let's go home ─ Brinley & Ace

Tu m'appartiens

Ace, où es-tu ? Que fais-tu ?
Tu ne peux pas me fuir

Je finirai par te retrouver

Ace ! Ace s'il te plait !

Alors ? On va chercher ce burger ?

Combien de temps penses-tu pouvoir tenir ?

Je voulais juste te protéger

Heure du décès : vingt-et-une heure et trois minutes

Qui êtes-vous exactement ?
Je suis ton père

Tout ça c'est d'ta faute ! Pourquoi t'as fait ça ?

Non, je ne veux pas.

Et si tu arrêtais de te débattre, pour une fois ?

Les mots s'embrouillaient. Les voix se mélangeaient, se chevauchaient, ne faisaient aucun sens dans sa tête. Trop de mots, trop de paroles différentes. Un flot incessant qui assaillait son esprit avec des souvenirs, des injures, des menaces et des questions sans réponse.

Vaurien. Menteur. Ingrat.

Tu as plié ton linge, Ace ?

Joyeux anniversaire mon chéri !

Et si tu disais bonjour à papa ?

Tu crois que tu vaux mieux ?

Où est-ce qu'il est ? Où te caches-tu ?

Tu ne me verras jamais venir.
Je récupèrerai ta vie, elle m'appartient.

Cesse de te battre, Ace, c'est inutile.

Rentrons à la maison
Putain de traître ! Crève !

N'es-tu pas heureux ?

Je peux t'aider, Ace

Ace serra les dents et plaça ses main sur ses oreilles, recroquevillé derrière la stèle funéraire de sa mère, non loin d'un grand arbre. Des heures. Cela faisait des heures entières que son esprit était assaillit de toute part, et rien ne semblait calmer ces crises qui revenaient par vague. Un instant il semblait reprendre ses esprits, et celui d'après, il se perdait à nouveau dans ce chaos de paroles et bruits illusoires que rien ne pouvait étouffer. Le rythme cardiaque fou, la respiration irrégulière et difficilement maîtrisée, c'était une lutte constante de l'homme contre son esprit et la peur d'un danger inéluctable ─ mais il n'y avait pas d'endroit où se cacher, dans le cimetière. Juste un refuge près de sa défunte mère, il se rappelait tant bien que mal ce qu'était le présent, plutôt que de se faire avaler par le passé.

Personne ne te croira, même si tu parlais.

Combien de fois dois-je te le dire, tu es inutile.

Regarde ce que tu as fait. Encore une fois.

Ils vont finir par te trahir, tous, comme toujours.

Pauvre idiot, tu t'en rends même pas compte.

C'est ce que tu mérites.

Qu'est-ce que tu croyais, Ace ? Que tu étais différent ?

Je suis toujours avec toi. Toujours.

Tu n’as jamais été assez fort.

Ils vont tous te laisser tomber, comme d'habitude.

« Ace ? » L'interpelé se figea un instant. Était-il certain d'avoir bien entendu cette voix ? Il la reconnaissait, mais d'où ? Familière, mais en même temps si lointaine. Les autres voix continuaient encore de marteler son esprit, mais son visage, progressivement, se relevait. Le focus de ses yeux demeurait instable, mais il reconnaissait la silhouette de la brune, Brinley. Il semblait toujours autant perdu pourtant, confus de la voir devant lui, n'étant même pas certain qu'il s'agissait de la réalité.

Ace ?
Ace ?
Ace ?
Ace ?
Ace ?
Ace ?
Ace ?
Ace ?
Ace ?
Ace ?

Il se releva brusquement, la panique mêlée à une expression de méfiance non feintée. Elle était forcément là pour le ramener, elle aussi. Là pour l'obliger à partir, pour le renvoyer auprès de son père et ses sbires, l'arracher à sa vie et son quotidien. Le faire partir. Se débarrasser de lui. Crasse qu'il était. Une main se posant sur la stèle devant lui, Ace la contourna légèrement, et il était évident à sa tenue et la saleté sur lui qu'il ne s'était pas changé depuis la nuit de sa disparition. Sa gorge était sèche et son ventre, vide, mais il ne semblait autrement pas aller spécialement mal. Quelques égratignures sur le genou, signe d'une chute, mais sinon... en bonne santé. Enfin, sans compter le mental. « Non, j'partirai pas. J'irai pas. Dégage d'ici. T'as pas le droit de venir chez elle, pas après tout c'qu'il a fait. » Du flou, des accusations incohérentes, un rejet radical également. Il reculait et la voyait clairement comme une menace, mais se refusait à perdre contact avec la stèle à proximité, comme si elle était son point d'ancrage.

