call it what you want (haiwee&willow)

T’aurais pu les acheter ici. Je fronce les sourcils et me demande vraiment si elle ne se moque pas de moi. Qui perdrait son temps - un temps infini sur un séjour déjà beaucoup trop court - pour aller acheter des chaussures de randonnée ? Probablement pas moi. Je viens avec tout ou je me trouve une autre activité dont je peux profiter pleinement. Enfin, pour être honnête, sans mes quelques jours en Italie - à m’en vouloir de ne pas avoir tout pris pour profiter des paysages des Cinq Terres - je n’aurais probablement pas pris la décision de venir ici. Quitte à faire du shopping en Italie, je préfère que ce soit pour de belles choses. Que je lance tout simplement. Après tout, la mode est importante pour moi et je ne me cache pas qu’on est loin de mon habitat naturel. Mais je suis une demoiselle avec bien des facettes. Bon, on se lance ou t’as encore des questions pour tenter de me prouver que je n’ai rien à faire ici ? Et même si ça me déplait, ce n’est pas la première fois que je rencontre ce genre de jugement. Être une femme dans le domaine des sciences n’est pas de tout repos. Parce qu’on en a pour au moins deux heures et j’ai d’autres plans en fin de soirée. Donc moi, j’aimerais qu’on se lance.

A voir les sourcils de Willow se froncer avec excès, l’amérindienne se demande si sa supposition était aussi déconnante que ça. Parce que cela ne lui paraissait pas. Au contraire même, elle la pensait plutôt des plus… justifiées. « Quitte à faire du shopping en Italie, je préfère que ce soit pour de belles choses. » Subrepticement, ça fait sourire Haiwee, parce qu’elle est intimement convaincue qu’elles n’ont pas la même définition des belles choses. Néanmoins, ça ne doit pas être très utile de le souligner, de toutes les façons, la rousse le sait. Sa jumelle diabolique a dû le lui souffler de nombreuses fois, elle n’en doute pas. « Bon, on se lance ou t’as encore des questions pour tenter de me prouver que je n’ai rien à faire ici ? » Elle en crache un soupir alors qu’elle avance de plusieurs pas, la tentation est forte quant à la seconde possibilité, mais l’étudiante se mord l’intérieur de la joue, à défaut de répliquer. « Parce qu’on en a pour au moins deux heures et j’ai d’autres plans en fin de soirée. » Madame est beaucoup trop occupée. Elle en lève les sourcils, désabusée, « Tu n’es pas la seule. » elle compte bien rentrer et profiter de la sienne en compagnie de Sheng, « Et pour ton information… » elle affirme la suite de sa pensée en accentuant ses enjambées, « on a déjà commencé. » après tout, ne sont-elles pas en train d’avancer ?

Tu n’es pas la seule. À avoir des plans ? Tant mieux alors. Nous sommes sur la même longueur d’onde et nous savons toutes les deux que lorsque les énergies sont partagées, elles sont encore plus puissantes. Et pour ton information… on a déjà commencé. Je ne peux m’empêcher de rouler des yeux. Ok Mademoiselle Perspicace, on a déjà commencé. Je soupire et accélère légèrement le rythme. Je sais qu’il y a pleins de jolies choses à voir sur le chemin mais que la plus belle des vues est tout en haut. Je me demande quand est-ce que le gouvernement italien arrêtera de faire visiter ce site, quand est-ce qu’il interdira toutes ces personnes mal élevées qui détruisent la faune et la flore sur leur chemin. Les groupes encadrés seront peut-être plus soigneux mais les autres… Je te croyais moins… hargneuse. Que je finis par souffler en jetant un coup d'œil sur la demoiselle à mes côtés. C’est Wendy qui t’a rendu comme ça ? Ou peut-être la vie, pour ce que j’en sais. Mais si on passe deux heures ensemble, il va falloir qu’on trouve de quoi discuter sinon ça risque d’être chiant à mourir. Je pourrais tout simplement l’ignorer et écouter mon podcast mais est-ce que ça ne gâcherait pas une partie de l’expérience : le partage ?

Les voilà donc à marcher ensemble, sur un même rythme, dans ce cimetière de la nature où plus rien ne pousse tant l’Etna a pu éclater au fil des années. Dans cette terre hostile, il ne reste que quelques feuilles mortes, ici et là, et quelque part, ça désole Haiwee, mais contre les catastrophes naturelles, l’humain ne lutte pas. « Ok Mademoiselle Perspicace, on a déjà commencé. » Ca la fait sourire, un mouvement léger, et elles continuent à avancer, se perdant toutes les deux dans leurs pensées avant que la rousse ne viennent commenter. « Je te croyais moins… hargneuse. » Oui, parce qu’elle l’était. Gentille, à se laisser marcher sur les pieds. Mais tu vois, elle a appris à porter un masque, comme tout ceux que tu côtoies. « C’est Wendy qui t’a rendu comme ça ? » Wendy… la méchante sorcière, celle qui a trouvé dans ses vieux grimoires de quoi endurcir Haiwee. « Elle… » elle débute, heurté par la véracité qui se trouve dans les mots qu’elle allait prononcer, « Sheng, » parce que c’est vrai, il l’a changée, elle ne peut pas le nier, « l’université, » là encore, « cette société, » tout ce qu’elle ne connaissait pas avant et avec quoi aujourd’hui elle doit dealer, « la vie. » les gens comme celle qui se trouve à côté d’elle, qui lui donnent des envies de se rebeller sans se douter que dans quelques jours elles partageront ensemble un chai latte.

