Les sables émouvants || ((ft Haiwee))

Méticuleusement, il applique de la crème solaire sur la petite fille, insistant bien sur son visage, notamment son petit bout de nez, même si cette dernière s'impatiente, commence à creuser le sable de ses petits pieds. ” Toi aussi papa !” Il hoche la tête. Lui n'a jamais été un adepte de la crème solaire, mais il se doit de montrer les bons gestes, d'inculquer à sa fille de bonnes habitudes. Avant de s’exposer au soleil, on devait se protéger. Chapeau, lunettes de soleil et crème solaire. Tout ce dont la petite fille était équipée, malgré l’ombre du parasol sous lequel il avait posé leurs serviettes Anders. Parce qu’il savait très bien qu’elle n’y resterait pas Anaé, qu’elle cavalerait dans le sable sans cesse, qu’ils iraient se baigner, et qu’il faudrait bien quelques heures avant que la petite fille commence à manquer d’énergie.

Il faut dire que les vacances étaient animées cette année. Ils avaient passé presque deux mois en Europe, notamment au nord afin de pouvoir emmener Anaé à Londres et à Copenhague, chez les parents d’Anders, mais aussi à Paris, dans la famille de Céleste. Une sacrée organisation qui avait demandé plusieurs jours de réflexion pour limiter l’impact des vols sur le bien être de l’enfant, ainsi que celui du décalage horaire. Quant au danois, il avait en plus passer une semaine à Chypre, en compagnie de Alby avant de récupérer Anaé et finalement prendre la direction de la Sicile pour la dernière étape des vacances. Et telle une coutume, la première personne que le danois s’était mis en tête de revoir en arrivant au summer Camp n’était autre que son ancienne filleule de confrérie, Haiwee. Alors qu’il aide Anaé à entasser du sable pour faire ce qui se rapproche plus d’un pâté que d’un château, il guette l’arrivée de son amie, repérée en premier par la petite fille qui tend les bras vers elle en s’exclamant. « Havii ! » Définitivement adoptée l’étudiante.

C'est le premier été reposant qu'il ait eue depuis longtemps Anders. Pas de mission protocolaire, pas de garde rapprochée, pas même de compétition pour lui cette année, pourtant friand de ce genre d'activité. Juste les vacances qu'il s'était promis il y a longtemps, à mener la vie dont il avait envie, à lézarder au soleil et à profiter de celles et ceux qu'il aime vraiment. Des vacances sous le signe de la famille, qui lui ont longtemps manqué. Mais peu à peu, il renouait avec sa famille, permettant à Anaé de profiter de la sienne. Elle avait vadrouillé entre la terre natale de son père et de sa mère, vu ses grands parents, ses tantes. Elle allait avoir des souvenirs d'une enfance douce et aimante, loin de la famille tourmentée que son père avait eut. C’était le minimum qu’il pouvait faire pour elle Anders, pardonner et se faire pardonner pour ces années de solitude, de colère. Épargner à sa fille ses propres traumatismes, rendre le monde qui l'entoure meilleur, à sa hauteur.

Dans les proches qu'il n'avait pas eu la possibilité de voir Anders, une manquait à laquelle. Haiwee. Ils ne s'étaient pas croisés depuis le début de l'été, tous deux ayant passé ces dernières semaines loin de Boston. Mais comme une coutume, un rituel de Noël en plein été, ils avaient réussi à trouver une date, à se fixer un rendez-vous au bord de l'eau. Tous les trois. Parce qu'Anaé serait de la partie, passant la semaine auprès de son père, et parce qu’il le sait le danois, que dans son entourage, l’amérindienne fait partie de celles que la présence de la petite fille ne dérange pas. C’est d’ailleurs la petite tête blonde qui la remarque la première, délaissant son tas de sable pour aller à sa rencontre. Il suit Anders, toujours mal à l’aise à l’idée de laisser plus de deux mètres de distance entre sa fille et lui dans les lieux publics, même si elle se trouve dans des bras de confiance. Séquelle de son propre enlèvement, conscient de la facilité avec laquelle on peut enlever un enfant de cet âge. Et alors qu’il se rapproche pour enserrer Haiwee dans ses bras, il les entend les pleurs, qui il le sait, ne vont pas tarder à en déclencher d’autres. « Han la la ! Haiwee a fait une bêtise ! » Il grimace de façon exagéré pour Anaé, tente de détourner son attention des pleurs du premier enfant. Echec, une nouvelle fois. Il soupire tend les bras à sa fille pour qu’elle revienne contre lui, la berçant doucement pour la calmer. « T’en fait pas, c’est normal. Si quelqu’un pleure, elle pleure avec. » Il ne traîne pas à tenter de rassurer son amie sur le comportement de la petite fille et ses subtilités, notamment sur cette phase étrange d’empathie qui semble faire d’elle une éponge. « Ca va aller ma puce. Regarde on va refaire le château tous ensemble d’accord ? » Il s’accroupit, commence à rassembler le sable humide pour lui faire prendre de la hauteur pour montrer l’exemple, calmant doucement les deux enfants. « Comment tu vas ? » Demande t-il alors, les yeux levés vers son amie.

