AGOSTINA HILTON-NIEVA › brandy schwechler (almondmilkhunni)

un six. c’est le nombre de gamins que maman a pondus, presque à la suite. une paire de jumeaux dans le lot, un accouchement de moins pour elle, c’est ce qu’elle a toujours aimé dire. mais le plus fabuleux là-dedans, c’est que sur cinq grossesses, son instabilité sentimentale l’a menée à vous donner cinq pères différents. au moins, pas de jaloux : pas de partage du paternel. › deux parmi les enfants du milieu, t’as échappé au rôle sacré du plus grand de veiller sur les cadets. pour autant, t’as pas échappé à la course d’aide aux devoirs une fois les tiens terminés, pendant que maman passait sa soirée à s’envoyer en l’air avec son dernier mec en date, en espérant toujours qu’elle génère pas un rejeton supplémentaire à votre petite famille déjà bien trop nombreuse. › trois si le nombre peut importer peu dans une famille aisée, la finance était votre plus grand problème au quotidien. parce que maman bossait tout juste en comptant sur les éventuelles pensions des paternels pas trop radins qu’elle avait pu obtenir. et le tien, évidemment, en faisait partie. bon parti d’après elle, qu’elle a pourtant pas su garder. mais est-ce que c’est étonnant ? pas le moins du monde, non. › quatre liens pas franchement établis avec ton géniteur, et pour cause, vous avez pas cessé de déménager aux quatre coins du pays, le reste des hilton et toi. nieva, c’est le nom qu’il t’a pourtant laissé porter en plus de celui commun au reste de ta fratrie. originaire du salvador, le paternel, mais c’est ici qu’il est né et qu’il a grandi, aux états-unis. › cinq gamine qui s’est laissée happer par l’amour de la musique pour poser des mots sur tes maux d’enfance puis d’adolescence. lignes succédées sur tous les supports possibles, quels que soient le lieu et le moment, c’est par ta voix que tout a commencé, jusqu’à ce que le paternel t’achète ce piano pour ton anniversaire. et c’est là que t’as compris : t’avais trouvé ton exutoire. › six le monde de l’imaginaire comme refuge pour t’échapper de cette médiocre réalité dans laquelle maman t’a percée depuis ton premier cri, t’aimes t’oublier dans tes songes, rêver jusqu’à l’aube, les yeux rivés vers le ciel, postée sur l’un des toits les plus hauts de la ville si t’as trouvé le moyen d’y grimper. funambule des nuits. › sept pas bête pour un sou pourtant, t’as toujours eu cet intérêt pour la psychologie. parce que, dans le fond, t’as été depuis longtemps l’oreille attentive de ta fratrie. celle qui écoute jusqu’à quatre heures du matin, qui analyse et qui conseille. celle qui tente d’aider autant qu’elle le peut, de pousser à la remise en question, celle qui bouscule le quotidien par ses vérités. › huit le lycée est arrivé, les choix ont dû être faits. et c’est là-dedans que t’as voulu te lancer : la psychologie. les différentes universités dans lesquelles t’as postulé, soutenue par le paternel à distance, harvard où t’as été acceptée. le bachelor obtenu en bossant d’arrache-pied, le master finalement abandonné en avant-dernière année, résultat de ce trait offert par la génitrice : l’instabilité. › neuf sûre de toi, sûre de ton nouveau choix. acceptée en musique pour recommencer dès la première année, le paternel qui a accepté de te financer en te soutenant dans ton projet. pourtant le quotidien bousculé par le dernier souffle rendu par les jumeaux le vingt-et-un juin de cette année. règlements de compte à détroit, là où ils s’étaient installés. les mauvais plans dans lesquels ils s’étaient fourrés les ont finalement rattrapés. deuil ignoré, l’histoire rangée au fond de toi, t’as préféré te barrer d’ici deux mois durant pour souffler et te concentrer sur ce qui t’a toujours permis de t’échapper : la musique. mais tu sais, pourtant, qu’un jour ça te rattrapera. › dix si de ton géniteur tu t’es rapprochée, c’est de ta mère que tu t’es éloignée au fil des années. parce que t’as su qu’elle était retombée dans ses travers, à dépendre de chaque homme qui voulait bien l’observer. l’alcool comme soutien, t’as déjà tenté de la résonner en vain ; certainement la seule parmi vous tous à ne jamais avoir voulu se remettre en question.