Elle reculait, mettait de la distance, et s'il voyait à son attitude qu'elle était méfiante, elle cherchait à le rassurer ; et ce fut la colère qui se mêla à la peur en l'entendant. Pas besoin qu'on le rassure. Pas besoin qu'on lui dise ces mots, ceux que l'autre n'avait pas arrêté de répéter à longueur de temps. Mais le fait qu'elle lui pose une question, étrangement, sembla le centrer sur une réponse ; les questions qu'elle se posait, il se les posait également. « De lui, il est toujours là. Toujours quelque part, il se cache chez les autres. Il... il est là, je le sens. Il me regarde. » Sa main libre passa sur son épaule, se la frotta lentement mais avec force, comme s'il cherchait à dégager une sensation qui lui collait à la peau et dont il n'arrivait pas à se défaire. Le regard se baissant, perdu dans un vide que lui seul pouvait voir, il eut un bref instant de silence, avant qu'il ne ferme les yeux et appui sur ses tempes de ses deux mains avec force, grimaçant alors qu'il se rappelait de certaines choses. « Je dois pas quitter le placard. Je dois rester dedans, mais je suis sorti, j'l'ai pas écoutée. Je trouve plus le placard, je sais pas où me cacher et il est partout ! Il est partout, et le placard est nulle part ! » Des flash, des visions, des bruits de pas, mais il était dehors, loin de tout placard et, concrètement, de toute menace. Mais il sentait son regard partout sur lui, inquisiteur et intrusif. Ace tituba légèrement et il se mit un coup sur la tête en grimaçant. « J'aurais pas dû sortir ! J'aurais pas dû sortir ! »

Retourne dans le placard, Ace !

C'est pour ton bien, reste là.

Ne regarde pas !

Tu ne veux pas voir ça, n'est-ce pas ?

C'est pour t'apprendre, rien de plus.

C’est ça, cache-toi, comme tu l’as toujours fait.

C’est un exemple, Ace, pour que tu apprennes.

Elle souffre à cause de toi, tu sais.

La mâchoire serrée avec force, les coups sur son propre crâne se répétant, il luttait pour dégager des souvenirs de sa tête qu'il revivait malgré les yeux fermés. Les gémissements accompagnaient la posture voûtée et les gestes imprécis, maladroits, mais il entendait toujours la voix de Brinley.

Retourne dans le placard !

Tu veux vraiment voir jusqu'où ça peut aller ?

« J'voulais... j'voulais t'aider... »

Elle t’a menti, Ace.

Elle va te haïr pour ça, Ace.

C'est toi qui l'as amené là.

Tu n’es qu’un lâche, incapable de faire quoi que ce soit.

Tout s'accélérait. Il voyait des hommes, des bras levés, des sourires ; sa mère qui lui ordonnait de ne pas se montrer, le grondait parce qu'il avait raté les cours, s'engueulait avec elle ; puis son désaccord sur l'achat d'une moto, les claquements de portes, la dispute au téléphone ; l'écho de la voix de Brinley, au loin, de plus en plus fort ; et puis une image fixe. Une voiture accidentée, et un silence mortuaire dans sa tête. « ACE ! » Le regard terrorisé s'ouvrit en grand et il se figea un instant, voyant enfin Brinley devant lui. Un retour à la réalité brutal, et comme il y a quatre ans et demi, la même douleur. Le même sentiment de perte, et une explosion en sanglots et gémissements alors qu'il s'effondrait au sol, les genoux fléchissant sous la fatigue, entraînant la brune avec lui. Le corps vacilla vers l'avant, tout son poids se reposant presque sur elle alors qu'il revivait une énième fois la disparition de sa mère. La même douleur, le même déchirement, les mêmes cris d'agonie.
Jusqu'à ce que la fatigue et la raison reviennent. Progressivement. Le mental n'en pouvait plus, le physique non plus. Le silence revint, mais lui était complètement éteint, silencieux, le regard dans le vide ; pour que l'arrachement du coeur laisse place à la honte. La honte d'avoir été vu ainsi, d'avoir cédé bien plus tôt à ses traumatismes qu'il ne l'aurait voulu. Il n'y eut qu'un mot, un seul, murmuré. « ... désolé... »

Renversé sur le dos, pendant un moment, Ace observa le ciel. Il contempla le silence du cimetière, l'immobilité d'un ciel vide de nuage, et l'absence de menace. Aucune voix, aucune ombre. Le jour se levait, et avec lui, le temps continuait de s'écouler, de passer. D'avancer. Et lui ? Est-ce qu'il avait vraiment avancé, depuis tous ces évènements ? La main tendue de Brinley devant lui attira son regard et il regarda ce visage familier, venu le sauver. Combien de personnes avait-il croisé avant de la voir, elle ? Bah. Les questions... viendraient plus tard. S'aidant de Brinley pour se relever, il manquait toujours un peu d'équilibre et après un léger moment de faiblesse, sa main se posa sur la stèle à côté. Un contact qui attira son regard, alors qu'il se rappelait qu'il était bel et bien au cimetière. Le regard douloureux, il observa le nom, Jinah Chung, décédée le 21 Janvier 2021, avant de détourner le regard. Il renifla un coup, s'essuya les yeux d'un revers de main, faisant une simple requête. « Tu peux m'ramener chez moi ? » Il se regarda, et soupira, croisant les bras pour cacher sa honte. « Ça va aller. C'est fini. »