the only way out is through.

tw : grossesse interrompue
Tu plaidais coupable. Quoi qu’elle fasse, au moindre geste, ton attention était directement happé et tes sens éveillés. Pire qu’un détecteur de mouvements ; elle bougeait un petit doigt et tu levais le regard, stoppais toute prétendue occupation - dont tu feignais de t’intéresser pour ne pas l’étouffer par ton inquiétude - et la respiration coupée, t’attendais si elle avait besoin de toi. Même d’une autre pièce, ton ouïe semblait avoir développé un sens aiguisé à la Spiderman, aux aguets du moindre bruissement t’alertant de toute demande. Affirmer que t’étais inquiet était un putain d’euphémisme. Silencieusement nerveux, agité, angoissé, apeuré, effrayé s’avéraient être des termes plus adéquates. Pour elle. Désemparé pouvait être également ajouté sur la liste. Parce que t’ignorais comment agir la majorité du temps, comment être présent sans être un tantinet trop suffocant, comment lui accorder son propre temps sans la laisser dépérir de chagrin, comment la réconforter sans omettre et mettre de côté le deuil qu’elle traversait… Aussi ridicule qu’il soit, t’avais même fini par occuper de nombreuses heures à feuilleter des articles et discussions sur internet sur « comment être le parfait soutien dans une situation semblable ». Inquiet n’était réellement pas assez violent pour exprimer l’agitation interne dont tu faisais preuve. Mais tu la laissais. Vaquer à ses occupations, respirer, se nourrir de tout ce dont elle avait la force de manger, occuper l’espace de ton appartement. Tout lui était permis. Et chaque mouvement de sa part était un soulagement sans nom que tu devais avoir du mal à cacher par quelques soupirs ou regards. Le yaourt qu’elle mangeait actuellement, par exemple : chaque cuillère avalée te rendit presque euphorique. Et n’en parlons même pas de sa proposition de sortir se promener. Un court instant, tu doutes de l’avoir entendu même et te stoppes dans ton repas, sourcil arqué. Tout ce que tu veux. Que tu réponds deux battements plus tard, usant au passage de ton récent credo de vie à son propos. Ne dis pas n’importe quoi. Elle faisait aussi parfois usage de l’humour, sans aucun doute pour cacher ses vraies émotions mais tu n’étais pas toujours aussi réceptif, l’appréhension planant constamment au-dessus de ta tête. Est-ce que t’avais déjà mentionné que tu étais putain d’inquiet ? Non ? Je vais prendre une douche rapide avant et je serai prêt d’ici une vingtaine de minutes, ok ? Et sans lui laisser le temps de revenir sur son idée, tu te lèves et pars en direction de la salle de bain, non sans un dernier regard envers elle.

Les effondrements pouvaient arriver à tout instant, sans crier gare. C’est pour cette raison que tu ne la lâchais que très - trop - rarement des yeux. Et c’est ce qui arriva, quelques minutes à peine le pied dehors. Du moins, les signes avant coureur de l’effondrement. Une poussette passe, vous dépasse et il était difficile de louper sa réaction. Instantanément, tu te positionnes en face d’elle, saisis doucement ses épaules. Hey.. Doucement, si doucement comme si tu tenais entre tes mains une poupée en porcelaine davantage plus fragilisée que la normale. Ce qui était peut-être le cas. Thea ? Je suis là.. Là, jusqu’à ce qu’elle en ait marre et même au-delà s’il le fallait. Regarde moi. S’il te plaît.

Elle l’aime vraiment, du fond du coeur et la reconnaissance qu’elle ressent envers la façon qu’il a d’être là pour elle est un puits sans fond. Il n’empêche que, quand il surveille, l’air de rien, le nombre de cuillères de yaourt qu’elle ingurgite, elle aurait presque envie de le tuer. Véritable peste qu’elle peut être, elle a aussi envie de lui dire que l’être humain peut tenir plusieurs sans s’alimenter, même sans boire d’ailleurs et que ce n’est pas la peine de glisser discrètement ses plats préférés dans son frigo, ou vers elle sur la table dans l’espoir qu’elle s’alimente. Elle n’a pas faim, ne daigne avaler quelque chose que quand sa tête se met à tourner, mais elle survit, et survivra de toute façon à ce qu’elle traverse. L’envie de se laisser dépérir est grande mais la jeune femme s’en sait incapable sur le long terme, aussi tentant que cela puisse être. Une part d’elle voudrait claquer des doigts et ne plus jamais ressentir cette peine, une autre voudrait qu’elle soit palpable et en faire une écharpe et une couverture dans laquelle elle pourrait s’envelopper à jamais. Elle relève presque le “tout” de “tout ce que tu veux” qu’il lui donne à tout va pour le taquiner mais elle n’en a pas le courage. Ca ne le fera pas rire, ça ne le fera certainement pas rire non plus alors autant économiser le peu d’énergie et de motivation qu’elle arrive à réunir. “J’me tais.” répond-elle à sa remarque sur ce qu’elle raconte. Il n’y a même pas de rancoeur dans sa phrase, juste un constat. Elle, si coquette, s’en voudrait en temps normal de sortir comme ça, mais honnêtement… juste l’idée de devoir se changer et choisir quoi mettre lui passe toute envie de sortir, alors, on fera avec les moyens du bord. “Prends ton temps.” souffle-t-elle, abandonnant son yaourt. Elle soupire doucement, note qu’une douche rapide, ce n’est pas vingt minutes chez elle mais ne peut pas dire grand chose. Elle se redresse, fait tomber la cuillère et soupire. Elle n’a aucune envie de la ramasser et hésite une seconde à faire comme si elle ne l’avait pas remarqué avant de décider que c’est en effet la meilleure stratégie. Elle jette le reste de son yaourt à la poubelle et mets ce qui est sur la table dans le lave-vaisselle, histoire de ne pas sentir complètement inutile. Un dernier coup d’oeil à la cuillère, elle finit par culpabiliser et la ramasser, ne prenant pas le risque de se faire hanter par l’idée de la mauvaise amie qu’elle est en ce moment.


Les yeux clos, elle compte jusque dix, vingt, trente, essaie d’éviter tout bruit extérieur pour ne pas avoir le droit au son, en plus de l’image. Par chance, le bébé ne se met pas à pleurer tout de suite, et si elle sent les mains de Haze sur ses épaules, elle se contente d’acquiescer, pas prête à ouvrir les yeux tout de suite. Maintenant que le “pire” (de la matinée, cela va sans dire) est évité, elle laisse l’onde d’émotions la traverser, se concentre sur son coeur, puis ses entrailles, et enfin ses jambes, mais… rien. Elle fronce les sourcils, cherche encore puis réouvre finalement les yeux. “Ca va.” souffle-t-elle, sans trop savoir si c’est pour elle ou pour lui qu’elle le dit. Elle est choquée mais le cerveau est tant et si bien fait qu’il semble avoir bloqué toute émotion, positive comme négative. Elle attrape le regard de son ami, pour le rassurer et acquiesce d’un signe de tête avant de prendre son bras pour reprendre leur marche. “Raconte-moi un truc.” Demande précise, aisée à contenter… Bon courage, Haze. Elle regarde droit devant elle, mais droit devant elle, c’est la poussette qui s’éloigne et au vu du déchirement dans son cœur, elle se demande si ce n’était pas mieux, quand elle était à proximité. Elle s’efforce d’avancer au même rythme que lui, doucement mais les larmes se mettent à couler, doucement, une par une puis toutes à la fois. Thea ne dit rien, laisse Haze jouer les troubadours. Que pourrait-elle bien dire, qu’il ne sache pas de toute façon ?