CAREFUL WHAT YOU WISH FOR | FOSTELLER

Tandis que je récupère le café que je viens de commander à la cafétéria – ayant sciemment choisi de bouder la salle de repos des chirurgiens et la machine à café s’y trouvant afin d’éviter mes anciens et nouveaux collègues – je reste encore bloquée sur le message que j’ai reçu ce matin à mon arrivée. Ma présence non-nécessaire lors d’une opération qui avait lieu dans la matinée.

Une présence qui était, à la base, requise. Ca me fout les boules de constater que quelque part, je n’ai pas réussi à retrouver la place qui me revient de droit. J’ai beau être partie depuis plus d’une année, je n’ai pas réellement changé… Alors ça vient peut-être de ma rage, de ma mélancolie, de ce que je traîne en moi depuis que je suis ici. Mais lorsque je vois Giorgia entrer dans la salle, ça ne fait qu’un tour dans mon esprit. C’était elle qui opérait ce matin. Elle qui a choisi son équipe de chirurgiens. Elle qui m’a sorti de la sienne. Je mange les mètres qui nous séparent, et me plante face à elle, l’accusant d’un ; « C’est toi ? » qui m’a évincé ? Qui m’a fait ça ? Et dans la gorge s’étrangle le mot pourquoi. Même s je sais la raison au fond de moi.

 

Tandis que je détaille son visage, la froideur de ses traits, tout ce qui crache en elle que je n’aurais pas dû remettre les pieds dans cet hôpital, je réalise à quel point, à l’intérieur, ça me fait mal. J’ai fait des choix, peut-être pas les bons, mais sur le coup, ça me semblait être ce qu’il me fallait. Dans ma vie, pour une fois, j’ai pensé à moi. Même si ça voulait dire laisser tomber la plupart des gens qui ont un jour compté. Comme toi, Giorgia. « Moi ? » Elle me dérange, la fausse innocence dans sa voix. Taylor, bon sang, prends sur toi.

Alors je soupire de façon furtive, reste plantée devant elle, dubitative, « Ah, tu parles de l’arthrodèse lombaire complexe sur Baker la semaine dernière ? » Non, bien évidemment que ce n’est pas ce que je suis en train d’évoquer, mais c’est tout aussi évident qu’elle le sait, « Oui, c’est moi. » J’en déglutis avant de boire une gorgée de mon café, j’avais oublié combien le goût de celui d’ici me plaisait. Comme un élixir de fougue que je viendrais d’avaler. « Ce que t’es drôle. » en plus d’être vaniteuse, apparemment, mais je ne vais pas commenter ce trait de caractère-là, parce que la prétention fait aussi partie de moi. J’imagine qu’on doit l’être, lorsqu’on croit pouvoir jouer à dieu avec ses dix doigts. « Ce matin. » précise-je, bien que ce ne soit pas nécessaire de le faire. Mais autant la confronter directement, savoir derechef, si elle compte transformer mon retour, en enfer.

 

Est-ce que je suis réellement à blâmer ? Est-ce qu’elle a raison de m’en vouloir à ce point ? Est-ce que j’aurais réagi pareil, si les rôles étaient inversés ? Comment j’aurai pris, vécu, le silence… « Ce matin. » Peut-être que oui, je l’aurais pris comme ça. A faire semblant de ne pas comprendre. A désirer la faire payer, montrer mon côté tyran, pour lui montrer à quel point ça peut faire mal d’être abandonnée, même en amitié. « Le cas Jones ? » Celui-là. Celui sur lequel on devait bosser, toi et moi. « Ta présence n’était pas nécessaire. » J’en avale ma salive avec difficulté, je tente de déglutir mes instincts les plus mauvais.

Face à cette désinvolture mêlée à la rancune qu’elle affiche, je suis à deux doigts de dégoupiller. La goutte de trop. Le vase qui déborde. Et ma voix, agacée qui l’interroge. « T’as un problème ? » Je m’attends à ce qu’elle me dise qu’elle n’en a pas, qu’elle tourne les talons, mais j’ai une tendance à penser qu’il est l’heure de la confrontation. La rancœur, je peux la supporter, mais ma carrière, je refuse à quiconque le droit de la torpiller. Etant donné que j’ai prévu de rester. Giorgia, il est temps d’arrêter les gamineries et de parler.