my bad (winifred)

assis sur un banc, les yeux qui défilent la page de ta lecture du moment. tête secouée instinctivement au rythme de la musique qui émane de ton casque. le volume bas qui se mélange parfaitement avec l'environnement ambient. le vent qui souffle sur les voiliers, le bruit répétitif des pagaies des canoës qui filent sur l'étang. le sifflement des oiseaux et même les cris des enfants. heure de quitter ce bout de nature pour le bitume. marque page placé, volume augmenté. chemin pris le long de l'étang, les mains dans les poches et les yeux qui errent sur le paysage. si bien qu'ils n'aperçoivent pas la silhouette qui s'approche de toi, ses yeux à elle sont concentrés sur son téléphone. boum. les épaules s'entrechoquent, la tienne ne s'étant réellement rendu compte de rien n'avait pas essayé d'éviter celle de l'inconnu, la cognant avec une certaine force. téléphone entre les mains tressaute, rebondit sur la terre. simple ricochet qui l'amène dans l'étendue d'eau. un ― ah merde. sorti surpris, pas encore conscient qu'il devait être désolé, les mains toujours dans les poches.

les températures sous la barre des vingt degrés étaient tes favorites. ni trop chaud, ni trop froid. à l'approche de l'automne, le vent frais contrastait avec la chaleur accablante des mois précédents. entre la douceur des journées qui raccourcissent et la nature qui se mettait sur son trente-et-un, elles étaient annonciatrices de l'automne. c'était le temps idéal pour aller courir sans suffoquer. tout semblait plus calme, plus serein, et surtout plus doux.

après une pause estivale bien méritée et l'agitation de la rentrée passée, il était maintenant temps pour elle de reprendre sa routine. vêtue de son kit de sport préféré, équipée de ses baskets usées et les cheveux remontés en une queue de cheval vertigineuse, elle se dirigeait vers l'un des sentiers, à quelques pas de l'étang. les yeux rivés sur son téléphone, les doigts défilaient à vitesse grand v sur l'écran, sans porter attention au reste du monde. spotify. pianotent, scrollent, écartent, rejettent les recommandations infinies de la playlist, peu satisfaite par celles-ci.

...plop! sonnée. sa grande carcasse chancèle, menace de s'échouer sous le choc. relève la tête, confuse. s'imagine peut-être avoir percuté un mur ou un panneau de signalisation. mais un ah merde fait écho à son « oh, par―... » sacré réflexe à perdre, celui de se confondre en excuses pour un tout et un rien. ne peut qu'observer, l'air dépité, l'appareil plonger, puis disparaître, englouti par l'étang... « c'est ma faute, je regardais pas où j'allais », qu'elle constate tristement, se massant l'épaule légèrement endolorie par l'impact. et maintenant, quoi?

tête un peu trop en l'air, déconnecté ne se rend pas compte de la brunette. le choc avait désaligné ton épaule du reste de ton corps qu'une courte seconde. l'inconnu, elle, avait l'air d'avoir été un peu plus secouée. le téléphone lui, été noyé. tant habitué à être dans ta bulle musicale, ses lèvres qui bougent mais tu n'entends rien, une seconde pour réaliser que ton son jouait toujours. casque abaissé, un peu à contre coeur. flemme de lui demander de répéter, tu réponds peut-être à côté de la plaque, ― désolé, je regardais pas où j'allais. du mal à déceler ce qu'elle ressentait, si l'excuse pouvait l'apaiser. t'es juste content de ne pas voir de colère. des cris auraient gâché ta fin d'après-midi. l'épaule massée attire ton attention, mains enfin sortie des poches. ah non, une seule et dont l'index vient pointer le bras de ta victime. ― ça t'a fait si mal que ça ? question posée avec une certaine familiarité, habitude de sudiste. puis, tu regardes le bord de l'étang où a fini le téléphone,― tu m'as pas l'air très paniquée. pensée naturellement sortie, simple observation sans jugement. tu ne l'es pas non plus et cela malgré ta faute évidente dans la situation. certain que vous pourrez trouver un moyen de vous arranger.

