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Le temps passe, et contrairement à ce qu'on a pu lui dire, la douleur ne devient pas plus facile à supporter. Le choc passé, il n'y a plus de moment d'oubli, plus de passage à vide, tout est douloureux, chaque jour plus que le précédent et s'il va falloir reprendre quelque chose qui ressemble à une vie normale, ne serait-ce que pour rassurer ses proches, Thea se demande si elle en est capable. Tout ce qu'elle voit, tout ce à quoi elle pense, c'est ce que sa vie aurait pu être, et ce qu'elle ne sera pas. En deux mois, elle a perdu Milo, un bébé et probablement toute chance de devenir mère. A son âge, cela aurait été compliqué de toute façon, même si elle l'avait souhaité, même si elle finissait pas trouver quelqu'un, mais avec une trompe en moins... La souffrance est telle qu'elle en oublie les ovocytes congelés précieusement "au cas où" le rêve de devenir mère viendrait à jour. Thea essaie de se consoler, de se dire que ni l'amour ni la famille ne faisait jusque récemment partie de ses projets de vie mais la tempête qu'elle traverse actuellement est... incommensurable. Cela fait près de trois semaines, maintenant et si jusqu'ici, la douleur était bienvenu, comme une sorte de doudou à laquelle elle s'accrochait coute que coute, Thea est tout simplement... épuisée. Assise sur la plage, elle finit l'une des bouteilles de vin qu'elle a pu trouver chez Jasper, attendant désespérement que cela lui monte assez à la tête pour qu'elle se sente un peu plus engourdie et perd son regard devant l'immensité de la mer devant elle. L'espace d'une seconde, elle se demande ce qui pourrait bien se passer si elle marchait dans l'eau jusqu'à être totalement trempée. Jusqu'où aurait-elle besoin d'aller pour ressentir le besoin de retourner en arrière, sur la Terre ferme ? Une larme perle sur sa joue alors qu'elle se demande si quoi que ce soit suffira. Une part d'elle veut juste redevenir un peu elle-même, mais ne sait pas si la voix qui lui souffle qu'elle a besoin d'un choc pour être capable de redevenir elle-même est son amie ou son ennemie.
Poussée par le poison dans ses veines qui altère ses pensées, elle finit par se lever et aller tremper ses pieds dans l'eau, laissant ses affaires derrière elle. L'eau est fraiche mais Thea continue d'avancer jusqu'à ce que sa jupe, pourtant pas si longue, soit trempée. Elle prend une grande inspiration, et plonge complètement, faisant quelques brasses la tête sous l'eau. Alors que l'air commence à lui manquer, elle s'interroge : rester sous l'eau ou remonter à la surface ? Et c'est avant même que ses poumons ne soient complètement comprimés, privés d'air, qu'elle donne un coup dans ses bras pour l'amener à la surface et reprendre sa respiration. Ouvrant la bouche, elle prend autant d'air que possible et si elle s'effondre en larmes à ce moment précis, son corps secoué par les sanglots, elle sait désormais qu'elle est prête à donner autant de coups de pieds que nécessaire pour remonter à la surface, plutôt que de continuer à gratter ses blessures jusqu'à ce qu'elle saigne à nouveau, seulement pour être certaine de ne pas les oublier.
Quelques minutes plus tard, alors qu'elle est de retour sur la plage, le vent couplé à l'eau fraiche, commence à lui donner froid. Consciente qu'elle n'est pas en mesure de conduire après avoir ingéré soixante-quinze centilitres de vin à elle toute seule, elle envoie un message à son amie, Micah, probablement la seule personne qu'elle est susceptible de ne pas réveiller... "Tu bossais ce soir, non ?" commence-t-elle pour s'assurer qu'elle ne la dérangera pas (plus que nécessaire, en tout cas) avant de lui demander de passer la chercher à Massachussets Bay. Elle lui indique qu'elle l'attendra sur le parking, réunit ses affaires et s'y dirige, non sans jeter un dernier coup d'oeil vers la mer. Les larmes se remettent à couler quand les phares du véhicule de Micah viennent illuminer le parking mais pour la première fois depuis longtemps, c'est parce que Thea a l'impression que les choses vont, enfin, pouvoir s'améliorer.
(Thea Lockhart)