Je suis curieuse de savoir qui l’a rendu comme ça. J’ai entendu Wendy dépeindre l’amérindienne comme un tapis sur lequel on marche facilement mais il semblerait que ce ne soit pas vraiment le cas. Est-ce que c’est Wendy qui a abusé ou bien la demoiselle qui a changé ? Tout cela est très étrange et je compte arriver au fin mot de l’histoire, aussi lugubre ou macabre soit-elle. L’oreille tendue, je l’écoute. Elle… Sheng, l’université, cette société, la vie. Ah ouai, carrément. Elle s’est donc adaptée à notre société, à ce monde qui tourne trop vite et qui dénature tout. C’est… triste. que je ne peux m’empêcher de formuler, laissant une légère grimace déformer mon visage. Et ça te convient ? T’es celle que t’as envie d’être ? Parce que changer et évoluer avec son environnement c’est important mais si elle ne se reconnaît pas, il y a peut-être des habitudes à perdre, une douceur et une simplicité à retrouver. Pas que ça m’intéresse mais bon, on a du temps à tuer. Je lui adresse un clin d’oeil. Je sais pas où t’en es avec le sens de l’humour alors si jamais, c’est une blague, ça m’intéresse. Parce que ça m’intéresse réellement de savoir. Je connais Wendy depuis longtemps, je l’adore, mais j’ai vu le monde la changer et la faire devenir celle qu’elle est. L’Amérindienne étant la victime de ma meilleure amie pendant trop longtemps alors je n’imagine même pas les séquelles que cela a pu laisser.  

« C’est… triste. » Presque, elle s’arrête de marcher. Elle ne s’attendait pas à ses mots, elle se doit de l’avouer. Triste. Est-ce que véritablement ça l’est ? Est-ce qu’elle aurait dû rester telle qu’elle était ? La fille crédule qui croit en la bonté du monde entier ? Qui pense qu’avec son grand cœur, elle serait capable de tout changer ? Au final, son cœur, est-ce qu’ils ne l’ont pas tout simplement bousillé ? Entaché ? Est-ce qu’elle est mieux maintenant ? Ou est-ce qu’elle était meilleure, avant ? « Et ça te convient ? T’es celle que t’as envie d’être ? » Seulement ça, elle n’est pas capable de l’assurer. Elle veut être tout à la fois, la Haiwee qu’elle connait et celle qu’elle apprend. Parait que pour se trouver, ça prend du temps. Et elle, elle tâtonne, souvent. « Pas que ça m’intéresse mais bon, on a du temps à tuer. » Elle fronce les sourcils, un regard vers elle, décoché ; attrape le clin d’œil, à la volée. « Je sais pas où t’en es avec le sens de l’humour alors si jamais, c’est une blague, ça m’intéresse. » Alors elle craque un léger sourire, regardant autour d’elle, mais aussi où elle met les pieds, à la recherche dans le décor des bonnes paroles, pour s’expliquer. « Je ne sais pas, en fait, si ça me convient. » L’évidence est là, elle n’en sait rien. « J’crois que ce n’est pas une mauvaise chose d’évoluer, tant que je n’oublie pas qui je suis et qui j’ai été. » Changer, oui, mais en conversant ses valeurs, ce qui est cher à son cœur. « Ce n’est pas si triste. » Toujours perturbée par la conclusion qu’elle en avait tirée.

La conversation s’intensifie légèrement. Pour sûr, elle se fait plus sérieuse et implique une espèce d’introspection sur la brune. Je ne pourrai jamais donner une réponse pertinente à cette question que je lui pose pour la bonne et simple raison que je ne suis pas à sa place. Et si je comprends qu’il faut s’adapter à son environnement, changer pour s’intégrer me semble impensable. Sûrement parce que je n’ai jamais eu à le faire et n’aurais, je l’espère, jamais à le faire. Je ne sais pas, en fait, si ça me convient. J’crois que ce n’est pas une mauvaise chose d’évoluer, tant que je n’oublie pas qui je suis et qui j’ai été. Ce n’est pas si triste. Je comprends son point de vue et je vois bien ce qu’elle veut dire mais la nuance qu’elle met, je n’arrive pas à la trouver. Tant que tu me promets de ne jamais faire de choses que tu ne veux pas faire, juste pour faire plaisir… Alors je pense que je peux la laisser tranquille sur le sujet. Pas que t’en ai quelque chose à faire de mon avis. Mais bon, c’est important de rester fidèle à soi même. De ne pas se laisser abattre et assouvir par les diverses pressions sociales. Parce que je sais qu’avoir du caractère n’est pas ce qui la correspond le mieux non plus. Un sourire sur le visage, je continue d’avancer, prenant quelques clichés pour montrer tout cela à ceux qui me sont chers. Et au cours de cette randonnée, j’en apprends plus sur Pocahontas. Pocahontas qui, dans ma tête, s’efface au profit d’Haiwee.

RP TERMINÉ.