the shadow of the day will embrace the world in grey (wade & matteo)

Peut-être que mon attention n’est pas à son maximum en ce début de soirée. Peut-être que les nuits, depuis bien trop longtemps, se font trop courtes. Peut-être que la musique, qui résonne à fond dans l’habitacle, ne me permet pas d’entendre les pneus de l’autre véhicule crisser. Peut-être que c’est simplement écrit que la roue n’est pas prête de tourner, que ma chance s’est fait la malle. Toujours est-il que je ne le vois pas arriver. L’air se bloque dans mes poumons lorsque l’audi vient s’encastrer dans le flanc de ma voiture, me prenant par surprise. Je mets une fraction de seconde à comprendre ce qu’il se passe avant de piller sur les freins. Je suis sur et certain que ce putain de feu était vert, c’est ma première pensée quand je me retrouve à l’arrêt. L’impact n’était pas si brutal, mais je galère à trouver la poignée pour sortir de la voiture tant mon corps tremble. Je me tiens à la voiture pour tenir debout et vérifie que personne ne semble blessé mais l’autre chauffeur est sorti bien plus rapidement que moi du véhicule, ce qui est bon signe. Les voix des quelques témoins me parviennent et me confirme au moins une chose; j’étais en droit. Je pense que c’est la seule information qu’il me fallait pour me ressaisir; cet enfoiré m’a coupé la priorité et le flanc droit de ma voiture est en lambeaux. Je m’apprête à hurler mais je n’ai pas le temps d’ouvrir la bouche parce que c’est lui qui gueule. Je rêve. Le gars est en tort et ose l’ouvrir alors que je viens de perdre ce qui me permet d’aller travailler chaque jour. La suite est un peu floue, parce que je suis toujours sous le choc et que tout va beaucoup trop vite. Il s’approche d’un air menaçant, les insultes volent dans les deux sens, j’entends quelques personnes crier, et j’ai les mains autour de son col, son corps plaqué contre son propre véhicule, lorsqu’on m’écarte brutalement et que mes mains se retrouvent menottées. Il ne manquait plus que ça. Une fois calmé, le constat est fait sur les lieux de l’accident pour les assurances, on me confirme que la fourrière va embarquer ma voiture alors que je vais avoir droit à un petit tour au commissariat. On me fait poireauter deux bonnes heures avant de prendre ma déposition, puis la police se fait un plaisir de me provoquer mais je ne mords pas à l’hameçon; je ne connais que trop bien la manière dont ils fonctionnent et il est hors de question que je passe la nuit au poste. Il est près de vingt-deux heures lorsqu’on me retire enfin les menottes qui me meurtrissent les poignets, me rend mes affaires et m’autorise à quitter les lieux. Je ne sais pas pourquoi c’est Wade qui est attitré au rôle d’uber - peut-être parce qu’on discutait ce matin et que je sais qu’il n’a pas les gamins aujourd’hui. Je l’appelle sans trop fournir d’explications, lui demandant simplement de venir me sortir de là, et je vais me poser sur un banc non loin du poste en l’attendant. Je n’ai jamais été un grand fumeur, mais là, je rêverais de pouvoir me faire une clope. Les yeux plissés quand les phares de Bailey m'éblouissent, j’attends à peine qu’il soit complètement à l’arrêt pour ouvrir la portière passager et m’installer. Merci mec. Je me suis dit que j’allais animer un peu ta soirée. J’ai un sourire au coin des lèvres mais le cœur n’y est pas. Combien de temps va-t-il falloir pour que les assurances interviennent ? Je n’ai pas les moyens d’effectuer les réparations - ou m’acheter une nouvelle caisse. Je te serais éternellement reconnaissant si on pouvait s’arrêter pour choper un paquet de clopes et un truc à se mettre dans le ventre sur le chemin. Je n’ai pas mangé depuis midi et ce n’est que maintenant que l’adrénaline redescend que je constate que j’ai la tête qui tourne tellement j’ai faim.

