stained glass ─ Rosace

Où est passé la chaleur des rires et des étreintes comme ils les aiment tant ? Dans cette même pièce où il y a eu leur tout premier baiser, les premières caresses, il n'y a plus que les ombres froides de la rancune et de la solitude. Pour lui, comme pour elle. Et Ace est trop ravagé par ses démons pour songer au fait qu'elle a sûrement parlé avec Cassie. « Je pense plutôt que t'es venue t'assurer de la véracité des propos de Veritas. » Son poing se serre sur la clé qu'il ne veut pas garder malgré la colère. « T'oses pas me demander mais c'est ce que tu veux absolument savoir, non ? Savoir si j'ai vraiment fait tout ça. Ça vous rendrait plus légitime dans votre colère, Amore et toi, de savoir que c'est vrai ? » Il se rappelle lui avoir dit qu'il avait des envies de vengeance ; avoir rompu. Pour la préserver de ses conneries, de ses ratés. « Et si c'était vrai ? » Pourquoi tu crois que je te repousse ? Mais il ne veut pas qu'elle disparaisse.

et si c'était vrai ? le regard s'intensifie. les battements s'accélèrent. la question tant redoutée refait surface. tu l'utilises comme un bouclier. comme une arme. jouant dessus quand ça te chante. l'utilisant quand t'as besoin de te protéger. pratique. encore une fois, tu remets en doute mes intentions. t'aime penser à ma place. pourquoi j'm'embête à te répondre ? quand t'es en mesure de répondre à tes propres questions. ça me gave. et j'pense que tu dois bien le ressentir. ─ j'avais oublié que t'étais mentaliste. ou que tu pouvais lire dans mes pensées. tu sais quoi, t'es tellement convaincu de ce que j'pense et ressens que j'vois même pas la peine de te répondre. tu connais déjà la réponse non ? ou alors t'attends juste que je pose la question. pour répondre ce que je n'ai pas envie d'entendre. te servir de ça pour m'éloigner encore plus. c'est ça ton but non ? me repousser. encore et encore. fallait le dire plus tôt. que j'étais plus la bienvenue. ─ si c'était vrai... tu dégages de ma vie. et moi de la tienne j'ajoute calmement. la voix tranchante. si cette merde disait vrai, t'aurais eu envie d'aller voir ailleurs. d'en toucher une autre. cette vérité là, elle est insupportable. douloureusement terrifiante. j'veux pas savoir la réponse. j'veux pas pleurer encore une fois pour toi. parce que mes larmes, tu les mérites pas.

Tu dégages de ma vie. Et moi de la tienne. Le rythme cardiaque d'Ace s'accélère alors qu'il pèse le poids de ces mots. Elle va l'abandonner. Il veut la repousser, mais c'est différent quand c'est elle qui choisit de partir, plutôt que lui qui la repousse, et ça le terrifie. Ça le terrifie, parce que cette nuance veut dire qu'elle n'a plus besoin de lui, qu'elle ne veut plus de lui, et qu'elle ne le récupèrera pas quand il ira mieux ; que tout ce qu'il disait le dimanche précédent, ça passe à la trappe. Mais y'a aussi cette rage, au fond du ventre. Cette colère inexplicable face à ce sentiment d'injustice dont la source est lointaine, et qui n'est pas Rose. « C'est... » Il commence, incertain, nerveux, et inspire. « ... à moitié vrai. » Parce qu'il voit dans son regard que cette blessure, en plus d'être la dernière, serait la pire, et que malgré tout, l'affection l'arrête dans son élan. Après une lente expiration, il reprend la parole. « Lyssandre c'était avant toi, et juste une expérience. Fallon... » J'ai eu envie. L'hésitation est peut-être de trop, criante de vérité. C'est complexe. Et finalement, cette fois-ci, il peut pas inverser les rôles. C'est lui qui a merdé, encore. « Samedi dernier. » Coupable ; la veille de leur rupture. Il ment, ne dit pas qu'il n'a pas couché avec. Mais c'est tout comme, non ?

c'est à moitié vrai. pensées parasites qui s'effacent instinctivement. pour se recentrer sur tes mots. sur chaque syllabe prononcée par tes lèvres. le souffle qui se tarit. le myocarde en attente d'une sentence. conséquences d'un attachement qui n'aurait pas dû exister. me laisser attendrir. te laisser entrer dans ma vie. envahir ma tête. j'aurais pas dû le faire. pas si tu continues sur cette voie. ne dis plus rien. arrête-toi là. cesse de créer encore plus de dommages irréparables. dès que t'auras balancé ta vérité, y'aura plus de retour en arrière possible. tu le sais, non ? alors tais-toi. j't'en supplie. fallon. j'me sens presque suspendue à tes lippes. comme si les prochains mots détermineraient l'avenir de notre relation. ton hésitation est perceptible. l'attente est insoutenable. désagréable. les scénarios s'entassent dans mon crâne. une image en particulier qui me révulse. j'serre les poings, vilenie plantée dans le regard. samedi dernier. la sentence tombe. s'abat violemment. j'vois flou. j'entends à peine ma respiration. encaisse le coup. subissant un moment d'absence. quelques secondes où j'suis plus face à toi. où j'demeure sourde à cette réalité. ─ il s'est passé quoi avec elle ? porte tes couilles et dis les termes. j'me souviens pas t'avoir frappé. la gifle est partie d'elle-même. incontrôlée. les iris qui respirent la rage. la déception qui tord le visage. y'a plus rien qui va. j'suis en train de me perdre. dans mes pensées. dans mes gestes. j'perçois les tremblements. mais y'a rien que j'puisse faire. si ce n'est attendre que tu m'achèves, une bonne fois pour toute.

