IT'S BEEN A LONG TIME | HOWEE

Elle est face à la devanture, le visage incliné, c’est une sensation étrange, mais elle n’ose pas rentrer. Elle se perd dans ce qui a été. Elle ressasse ses souvenirs, se rappelle du Sidh, de ce qui lui est arrivé, il y a de ça quasiment trois années. Elle a conscience que le Dionysos n’est pas le même endroit, qu’elle ne risque rien, que Dutch n’est plus là. Mais si en un sens ça la rassure, de l’autre côté, ça l’attriste plus que ça ne le devrait, et sa paume allant se loger sur le côté de son ventre, au niveau de sa hanche, elle souligne la cicatrice qui se cache sous son pull en un soupir.

Et puis elle se fait patiente, regardant malgré elle l’écran de son téléphone pour observer les minutes qui s’écoulent dans son attente. Puis enfin, il apparaît. Il est tôt dans la matinée, elle le sait, elle n’est pas sans ignorer qu’il a probablement travaillé toute la soirée, nuit à dire vrai … mais ce n’est pas ce qui va arrêter Haiwee, trop de mois qu’ils ne se sont pas croisés, ce n’est pas son concept de l’amitié. D’ailleurs, une fois qu’il a un peu avancé dans la rue, elle traverse et l’interpelle, « Excusez-moi ? » un sourire mutin, « je cherche un ami à moi, brun, les traits fatigués qui a oublié que j’existe. » Même s’ils sont deux à blâmer. « Vous ne l’auriez pas croisé ? » Les reproches, en à peu près.

J’vais pas te mentir, l’humeur n’est pas forcément au beau fixe, y a des trucs qui me prennent la tête, et j’sais pas comment les trier, les dégager de ma tête. La princesse de mon monde, promise à quelqu’un d’autre, j’le gère pas super bien. C’est subtil. Poudre mieux dosée, clientes cumulées. Puisque moi, le seul moment où j’sais que j’pense à rien, c’est quand le sang abîmé pulse plus fort dans mon corps, et que mon silence est anéanti par les soupirs bruyants. L’instant présent. Pas hier où j’ai pas assuré, pas demain où j'serai pas mieux, là, maintenant, quand de la pulpe de mes doigts, je sème des frissons sur les peaux inconnues; Alors, j’finis tard. Plus tard que d’habitude. J’rapporte du blé, j’pense à rien, tout le monde y gagne. Peut-être pas toi, qui attend dehors. Mais, ça, j’le sais pas. Je peux pas deviner que tu viens te perdre à nouveau dans ce coin. Une clope allumée avec celui qui ferme les lieux, et j’la consume le long du trottoir foulé. Cheveux encore mouillés d’une douche prise rapidement. Les yeux, cernés. Je t’ai pas vu venir, j’t’ai dis, impossible à anticiper. J’regarde droit devant, et j’suis à deux doigts de te présenter une clope tirée de ma poche, quand tu tentes un : « Excusez-moi ? » A cette heure, tu peux demander que ça. Tu, l’inconnue. Pas Haiwee. La main sur la poche de mon pantalon de jogging, s’arrête dans son geste. J’veux parler, mais m’arrête, la bouche légèrement entrouverte, bouche hébétée dans un fin sourire. « je cherche un ami à moi, brun, les traits fatigués qui a oublié que j’existe. » J’capte même pas que ça pourrait mal sonner, tout ça. « Vous ne l’auriez pas croisé ? » Lâche la poche, et l’index va un peu à droite, à gauche. “Eh..” Les épaules, haussées, moue espiègle. “Il doit être parti, j’pense.” Forcément. “J’vois qu’un mec super frais, qui se demande : “putain mais qu’est-ce que tu fais ici ?”” Le rire, léger, et t’as le droit à un câlin, assez bref, du type content mais qui se ravise. Sait-on jamais, qu’en fait tu m’en veuilles vraiment.