L’appel de Matteo est assez inattendu, enfin surtout la raison derrière cet appel mais Wade n’a pas besoin d’y réfléchir à deux fois pour accepter de retrouver son ami devant le commissariat. Il lui a à peine donner deux-trois mots sur ce qu’il s’est déroulé et la raison de sa présence au poste - Wade n’a d’ailleurs pas compris grand chose - mais ce n’est pas le sujet pour l’heure. Après avoir assuré à son ami qu’il serait là dès que possible, Wade change rapidement de tee-shirt, le sien étant légèrement tâché et attrape ses clés pour se rendre au commissariat de la ville. Matteo est vraisemblablement impatient de partir de là - ce qui peut se comprendre - car Wade n’a même pas le temps d’éteindre le moteur qu’il se retrouve déjà dans la voiture. Il s’apprête à lui demander comment ça va quand Matteo le remercie. Un léger sourire se dessine sur son visage : “Alors c’est plutôt à moi de te remercier.” Il lui fait un petit clin d’oeil et décide de ne pas lui demander tout de suite ce qu’il s’est passé, histoire de le laisser respirer un peu. Son regard n’est pas au beau fixe et quand il demande à Wade s’ils peuvent s’arrêter, ce dernier accepte. “Bien sûr. Je t’invite à dîner.” Le jeune homme pense à ses lasagnes qui n’ont pas eu le temps de cuire dans le four, fronce les sourcils en essayant de se rappeler s’il a bien éteint le four avant de soupirer doucement de soulagement en se rappelant que oui. “Tu sais si y a un tabac pas loin ?” Wade ne fume pas assez régulièrement pour avoir mémorisé les tabacs du coin. “Je te propose qu’on mange italien, mais vu ta tête, tu ferais bien d’avaler un truc.” Profitant d’être à un feu rouge, Wade se penche vers Matteo pour ouvrir la boîte à gants. “Prends ce que tu veux, y a du choix normalement.” Quand on se balade avec des gamins régulièrement en voiture, mieux vaut avoir quelques ravitaillements pour combler leur faim au risque d’avoir un trajet agaçant et où l’on a envie de remettre en doute tous ces choix de vie.
Laissant le silence s’installer quelques minutes dans l'habitacle, Wade se rend au tabac désiré et laisse son ami aller chercher une cigarette. Il active les warnings, garé en double file et sort quelques minutes du véhicule, faisant signe à son ami de s’allumer sa clope dès maintenant s’il le souhaite. “Tu veux parler de ce qu’il s’est passé ?” Si Wade sait quelque chose sur Matteo, c’est qu’il n’est pas forcément le plus ouvert sur les choses qui le touchent vraiment. Il lui semble que le paysagiste a baragouiné quelque chose sur sa voiture et que cela ne devrait pas concerner son fils, mais Wade préfère lui laisser le choix de raconter ça ou non. “On va ajouter quelques bières ou du vin avec les pâtes, ça t’aidera à décompresser.”  L’alcool a beau ne pas être la façon la plus saine de gérer ces problèmes, cela ne veut pas dire que cela ne peut pas servir de coup de pouce de temps à autre.

Assis dans la voiture, j’ai du mal à rester en place bien que la police locale m'ait accordé trois longues heures pour me calmer. Je suis à cran, énervé autant contre cet imbécile que contre les forces de l’ordre, lessivé de cette soirée et dépité de ne plus avoir de véhicule. Enfin, peut-être qu’elle roule encore et que seule  la portière passager et celle de derrière sont hors d’usage. J’ai espoir mais vu ma chance ces dix dernières années, si ce n’est depuis la naissance, je n’ose pas forcément y croire. Ce n’est pas ce soir que j’obtiendrai la réponse puisque la fourrière est à présent fermée et qu’ils m’attendent demain pour récupérer la voiture. Ils ne sont ouverts qu’aux heures où je suis censé me trouver sur mon lieu de travail mais ce n’est pas comme si les choses étaient faites pour être arrangeantes pour les gens qui bossent dans ce monde. Je me débrouillerai, mon employeur comprendre. Enfin, on verra. Pour l’instant, je reporte mon attention sur Wade, qui a eu la sympathie de venir me chercher sans trop poser de question. Avec plaisir. J’essaye de sourire, mais c’est au-delà de mes forces. Je me sens pourtant déjà plus léger, maintenant que le commissariat n’est plus dans mon champ de vision, mais de là à dire que j’ai retrouvé le moral, c’est peut-être un peu poussé. T’es pas obligé, en vrai je serais déjà heureux avec un twix. Bon je dis ça mais vraiment, je suis affamé et je ne pense pas avoir quoi que ce soit dans le frigo à la maison. Je suis bon pour trouver un truc au 7 eleven du coin, soit probablement un pot de nouille chinoise à 1$ ou un donut, rien de bien consistant.  Hm tu peux t’arrêter à n’importe quel corner shop. Genre là bas le panneau vert, à mon avis ils en vendent. Je ne connais pas le magasin en question mais je doute de ne pas y trouver mon bonheur. Italien, c’est parfait. Mais tu me rends déjà bien service, ce serait plutôt à moins de t’inviter. T’as un truc précis en tête? J’ai très peu envie de claquer 100$ dans un resto, surtout vu les frais qui vont me tomber dessus avec la voiture, mais je lui dois bien ça et je peux peut-être influencer son choix pour finir dans un truc abordable. Wade n’a - à ma connaissance - pas des goûts de luxe, ça devrait le faire. En attendant, je fouille la boite à gant et en sors un kinder bueno avec un large sourire. Je crois que ça doit bien faire 2 ans que je n’en ai pas mangé. J’en achetais parfois pour Cael mais on essayait de ne pas trop l’habituer à avoir tout ça à la maison. Tu veux la moitié? Je demande en lui tendant un des bâtonnets alors que Wade se gare en double file. J’abandonne ma barre de chocolat sur le siège et court me chercher un paquet de clope, ressortant finalement avec une vape à la menthe.