La gifle est partie subitement, alors qu'il ne l'a pas vue venir. Il n'a même pas pensé à ça. Son visage se tourne, la joue le lance et s'il est surpris, c'est plus par la puissance de la gifle que pas son arrivée. La surprise disparait bien vite cela dit, surtout quand il sait qu'elle lui demande des mots difficiles. Des mensonges. L'espace de quelques secondes, il hésite à tout nier en bloc, juste pour pouvoir la retrouver chez lui, le matin au réveil, sous la douche, dans ses bras devant la télé, assise à la table en train de travailler et mordiller son crayon ; mais il se rappelle aussi de ce matin, de la honte, la crasse, l'expression terrifiée de Brinley. Alors il inspire, et se fait violence. Enterre-les. Son visage se tourne vers elle à nouveau ; étouffe-le. L'expression du visage est froide, indifférente. Il enterre les émotions, étouffe le coeur et ses plaintes, dissocie ses désirs de ses priorités. Il balance son mensonge comme une sentence, et ignore le cri étouffé du coeur qui lui dit de ne pas le faire et de s'arrêter tant qu'il le peut encore. « J'ai couché avec elle. » Glacial.

j'ai couché avec elle. vérité qui frappe brusquement. foudroie le cerveau. carbonise le coeur. supprime les pensées rationnelles. voile obscur qui transparait sur mes rétines. absence totale de lucidité. simplement ébranlée par tes mots. le corps qui se tourne pour attraper le premier objet à portée de main. un verre. ou un vase peut-être. rien à carrer. j'le balance contre le mur d'en face. deuxième objet qui subit le même destin. ton visage sera certainement le troisième à passer. si j'me contrôle pas avant. si j'me calme pas. ─ PUTAIN j'hurle presque. de tous, fallait que ce soit toi qui me renvoie mon karma en pleine face. ravale ce putain de je t'aime qui crève d'être dit depuis quelques jours. recrache juste la haine. conserve les bonnes émotions. ne montre que le négatif. le corps qui lâche, les jambes qui se dérobent. contre le mur. ça cogne trop fort. dans la poitrine. dans les veines. dans le crâne. faut que ça s'arrête. les mains qui tiennent péniblement mon visage. fardeau. tableau pitoyable. celui d'un premier coeur brisé qui saigne. sans pansement à proximité.

Le verre s'envole et Ace a un mouvement de recul en pensant qu'il va être la cible, les bras se levant automatiquement pour se protéger ; mais ça va sur le mur derrière lui. Rose explose de colère, de douleur, et Ace est témoin de la destruction que son mensonge cause. Il esquive un deuxième objet, et la panique le prend à son tour. « Rose ! » Il l'appelle vainement, et regrette presque ses mots, sur le moment. Par réflexe, pour éviter qu'elle ne détruise plus de choses, et surtout qu'elle ne se blesse, Ace l'attrape rapidement et vient la bloquer dans ses bras, l'accompagnant contre le mur, genoux au sol. « Je suis désolé... » Il l'est, profondément ; de mentir, de lui faire du mal, d'être autant une tare dans sa vie au lieu d'être un plaisir. Il la serre fort, même si elle se débat, et il ne la lâchera pas jusqu'à ce qu'elle se calme ─ ou qu'elle le blesse suffisamment. Il l'aime.

l’esprit qui se fissure. morceaux éparpillés dans l’abîme. dans cette noirceur devenue familière. la tête qui explose. le coeur qui implose. forcée de faire face à cette réalité insupportable. irrespirable. insurmontable. percevant à peine tes bras qui m’entourent. le corps parcouru de tremblements. les larmes qui entravent la vue. se déversent. le trop-plein accumulé depuis quelques jours qui se déchaîne. — me touche pas j’hurle, la détresse dans la voix. tentant de te repousser. quand j’réalise que t’as eu le culot de venir jusqu’ici. de me dire que t’es désolé. trop facile. encore une fois. bras qui tentent de se dégager de ton étreinte. mais tu serres plus fort en retour. et ça accroît davantage cette répulsion à ton égard. — tu me dégoûtes. t’es qu’un putain d’enfoiré. tu me dégoûtes. je te déteste putain. dégage. lâche moi. la voix qui supplie presque à la fin. ne supportant plus d’être proche de toi. tu te rends pas compte à quel point tu me tortures encore plus ? comme si ton étreinte allait racheter tes erreurs. au contraire, ça me donne davantage envie de t’envoyer chier.

Ce mensonge fait si mal ; il est si injuste. Cruel. Mais les vagues de doutes vont et viennent, lui disent parfois que c'est la solution, d'autres fois que ça ne l'est pas. Il la sent se débattre alors qu'il resserre son étreinte, et Ace encaisse ses injures comme des vérités qu'il mérite d'entendre. Y'a aucun déni, aucun refus, juste des blessures justifiées par celles que lui-même a causé. Et la petite clé, dans sa main, et revenue se glisser dans les affaires de Rose, discrètement, comme un refus de l'abandonner complètement. Peut-être qu'elle la jettera une fois qu'elle s'en rendra compte, peut-être qu'elle la gardera. Il en sait rien ; mais au moins, elle l'a, alors qu'il la serre une dernière fois avec force, s'excusant encore de l'avoir trahie de la sorte ─ puis il la relâche soudainement, la libérant de son contact et sa présence. Relevé soudainement, il fait quelques pas en arrière, le regard baissé, et l'invite à partir. « ... tu ferais mieux de partir. » Avant qu'il ne change d'avis, et avant qu'ils ne se déchirent davantage entre eux. Comme pour l'encourager, Ace tourne les talons, montrant son dos, et disparait dans sa chambre où il ferme la porte, la laissant causer le carnage qu'elle souhaite avant qu'elle n'accepte de partir.