stained glass ─ Rosace

Calmé. De retour chez lui. Brinley avait ramené Ace en sécurité, et lorsqu'il parvint à lui assurer qu'il irait bien et que c'était passé, elle était partie, non sans vérifier ponctuellement par messages que tout allait toujours bien. Le téléphone récupéré, Ace avait pu lire les messages reçus pendant son absence, puis était parti se doucher, et avait mangé rapidement, malgré la faim qui le tiraillait encore ─ l'appétit n'était pas au rendez-vous. Et quelques heures plus tard, il entendait des clés s'insérer, et la porte s'ouvrir, pour dévoiler la présence de Rose. Ace était debout, devant la porte de la chambre dont il sortait, quand son regard croisa le sien. Et, d'un ton détaché, presque trop froid, il ne daigna pas la saluer avant de vaquer à ses occupations : ranger. « J'vais bien. »

décision prise sans réelle réflexion. tu étais revenu. information qui plante toutes les autres. qui empêche de rester raisonnable. qui me pousse à venir jusqu'à toi. bien malgré moi. j'pousse ta porte d'entrée, sans grande conviction. sans savoir quoi dire. ni quoi faire. la déception, elle voile le regard. obscurcît le jugement. protège le myocarde. surtout quand tu m'ignores délibérément. me rendant insignifiante. inutile. ─ ouais j'vois ça. réponse toute aussi froide que pouvait l'être ton être à mon égard. le ton qui se voulait encore plus condescendant. ─ faut croire que j'ai été encore trop conne de m'inquiéter pour toi. t'en avais pas besoin.

S'inquiéter pour lui. La belle affaire. Il y croit pas, Ace, alors il s'arrête dans son mouvement pour ouvrir un tiroir. Il le referme, en même temps qu'il tourne le regard vers Rose et l'observe avec une sévérité qu'il ne lui a probablement encore jamais adressée. Ses pas lents le rapprochent progressivement et il se plante devant elle, soutenant son regard ; c'est pas le même Ace. « Vas-y. Pose ta question. Celle qui te brûle les lèvres depuis que t'as lu Veritas. J'te dirai ce que tu veux entendre. » Parce qu'on se fiche bien de la vérité, non ? Il est déjà coupable.

ton regard, il fait froid dans le dos. il me désarçonne. déséquilibre mes pensées. comment j'peux croire autrement quand on voit la façon dont tu me regardes. j'sais pas ce qui t'es arrivé mais t'es plus le même. j'fais face à un inconnu. plus aucun intérêt de discuter avec toi. de t'accorder de mon temps. tu ne me mérites pas. ─ t'étais où ? oublie l'autre question. volontairement. la provocation qui ronge le visage. la rage qui pousse le vice. j'crève d'envie de savoir si tu t'es vraiment comporté en parfait connard. mais j'veux pas t'offrir cette délivrance. j'veux juste que tu comprennes à quel point t'es en train de martyriser un coeur qui t'appartenait déjà.

Non, pas celle-là. Il sait que c'est pas celle-là de question qu'elle veut vraiment poser, et si elle ne lui donne pas l'opportunité de la rejeter sans exploser, il finira par craquer, il le sait. C'est toujours plus compliqué, quand c'est Rose. Son regard est moins froid, moins dur, mais plus... vide, alors qu'il se détourne à nouveau d'elle. « Quelque part. » Il ne s'en rappelle pas, en vrai. La journée du vingt-cinq septembre est un mystère dont il ne se rappelle pas.

quelque part. fallait s'y attendre. tu resterais vague. tu me laisseras à l'écart. encore une fois. tu noies les explications. celles dont j'ai besoin pour effacer ces putains d'images de merde que t'as crée. tu ne nies pas. t'attends juste de me dire ce que j'veux pas entendre. j'le vois. j'le ressens. faut croire que j'étais pas assez bien pour toi. ou juste pas assez, tout court. j'les revois ce moment où j'existais qu'à travers tes yeux. ça aussi, c'était un mensonge ? y'avait quoi de vrai dans notre histoire ? ─ je vois. y'a plus de flamme allumée. y'a plus d'éclat ravivé. le regard s'éteint. le coeur se broie. contiens tes émotions, rose. supprime les. elles n'en valent pas la peine. ─ évite de te mettre en danger la prochaine fois je murmure, dépitée. effaçant la distance pour saisir ta main. y laisser cette clé qui empoisonne l'esprit. les doigts relâchent ta paume, les talons qui font demi-tour. le corps déshabité.