Il reste un sourire sur la moue de l’amérindienne, tandis qu’elle attend la réponse à sa question, à regarder Horace avec cette touche espiègle. Quand il indexe un côté puis l’autre, elle n’a aucun mal à réaliser qu’il lui a manqué. Elle n’ose pas compter depuis combien de mois ils ne se sont pas réellement croisés. C’était moins cuisant, tant qu’ils n’étaient pas à proximité. La pause dans leur amitié. “Eh..” elle arque les sourcils en quasi mimétisme, puisque lui, il élève ses épaules, désinvolte. “Il doit être parti, j’pense.” Cette fois, ses lèvres s’arquent assez pour laisser entrevoir ses dents, un truc carnassier en guise de sincérité. Et un petit soupir, aussi, pour se montrer faussement exaspérée. Par cet ami imaginaire qui a cru bon de se carapater avant qu’elle ne parvienne à le rattraper. “J’vois qu’un mec super frais, qui se demande : “putain mais qu’est-ce que tu fais ici ?”” Le visage de la brune s’incline, attendri. Et elle le laisse s’approcher d’elle, l’étreint le temps d’une fraction de seconde avant qu’il ne se recule et que leurs regards reviennent s’accrocher. « Tu sais ce qu’on dit… » qu’elle commence pour se justifier, « si la montagne ne vient pas à toi… » elle est sûre de l’avoir lu su une brochure, une fois, « quelque chose comme ça. » tout ce qui compte, c’est qu’il a compris l’idée. Elle en avait simplement marre de leur discussion entrecoupée. Des sms qui ne montrent rien. Qui ne parlent pas. « T’as le temps d’un petit dej ? » Sous-entendu, à ses côtés. S’il n’est pas crevé, elle comprendrait parfaitement qu’il n’en ait pas l’envie plutôt que le temps. Autrement, Haiwee peut le jurer, elle se contentera de partager avec lui, rien qu’une dizaine de minutes et café. Tout petit. Promis.  

J’suis pas toujours doué pour les amitiés, entrecoupées si tu ne viens pas me chercher. Toujours présent, pour peu qu’on s’approche. J’aime pas m’imposer, m’infiltrer dans les recoins des blancs que tu vas laisser. Je la connais la vie des étudiants d’Harvard, bien habitée, entre les cours, les confréries, les sorties entre gens du même monde. Pas toujours la place pour un type comme moi, qui vit principalement la nuit. J’me fais oublier, existant par quelques sms, je te l’accorde pas réguliers. On n’peut pas compter sur le hasard, quand il n’est pas provoqué ; nos planètes sont trop éloignées. Tu les rapproches donc. T’as ce pouvoir. Ca semble facile, au petit matin, de remettre nos routes parallèles pour un instant. Je t’accroche, pour être certain que nos chemins sont scellés. « Tu sais ce qu’on dit…si la montagne ne vient pas à toi…  » Pas excellent en expressions, j’dois l’avouer. Mais, t’as pas l’air meilleure. En tout cas, ça commençait comme un truc qu’on est censé communément savoir. La malice à la bouche, dans un doux sourire. “Attends, c’est toi ou moi la montagne, là dedans ? “ L’image, je l’ai pas, mais j’parviens à capter plus ou moins l’idée. C’est toujours positif, quand ça vient de toi. De nous. J’ai pas l’impression qu’on soit capable de produire autre chose que de jolies couleurs. Un arc-en -ciel entre nous. Qui perce les nuages qui m’entourent. Tu m’as manqué, je n’en avais pas autant conscience, avant que tu ne t’invites. “Je connais un endroit.” Et, les cernes, les yeux rougis, le corps fatigué et le cœur abimé, sont secondaires dans l’ordre des priorités. Tu viens de tout bousculer. La journée devient meilleure, et t’es tout ce dont j’avais besoin ce matin. “Tu tiens sur un vélo ?” Lancé, espiègle, alors qu’il désigne d’un coup de menton les vélos en libre service pour traverser la ville.

On se rend compte après… Après le premier sourire que l’amitié nous a manqué. Pas qu’un peu, non, beaucoup. Et puis on s’en veut aussi. D’avoir délaissé une personne qui compte à ce point-là. Qui a été présente, toujours aux bons moments. On oublie de lui en vouloir de son absence, et l’on ne garde que le positif. Que le fait de la retrouver. “Attends, c’est toi ou moi la montagne, là dedans ? “ D’un froncement de l’arrête de son nez, elle réalise qu’elle ne sait pas vraiment, mais qu’elle préfère ne garder que la finalité, celle où ils sont obligés de se rencontrer.

Puis ses apartés avec Horace, ils ont toujours ce goût là. “Je connais un endroit.” Avec son sourire tendre, Haiwee lui répond déjà, qu’elle le suivra. Peu importe l’endroit. Elle a confiance, c’est comme ça. “Tu tiens sur un vélo ?” Il propose et elle plisse les paupières pour observer la direction désignée. Plusieurs vélos côte à côte qui n’attendent que d’être utilisés. « Je crois que je me débrouille. » Elle est un peu honteuse d’avouer qu’elle n’a jamais vraiment appris, qu’elle n’en a jamais vraiment fait, que pendant les épreuves d’olympiades, de Summer Camp, un mélange de n’importe quoi qui guidait ses gestes et ses pas. « Au pire, tu m’emmèneras à l’hôpital. » Comme si ce n’était rien d’y faire un petit tour, comme si elle était une véritable habituée. Est-ce qu’on s’accoutume un jour à être blessé ?
La réflexion se perd, en faveur des bécanes qui sont atteintes, elle en choisit une, lui aussi, ça se débloque en un clic de technologie. Comme si elle avait fait ça toute sa vie ; enjambe la chose, regarde son ami. Puis… « Je te suis. » Au rythme de la vie.