décidément, deux idiots qui erraient sans regarder où ils mettaient les pieds, peu conscients de leur environnement. un rire nerveux lui échappe, se retenant de ne pas radoter les mêmes excuses pour prendre un blâme qui, pourtant, était partagé. naturellement, ses yeux suivent le chemin des doigts du jeune homme, qui pointent son épaule, point d'impact que la collision, le deltoïde ayant amorti le choc. « à peine. davantage un pincement localisé qu'une douleur vive. » la réponse est accompagnée d'un mouvement de tête simultané de gauche à droite. la carrure du garçon, imposante et robuste, était l'antithèse de la sienne, plutôt élancée et frêle. paniquée? son regard pivote de nouveau vers l'étang. plus aucun indice du plongeon de l'objet. le calme plat à la surface de l'eau. si perdre son téléphone était une raison de paniquer... vieux, à la dernière mode. l'écran fissuré, le son défaillant. c'est à peine si l'option bluetooth fonctionnait encore. par contre, son ordinateur, ça aurait été une toute autre histoire. ce qu'elle avait de plus précieux. « si tu l'avais vu... tu l'aurais jeté dans l'étang de ton propre gré. » elle est davantage blasée qu'énervée, ou même paniquée, pour reprendre ses mots. timide sourire, accompagné d'une pointe d'autodérision. « ce sera l'occasion de m'en procurer un nouveau. j'avais une antiquité. et j'ai la fâcheuse manie de leur mener la vie dure. » elle pose son regard sur lui, incapable de détecter la moindre réaction, qu'elle soit positive ou négative. « à moins que... tu te portes volontaire pour plonger? » blague lancée, plus qu'une réelle proposition. à l'heure qu'il est, l'objet devait déjà faire épave au fond de l'étang.

― je te conseille d'y passer un gel si t'as tendance à avoir des hématomes facilement. conseil médical était la seule manière d'aider, ― quelque chose avec de l'arnica, tout le monde a ça qui traîne au fond d'un placard généralement. phrase dictée comme tu la dirais à un client. ton regard suit le sien, sur l'étang une nouvelle fois. effectivement, elle n'était pas paniquée. seulement de réaliser la fatalité que tu avais causé et dont elle arrivait même à voir un bon côté, l'opportunité d'enfin le remplacer. optimisme que tu respectes. ― je pense plutôt que je l'aurais fait recycler. semi-blague en réponse à la sienne. t'aurais même pu y rigoler si l'idée de polluer ce corps d'eau sciemment ne te révulsait pas. léger mouvement de tête approbateur à sa manie qu'elle décrit pourtant négativement. ― il te servait assez bien pour que tu sois concentrée dessus. preuve de son utilité et donc défaut de besoin de le remplacer, à ton sens.― au moins, t'es pas du genre à acheter le dernier modèle à chaque sortie. mode superficielle que tu ne comprendras jamais. plonger ?, le sourcil en réflexion s'élève légèrement. ce n'était pas une si mauvais idée. tu te résous tout de même à essayer, en premier lieu, quelque chose de moins radical. ― on est juste au bord, il doit pas être si loin que ça. affirmé tout en retroussant ta manche. t'avais toujours été fort à la pêche au canard petit. affaires délicatement posées près de la brune avant de t'accroupir près du cours d'eau, y plonger la main. ― ou peut-être que si. pensée de nouveau échappée alors que ton bras s'enfonce de plus en plus dans l'eau, tâtant de manière approximative les mètres carrés dans lesquels le cellulaire t'avait semblé tomber. tu te relèves la main vide, clairement la visibilité serait ton meilleur atout. autant plonger. ― faudrait juste que tu me tiennes ça. le casque qui quitte ton cou, que tu ne peux t'amener à déposer au sol (oui, même dans ton sac) et que tu préfères confier à l'inconnue. malgré sa tenue de footing, elle ne t'avait pas l'air du genre à s'enfuir en courant avec. tu t'extirpes de tes couches de vêtement aussi vite que tu pénètres l'étendue d'eau, histoire de pas rester dix mille ans en caleçon à la vue de tous.

par politesse, elle s’abstient d’étaler ses propres connaissances médicales, se contentant d’hocher la tête lorsqu’il évoque l’arnica. « ah oui, je dois bien avoir un fond de tube qui traîne quelque part chez moi ― ou bien j’irai m’en procurer à la pharmacie du coin », ajoute-t-elle avec un léger sourire. un autre étudiant en médecine? il ne devait pas être de la même cohorte, sans quoi elle l’aurait reconnu; elle avait une impressionnante mémoire des visages. échange de quelques banalités pour ponctuer cette rencontre improvisée. « je cherchais la chanson parfaite pour m’échauffer. je devrai me contenter du silence ou des confidences des oiseaux pour quelques temps… » elle marque une pause, laissant sa phrase en suspens, avant d’enchaîner « c’est pas plus mal. » certes, elle n’était peut-être pas une adepte du dernier cri ― plutôt du genre à utiliser ses objets jusqu’au bout de leur vie ― mais c’était peut-être un signe pour lui dire d’(enfin) arriver au 21e siècle.