Il pense que ça sera la même rengaine ; les reproches, les critiques, le bruit, les cris et les regards plein de colères ; mais ça ne vient pas. À la place il y a juste... du froid. Un vent glacial qui souffle sur lui alors qu'il sent la forme de la clé se poser dans sa main. La garantie qu'il a toujours une place auprès d'elle, qu'il importe un peu ; mais là, c'est le trou noir. La sensation que la gravité et l'atmosphère l'étouffent dans un vide hors du temps. Il tourne la tête et la peur, massive, revient aux trippes alors qu'il la regarde s'éloigner. Elle m'abandonne. Il déglutit, et sans trop réfléchir, il lève la voix. « J'en ai aucun souvenir. » Il pivote encore pour se tourner vers elle, comme une dernière tentative de garder un peu d'elle. « C'est Brinley qui m'a retrouvé ce matin. » Me laisse pas. Ne sois pas celle qui part en premier.

j'pensais pas que ce serait si douloureux. te tourner le dos. faire un pas qui ne va pas dans ta direction. quand j'me suis tellement habituée à me réfugier dans tes bras. t'étais censé être ma safe place. cette bulle réconfortante. alors pourquoi j'tremble face à toi ? pourquoi j'me sens pitoyable à côté de toi ? comment on a pu en arriver là ? j'en ai aucun souvenir. ta voix se fraie un chemin jusqu'à la raison. calme les palpitations inquiétantes. le corps se fige, instantanément. c'est brinley qui m'a retrouvé ce matin. sourire sarcastique qui transperce les lèvres. évidemment. ─ ce sera jamais moi... j'réponds, l'ironie qui fait vibrer la voix. la tristesse qui aveugle les iris tournés dans ta direction. ─ j'voulais être celle qui te retrouve. celle vers qui tu te réfugies quand ça va pas. celle vers qui t'as envie d'être. un pas de plus vers toi. j'me rappelle pas m'être avancée. pourtant j'me retrouve désormais devant toi. quelques centimètres, tout au plus. ─ y'avait quoi de vrai ? dans notre relation. les bras qui se posent sur ton torse. pour te pousser. pas la vraie question. mais le besoin d'avoir une réponse devient oppressant. envahissant. empoisonne les pensées. devient dangereux pour l'esprit tourmenté.

Celle qui le retrouve, ou vers qui il se réfugie ? Ace fronce les sourcils, là encore il n'y croit pas. Il se braque trop vite, trop facilement, n'arrive juste pas à croire qu'elle soit là, mais il la laisse s'approcher alors qu'il tient toujours son double de clés dans la main. La méfiance se lit dans son regard et il est tendu, pas encore remis de ses émotions du matin. Le traumatisme encore trop présent. Elle le repousse légèrement et il fait deux pas en arrière, l'équilibre laissant à désirer. « J'pense pas que t'aies beaucoup cherché. » L'amertume au fond de la gorge, il sent un mélange de chaud-froid tirailler le coeur. « Y'en a aucun d'vous qui m'a questionné. J'ai vu vos messages, ce matin. Amore qui me menace à nouveau. Toi et ton commentaire acerbe. Redd. Lyssandre. Enzo. Tous. Y'en a qu'deux qui m'ont demandé où j'étais et comment j'vais. » Le sentiment de trahison remonte pleine force alors que la voix tremble déjà. « Et t'étais pas dans ce lot. »

j'pense pas que t'aies beaucoup cherché. absence totale de compréhension ou de compassion dans ce regard jeté dans ma direction. j'peux que hausser les sourcils, stupéfaite de ta réponse. le culot. uniquement deux personnes t'ont demandé comment t'allais. l'identité de la première sûrement connue. brinley. curiosité naissante pour la deuxième. noirceur qui éclipse le peu  de bonté qu'il pouvait me rester. sentiment colérique qui refait dangereusement surface. ─ je vois. donc le fait d'être là devant toi ça compte pas. le fait d'être venue directement après avoir appris de brinley que tu étais chez toi, ça par contre tu t'en fous non ? le fait que j'ai pas réfléchi pour venir te retrouver et m'assurer que t'allais bien, t'en fais quoi de ça ? douleur perceptible dans la voix qui monte. ce sentiment encore une fois que mes efforts ne comptent pas. ne servent à rien. c'est lui qui a merdé. c'est à moi d'être en colère. alors pourquoi j'ai le sentiment que c'est à moi de lui devoir des explications ?