, et tu te mettais à militer pour les causes qui te faisaient vibrer, parfois en allant en manifestation - les autres fois en restant caché et anonyme, derrière ton écran, les messages de propagandes ou les attaques contre les sites que tu trouvais abjectes. toujours en demi mesure, trop frileux encore pour voir le FBI frapper à ta porte.