on est juste au bord, il doit pas être si loin que ça elle arque un sourcil. « si t’arrives à le trouver, je lui organiserai des funérailles dignes de ce nom. t’es invité », plaisante-t-elle, ses paroles ponctuées d’un éclat de rire. or, en le voyant retrousser sa manche, elle vient vite à la réalisation que le jeune homme est tout ce qu’il y a de plus sérieux. « eh oh, mais j’avais lancé ça à la blague... » et pourtant, le voilà que son bras s’enfonce déjà dans l’étang. elle observe la scène, surprise (et amusée) de le voir prendre la situation autant à coeur, alors que rien ne l’empêchait de poursuivre sa route. sa spontanéité la désarme un peu, mais elle apprécie cet élan de bonne volonté. il remonte à la surface, la main vide. pas le temps de remercier l’élan héroïque, qu’il la prend de nouveau au dépourvu. « mais… » elle attrape le casque, l’objet ayant visiblement plus de valeur que le téléphone englouti. elle le tient entre ses doigts comme s’il s’agissait d’un précieux trésor. « t’es vraiment sûr de vouloir faire ça pour un truc aussi vétuste? » lance-t-elle en devinant ses prochaines intentions, avec un mélange de gentille moquerie et de gratitude. une vague de gêne la traverse en voyant l’inconnu se dévêtir, exposé à la fraîcheur (qu’elle devine) de l’étang. elle détourne le regard, fixant un point imaginaire au loin, puis croisant le regard de passants curieux. pourtant, elle ne peut s’empêcher de sourire franchement devant ce dévouement presque absurde. même s’il parvenait à récupérer l’objet, pas sûre qu’elle parvienne à le remettre en marche. le riz fonctionnait-il vraiment pour redonner vie à un gadget qui avait avait rendu l’âme? « hm, besoin d’aide? »

pensée curieuse se demandant quel genre de musique elle écoutait. la fin de sa phrase qui fait soulever légèrement le creux de tes lippes, expiration nasale soudaine. un semblant de rire. ― c'est pas mal aussi. lâché automatiquement en entendant l'alternative qu'elle suggère. réponse qui matche la fin de sa phrase, drôle de coïncidence. oui, c'était en partie de ta faute le plongeon du téléphone. et tu sentais un peu obligé de tout faire pour le lui remettre, dans le meilleur état possible. l'amabilité de la brune mettant une pression sur l'obligation, une pression pas désagréable, plus motivante qu'autre chose. ― j'espère qu'il te reste sa boite pour le cercueil. ajout à sa blague avant de mettre les mains à la pate. ou plutôt, la main dans le lac. mission échouée mais pas impossible, tu te décides à mettre en action la proposition initiale de l'inconnue. plonger. une blague mais aussi une solution pratique (bien qu'excessive) à la situation. affaires posée, casque confié et question posée. ― faut bien. dit calmement en pénétrant dans le lac. tu ne voyais que des bons côtés à retrouver l'objet. dette sociale et écologique serait payée. ― fais juste attention à mes affaires. avant de t'immiscer un peu plus dans le lac, attachement émotionnel avec un bon nombre de tes propriétés. pieds et mains en alerte, les yeux qui balaient l'horizon bleue, tâché de vert et marron. quelques minutes de recherche avant d'apercevoir l'écran noir reposant en paix entre deux galets. torse qui se redresse finalement. la main droite essuie le visage, frottant légèrement tes yeux dont la couleur blanche devait être légèrement rougit maintenant. la main gauche remonte dans l'air, victorieuse. tu te rapproches du bord, ― ta-da. interjection célébratoire en totale opposition avec ton intonation habituelle. téléphone épongé dans le tissu de ton t-shirt avant de le poser dans sa main libre. sans reprendre ta possession, t'étais bien trop mouillé ton t-shirt imbibé d'eau à différents endroits, ton jean qui a du mal à glisser le long de tes jambes, pull qui vient t'apporter un semblant de chaleur. habillé et les mains désormais assez sèches, tu récupères ton casque dont tu t'entoures le cou. ― merci. ton sac lui, reste au sol. dernier dans ta liste de préoccupation, la seconde place revenait à l'état du téléphone. ― t'arrives à l'allumer ? probabilité maigre mais pas impossible l'étanchéité pourrait être miraculeuse.