Des larmes, il en a essuyé beaucoup ces dernières années, malgré lui. Il ne peut pas dire qu’il y est indifférent désormais - car les pleurs de sa fille résonneront toujours en lui comme un poignard en plein coeur - mais contrairement à la petite fille de deux ans, il savait instaurer une échelle de gravité dans les drames survenus. Une blessure physique, gravité à évaluer. Y caillou tout seul au milieu du chemin, à relativiser. Facile pour son coeur d’adulte, plus difficile pour le coeur de l’enfant qui à cet âge avait sa propre vision du monde. Alors il ne tarde pas à la prendre dans ses bras, à la rassurer. Rien d’irrémédiable, les châteaux de sables, ça se reconstruit. Et c’était apparement ce qu’ils allaient faire.

Anaé encore suspendue à son cou, il s’accroupit, lui montre la chose à faire. Aux deux enfants. Plus vite ils comprendraient que le château pouvait être reconstruit, plus vite les larmes sécheraient. Il reforme un tas de sable humide, tente de le modeler entre ses doigts pour lui donner l’aspect d’une tour. Ou d’un arbre ? Difficile à dire à ce stade de la construction. Et lorsqu’Haiwee si met également, l’idée semble enfin adoptée par les enfants qui se remettent enfin à patouiller le sable dans une humeur sans larme. Pas encore la victoire totale sur la tristesse d’avoir vu un chef-d’oeuvre s’effondrer, mais de quoi l’éloigner et revoir quelques sourires.

Alors que le nouveau chef-d’oeuvre prend doucement forme à coup d’eau, de sable et de seau, il en profite Anders, pour rattraper ces derniers mois où la communication s’était quelque peu faite absente. C’est sans trop de surprise qu’il la sent ‘débordée’ par ses vacances, tout comme il l’a été les années précédentes et il ne peut nier que ne pas participer à la compétition cette année fait la différence. « C’est marrant, j’ai l’impression que tu me disais la même chose l’année dernière. » Parce que malgré son hésitation et ses doutes partagés il y a un an, elle avait tout de même resigné pour. « Tiens donc. Le contraire m’aurait étonné. » Il ne s’étonne plus de la mention du Adams depuis bien longtemps Anders, lui qui a clairement vu la vérité avant que l’amérindienne ne se l’avoue vraiment, lui qui les avait aperçu plus d’une fois, des sourires niais sur le visage. « Je suppose que vous faites équipe en plus de ça ? » Bien que leur duo n’ait plus rien à prouver depuis leur victoire l’an dernier. « Nous ça va à part mademoiselle qui est tombé malade avec maman parce que sinon c’est pas drôle hein ! » Il en profite pour chatouiller la petite fille qui avait relever les yeux vers lui à la mention de sa mère. « Mais ça a été. L’avantage c’est qu’on voulait surtout passer du temps dans nos familles, alors on était pas trop stressé dans nos déplacements, on pouvait rester aussi longtemps qu’on le voulait. Tant pis si on reculait nos départs d’une journée ou deux. Et j’ai profité d’une semaine où elle était avec Céleste pour aller à Chypre avec un homme que je fréquente. » Même si quelques évènement les avaient secoué un peu leur relation.

Il ne peut que comprendre Haiwee, Anders. Lui aussi était un adepte des compétitions, lui aussi cherchait souvent à occuper son temps libre plus que de raison mais il faut croire que la sagesse faisait doucement son chemin dans son esprit, renonçant à des plaisirs égoïstes pour se soucier du temps qu’il ne pourra rattraper. Il se souvient encore très bien de la compétition de l’an dernier, se souvient également avoir dû confier Anaé tout un mois à la mère de l’enfant. Un mois de plus qu’il avait le sentiment d’avoir perdu, un mois pendant lequel il n’avait pas été présent, Anders, et pendant lequel la petite fille avait bien grandi. Alors cette année, il y avait réfléchi à deux fois avant de s’inscrire, avait étudié le programme. Trop de vols, trop de déplacements pour envisager de tous les faire avec Anaé. Renoncer pour une bonne raison. Un choix qu’il ne regrettait pas et qui s’avérait plus reposant que l’été que l’amérindienne et sa moitié devaient passer. « J’en doute pas. Je suis sûr qu’il a un caractère de mauvais perdant en plus. » Il a pu le préssentir à plus d’une occasion pendant ces années passées à la Adams, Sheng était assurément un compétiteur et probablement pas du genre à accepter la défaite si facilement. Tout comme le danois.

Danois qui se confie d’ailleurs sur son été à lui. A eux. Sur ces quelques jours pendant lesquels la santé d’Anaé a fait des siennes, encore, sur ce plaisir de simplifier au maximum l’organisation en se rendant dans des lieux déjà familiers et prêts à les accueillir aussi longtemps que besoin. Sur ce repos, qu’il n’a pas éprouvé depuis bien trop longtemps Anders, et auquel il pourrait prendre goût, au moins le temps qu’Anaé grandisse un peu. Mais la surprise dans ces vacances, elle ne vient pas de ces semaines passées à bourlinguer entre différentes capitales européennes, elle vient de la mention de cet homme qu’Anders fréquente, sans réellement savoir dire s’il peut le présenter comme son petit-ami ou non. « C’est un professeur d’Harvard. Pas un des miens, je te rassure. » L’information pourrait en déranger plus d’un, raison pour laquelle il précise le danois. Il ne se serait pas amusé à ça, si cela avait pu mettre en péril ses études. « Pour le reste… Une rencontre hasardeuse, un numéro échangé, des messages… Qu’est ce que tu fais toi, dis le si je te gêne. » Il se décale, un peu plus poussé par sa fille, tentant de récupérer du sable près de lui alors que du sable… Il y en a des tonnes tout autour d’eux. « Je disais quoi ? » Ca y est, il venait de perdre le fil.