De retour dans la voiture, je mords dans le kinder et en mange une des “boules” avant de hocher la tête lorsque Wade m’invite à fumer sans attendre. T’es sur que je peux dans la voiture? Je peux attendre. Ca ne sentira pas aussi mauvais qu’une clope mais il transporte ses frères et sœurs donc je peux me retenir dix minutes de plus. Un soupir s’échappe de mes lèvres à sa question, repensant aux événements du jour - enfin de la soirée, car ma journée de boulot était somme toute banale. T’es conscient que si t’ouvres le vin, je dors sur ton canapé? Je dis ça et me rattrape aussitôt. Ah bah non, je peux boire pour prendre le bus… Un avantage, si on peut dire, mais je préfèrerais de loin être au coca et avoir tout le loisir de reprendre le volant. Un pauvre con m’a coupé la priorité, mes deux portières droites sont complètement défoncées. Je ne sais même pas si je peux encore rouler. Le gars est en tort et ose me sauter à la gorge.Une chose en entraînant une autre, je me suis retrouvé le cul au commissariat. Je crois qu’il n’a pas besoin de dessin, il connait mon impulsivité même si je n’ai jamais été violent devant lui.

Bien qu’il tâche de se concentrer sur la route, Wade observe également l’état dans lequel se trouve son ami. Après quelques heures au poste, il ne peut être que nerveux. Du moins, le pâtissier a du mal à imaginer que les choses puissent en être autrement. Même en étant irréprochable, ce n’est pas quelque chose de particulier plaisant, se souvient Wade en repensant au braquage de banque d’il y a quelques mois. Il s’était retrouvé captif dans l’enceinte de la banque pendant de longues minutes et s’il n’y avait aucun blessé ou aucun décès à déplorer, Wade avait été sacrément secoué par cette épreuve. Quand il avait dû retourner quelques jours plus tard au commissariat pour compléter sa déposition, il en était ressorti explosé et avec la fâcheuse impression qu’on remettait en question la moindre de ses affirmations, le moindre de ses souvenirs, ce qui n’avait évidemment absolument rien d’agréable. L’appel inattendu de Matteo laisse tout de même entendre que la visite n’a rien à voir et Wade ne tarde pas à voir les signes de nervosité chez son ami. “Ca me fait plaisir, et tu as clairement besoin de te changer les idées.” Profitant d’un stop, Wade jete un coup d’oeil entendu à son ami, pas tant pour lui dire qu’il n’est pas dupe mais pour lui dire qu’il est là pour lui, et pas uniquement pour jouer les chauffeurs improvisés. Matteo ne doit pas être du genre à s’étendre mille ans sur un sujet, mais il y a bien d’autres façons d’être là pour ses amis, comme en leur changeant les idées ou en étant présent, tout simplement. Wade acquiesce d’un signe de tête quand Matteo lui montre où s’arrêter et s’y dirige sans plus de commentaire. “T’en fais pas, t’auras d’autres occasions de m’inviter.” Il n’a pas spécialement l’intention de lui rappeler qu’il lui doit une invitation, d’une façon ou d’une