— chassez le naturel, il revient au galop (w/brinley)

14 septembre — Il ne suffisait parfois que d'une fraction de seconde pour que... Même pas le temps de cligner des yeux. pluie d'insultes, coups perdus et sang sur bitume. La rengaine habituelle, quoi. Même si ça devait bien faire quelques temps que tu t'étais pas éclaté les jointures.


Sur le dos de ta bécane, tu roulais. Les pensées qui défilaient à 50 km/h. Pris dans ton p'tit monde, là où tout était gris. T'étais là, mais pas là. Physiquement présent, mais lointain, absent. Fuyant. Distrait. Arrêté à une lumière, un mouvement furtif avait pourtant réussi à capter ton attention. Derrière ton casque, les yeux avaient scanné l'horizon, tentant de percer la pénombre. Arrêt du moteur, t'avais prêté l'oreille, aux aguets. Comme un fauve prêt à sauter sur sa proie. Puis, un bruit étouffé. Il t'en avait pas fallu plus pour débarquer, t'approcher à grandes enjambées, puis envoyer valser le poing sur une tronche au hasard pour libérer la pauvre créature terrifiée.

Clou du spectacle — c'est ton front qui s'était fracassé contre le trottoir. Grand perdant de c't'histoire. Pas sûr combien de temps s'était écoulé depuis l'impact, mais il n'y avait plus que toi sur les lieux. Tout le monde avait pris la poudre d'escampette. Mâchoire en feu, regard vitreux, t'avais un voile devant les yeux, pris d'un terrible tournis. Mauvaise idée de reprendre la route dans ton état, alors tu veux commander un Uber. Comble du malheur, ils ont profité de ta léthargie pour te faire les poches. Plus de téléphone, plus de fric. Fuck. Démarche en zigzag comme si t'avais quelques coups dans le nez, tu reconnais le quartier. Pause. Tu pèses le pour et le contre, avant de te remettre en chemin — elle t'haïra pour quelques jours, mais c'est temporaire. Ce l'était toujours. Elle t'aimait d'amour, la frangine. Grimace à chaque pas, tu sais pas trop comment tu finis par y arriver, mais c'est en silence que tu cries victoire, avant de t'effondrer devant le Maggiano's Little Italy. Le restaurant est vide, mais quelques lumières percent encore l'obscurité. Plus qu'à espérer qu'elle travaille ce soir. Ça puait la commotion à plein nez.

Il devait être environ vingt-trois heures lorsque le dernier couple de client quittait les lieux. J'étais avec deux filles, dont une qui était en formation. Pendant que les filles étaient occupées à compter l'argent qu'il y avait dans la caisse enregistreuse, moi je m'occupais de nettoyer les tables et de faire le tour pour m'assurer que rien n'avait été oublié. Chiffon microfibre dans une main et produit dans une autre, je frottais vigoureusement chaque table. Surtout sur les tables où il y avait des traces de sauce, c'étaient celles qui tachaient le plus. Une fois fait, je mettais les chaises sur les tables pour pouvoir passer le balai. Faire une fermeture c'était la chose la plus longue à faire, j'en avais encore pour au moins une heure. Mes collègues étaient parties depuis environ quinze minutes, alors que moi je me préparais à quitter à mon tour. Je fermais les lumières une à une pour montrer qu'on était fermés. J'étais devant la vitrine lorsque je relevais la tête, apercevant quelqu'un au sol sur le trottoir juste devant le restaurant. Si à première vue ça donnait l'impression que c'était un individu bourré, j'avais un net sentiment que.. non. Je me déplaçais jusqu'à la porte que je déverrouillais, sortant à l'extérieur pour m'approcher. — Hey.. tu.. attends, Sonny ? disais-je en bafouant après quelques secondes. Je m'agenouillais, en me penchant pour le secouer. — Tu m'entends ?! C'est Brinley. son front était en sang.

14 septembre — Douleur migraineuse, marteau piqueur dans la tête — un écho sourd, pulsatif, s’écrasait contre les parois de ton crâne, suivant le rythme irrégulier de ta fréquence cardiaque. Bruit agressant, irritant, à la limite de l’(in)supportable. À la manière d’une bête échouée, du sang s’écoulait de tes plaies ouvertes, se déversant sur le tapis de bitume qui te servait de lit, comme une rivière tranquille se jette dans le fleuve. Sonny ? Tu m'entends ?! C'est Brinley. Voix lointaine, presque fantôme, et pourtant familière. L’impression d’être coincé entre deux mondes, à moitié conscient. Un astronaute en apesanteur, prisonnier de l’espace, incapable de revenir sur terre. Une vague de chaleur te traverse, t’envahit, se répand de la tête jusqu’aux pieds. Faites-la taire. Laissez-moi m’évaporer. Brouillard qui enveloppe tes pensées, se mélange à la colère désormais édulcorée — celle-là même qui t’avait mise dans cet état lamentable. Minable. Tentative d’ouvrir les yeux, tu cherches vainement à identifier la provenance de la voix, mais même la nuit te brûle les pupilles. « Arg… hmph.. » C’est d’un ridicule. Les yeux se referment, se rouvrent, se referment. Une envie pressante de dormir, à deux doigts de la laisser l’emporter sur ta volonté. Un taré qui cogne sur d’autres tarés, y’avait pas d’autre finalité possible. Seul choix intelligent, ce serait de lui tourner le dos et d'ignorer le cadavre.