autre surtout qu’il sait que son ami ne roule pas sur l’or. Ce n’est pas non plus le cas de Wade mais il a la chance d’avoir un toit sur la tête dont l’intégralité des échéances ont été payées - par l’assurance décès de son patriarche, certes. “Y a pas un p’tit italien à quelques minutes d’ici. Il ne paye pas de mine, mais il est tenu par un italien de quatre-vingt ans et son fils, et je n’ai jamais rien mangé d’aussi bon de toute ma vie, à part peut-être mes propres gâteaux.” Tentative d’humour dans le but de faire naître un véritable sourire sur le visage de Matteo, même si Wade ne dit pas loin de la vérité : il s’agit du meilleur italien qu’ils connaissent. Peut-être que dans les restaurants hors de prix, il y a mieux que ça mais Wade n’a même pas envie de savoir, ou de comparer tant il se régale chaque fois ici pour des prix tout à fait raisonnables pour Boston et la localisation du restaurant. “Nan c’est bon, j’ai ma dose de sucre. Avec l’ouverture prochaine de la pâtisserie, j’ai l’impression de ne manger que ça, parfois.” Le problème vient principalement du fait que pour améliorer ses recettes, il doit tout goûter encore et encore, et même si les enfants sont volontaires pour être cobaye, ce n’est pas une étape dont Wade peut se passer. Avec un peu de chance, les choses se calmeront bientôt. Wendy et lui ne devraient plus tarder à finaliser les travaux et déterminer ensemble une date d’ouverture.
Quand son ami revient dans la voiture, Wade se glisse directement dans le siège conducteur et acquiesce d’un signe de tête quand Matteo lui demande s’il est sur qu’il peut fumer. “T’inquiète, laisse juste bien la fenêtre grande ouverte.” Il y a quelques situations qui exigent qu’on renonce à certains principes, surtout que les enfants vont désormais à l’école en bus scolaire. Wade aura bien le temps de la désodoriser d’ici à ce qu’ils remontent dedans. Un léger rire s’échappe du canapé : “T’inquiète, je ferai Sam s’il faut.” Wade prendra sûrement un verre également mais cela ne l’empêche pas de s’arrêter à un seul. “Je peux même te déposer chez toi…” dit-il pour le rassurer, avant de s’arrêter à un feu rouge. “Et si t’as besoin de la voiture, dis-moi. On peut s’arranger selon tes horaires.” Il interroge ensuite Matteo sur la raison de son arrestation et acquiesce doucement. Wade n’est pas d’un naturel violent ou bagarreur mais il n’a aucun mal à imaginer comment les choses peuvent déraper rapidement dans ce genre de situation. “Lui aussi, j’espère ?” demande-t-il avant de redémarrer la voiture, puis de rouler pas plus de quelques minutes avant qu’il ne se gare. “C’est là en face, chez Santa Clara.” lui dit-il en montrant l’enseigne vieillie. “Le gérant est adorable, il risque même de t’offrir quelques shots pour t’aider à te remettre de tes émotions.” Cela ne résoudra pas tous ses problèmes, bien au contraire, mais une chose à la fois. Matteo aura bien l’occasion de s’inquiéter du reste demain.

Bien que j’ai tendance à me la jouer solo plutôt que de demander un coup de main aux rares personnes à qui je me suis sincèrement lié à Boston, aujourd’hui je n’ai pas eu envie de me retrouver seul. J'aurais pu juste trouver comment rentrer à la maison en bus mais primo, ça aurait pris bien plus de temps et deuxio, un peu de compagnie n’est pas de refus afin de penser à autre chose. Je sais parfaitement que si je rentre maintenant, je vais tout de même passer des heures à retourner la situation et me prendre la tête en boucle - tant pour l’accident que pour ce passage injustifié au poste. C’est con, mais ça me permet aussi de voir que notre amitié n’est pas superficielle et que je peux sincèrement compter sur lui, car il n’y a que dans les mauvais moments qu’on découvre réellement qui sont ses amis. Ça marche, merci. Je te revaudrai ça. J’adresse un clin d'œil à Wade avant de reporter mon attention sur la route. Peu importe le choix de repas pour ce soir, tout me va car je meurs de faim depuis plusieurs heures et même si j’affirme pouvoir me contenter d’un chocolat, j’ai besoin de me remplir l’estomac avec un vrai repas. Avec un peu de chance, ça m'aidera également à me calmer. Parfait. Je rêve déjà du tiramisu. Avec un peu de chance, ils en auront à la carte - j’ai rarement vu un restaurant italien qui ne proposait pas cette option. Lorsque Wade mentionne sa pâtisserie, je tourne la tête vers lui et l’écoute attentivement, content de pouvoir me concentrer sur un autre sujet. Je sais qu’il a consacré énormément de temps et d’énergie dans la réalisation de ce projet, au-delà de l’argent investi, et j’espère sincèrement que ce sera un succès pour lui. Je l’admire vraiment de se lancer dans son propre business, avec les risques que cela comportent et surtout le temps que cela risque de lui bouffer au quotidien pour les mois, voir les années, à venir. Ah oui, tu m’étonnes ! N’hésite pas si t’as besoin d’un cobaye de temps en temps. J’ai beau être beaucoup plus salé que sucré et être assez vite écoeuré par les desserts, je veux bien me proposer si ça peut aider Wade. Je ne serai clairement pas la personne qui lui dira que ça manque de si ou ça, n’ayant pas le moindre talent en pâtisserie, mais parfois un second avis fait toujours plaisir.
Après un stop au corner shop, j’ouvre la fenêtre même si je n’ai jamais trouvé l’odeur des vapes dérangeantes. Je ne suis pas dans ma voiture et si j’avais encore Cael, je ne voudrais pas que l’odeur persiste donc je comprends totalement la demande de Wade qui a souvent les enfants à bord. Je vais éviter d’abuser parce que demain je dois bosser et j’ai intérêt à me lever tôt pour arriver à l’heure en bus. J’ai déjà intérêt à me lever tôt pour comprendre quel bus prendre et anticiper le fait que ça prendra peut-être beaucoup plus de temps qu’en voiture. Si je pouvais éviter d’en plus me réveiller avec la gueule de bois, ce serait bénéfique car je sais d’avance que le moral ne sera pas au rendez-vous. Mais oui, je veux bien que tu me re-déposes ce soir, je dormirai d’office mieux dans mon lit. Et accessoirement, je n’ai aucune envie d’abuser de sa générosité.
Wade me questionne enfin sur les faits et si je soupire, je n’hésite pas à lui répondre. J’admire déjà qu’il ait réussi à me faire la conversation l’air de rien jusqu’ici sans avoir le moindre détail sur ma mini garde-à-vue. Ouai, lui aussi. Mais ce pauvre con à appeler je-ne-sais-qui et il était sorti en trente minutes. J’ignore s’il a des amis haut (ou bien) placés ou s’il a juste payé sa carte de sortie, mais il s’est échappé bien plus vite que moi. Enfin, au moins il y avait des témoins et la police est allée dans mon sens pour remplir le constat. Je doute que ça me permette de me racheter une nouvelle voiture mais c’est mieux que rien. La voiture ralentit et j’observe le restaurant que me désigne Wade et dans lequel je n’ai jamais mis les pieds. Oulah je pense que je vais rester à la bière, j’ai une longue journée demain. Mais ça me fera une bonne adresse dans mon répertoire si j’ai un rdv et ne sait pas où aller. Même si je suis plus sur des plans d’un soir ou je ne fais aucun effort pour séduire qui que ce soit pour l’instant, sait-on jamais.

“T’en fais pas.” répond Wade sans y réfléchir quand son ami parle de lui revaloir le service rendu. Ce n’est vraiment pas le but de la démarche ; Wade n’a jamais été du genre à compter les points en amitié. Ce qu’il donne, il n’envisage jamais de le reprendre et si l’amitié lui semble trop déséquilibré, alors il s’éloignera petit à petit. Tout le monde n’est pas fait du même bois, c’est quelque chose dont il a toujours eu conscience et c’est la raison pour laquelle, en amour comme en amitié, il essaie de ne pas avoir de rancœur. Si les gens sont incompatibles, alors il faut soit être capable d’accepter les compromis, soit passer à autre chose. Faire durer des mois voire des années quelque chose qui nous faut du mal n’a aucun intérêt. Wade le sait pertinemment, car c’est une réflexion que sa relation avec Billie le pousse à avoir régulièrement. Pour l’heure, la conclusion est toujours positive mais chaque fois Wade ne peut s’empêcher de se demander, pour combien de temps encore ? “J’espère que c’est le tiramisu classique qui te fait envie. Le gérant a un envie très tranché sur les dérivés du tiramisu type tiramisu fraise, pistache, etc.” Wade, lui, n’est pas aussi puriste, mais après tout il n’est pas non plus italien, ce qui peut expliquer son manque d’attachement à quelque chose d’aussi classique. Naturellement, Wade en vient à parler de son projet de pâtisserie. Le sujet des desserts abordés, il est naturel que ses pensées se dirigent à nouveau vers ce projet d’envergure, même s’il doit bien admettre qu’il ne lui faut généralement pas grand chose pour qu’il y pense. Il vit, mange, dort ce projet et si ce n’est sans doute pas bon sur le long terme, Wade ne se sent pas capable, pour l’heure, d’en faire autrement. Il espère qu’une fois le projet lancé (et pas uniquement la pâtisserie ouverte, mais celle-ci sur une bonne voie), il pourra se permettre de respirer un peu plus et de ne pas y consacrer autant de temps - tant pour sa santé personnelle que pour sa vie familiale et sociale. “Merci mec, étrangement tout le monde est volontaire sur ce genre de choses.” Cela doit être comme quand on ouvre un salon de massage ; tout le monde veut bien tester les capacités de son ami. “Mais quand tu veux, oui. Il est rare de passer à la maison sans que quelque chose soit au four.” Car même si le menu est désormais arrêté, il faut penser aux prochaines modifications à apporter au menu, que ce soit pour avoir quelque chose de plus saisonnier ou simplement pour le renouveler, et retirer les produits qui ont moins de succès.
Wade acquiesce quand son ami lui dit qu’il va devoir se lever tôt le lendemain et essaie de réfléchir à une solution qui lui permettrait de ne pas prendre le bus à des heures indues pour se rendre au travail. “On part généralement de la maison à 7h30 pour que les enfants soient à l’école à 8h, mais on peut partir plus tôt et venir te chercher si ça peut te rapprocher un peu. J’ai pas vraiment encore d’horaires avec la pâtisserie.” Les choses seront différentes quand elle aura ouverte, mais si en attendant, il peut rendre service à son ami, Wade est heureux de le faire. Il acquiesce d’un signe de tête quand son ami lui parle de le redéposer, car il n’a jamais envisagé une seconde les choses autrement.
Une fois qu’il a l’impression que son ami est un peu calmé, Wade succombe à la curiosité et interroge son ami sur les raisons de son incarcération. La tension s’empare immédiatement de l’habitacle et Wade l’observe du coin de l’oeil, tout en restant vigilant sur sa conduite. “C’est déjà ça de pris…” se contente Wade de répondre. S’il est quelqu’un de spontané, il n’a jamais été quelqu’un de sanguin et a du mal à comprendre comment les choses ont pu déraper de là à en venir aux mains, mais n’étant pas sur les lieux quand l’accident est arrivé, il est facile de juger sans vraiment réaliser ce qui a pu se passer.
Une fois arrivé, il se gare rapidement et lui précise que le gérant a tendance à se montrer généreux quand il s’agit de proposer à boire à ses clients. Il acquiesce à la réponse de Matteo et précise tout de même : “La dernière fois que j’ai fait ça, j’me suis retrouvé avec une pizza en forme de coeur, alors fais gaffe à ce que tu commandes.” Wade vient ici depuis des années et c’est sans doute la raison pour laquelle le gérant s’est permis une telle chose. “Mais il le ferait pas à tout le monde; ça dépend à quelle fréquence tu viens et de ta relation avec lui, j’imagine.” Il avait d’ailleurs été gêné de sa maladresse même si Wade s’était bien amusé de la gueule qu’avait tiré Billie à cette occasion.

Je souris et n’insiste pas plus, sachant que j’aurai sans doute l’occasion de rendre la pareille à Wade à l’avenir. Pas tant que j’ai besoin de le faire, je sais parfaitement que ce n’est pas pour cette raison que le jeune homme est venu me sortir de garde à vue ce soir, mais bien parce qu’il s’agit d’une des rares personnes en qui j’ai confiance à Boston. Je garde une part de méfiance, simplement parce que je me suis juré de ne plus jamais me faire avoir, mais ma garde est baissée la plupart du temps en sa compagnie et je n’ai aucun doute sur le fait que je peux compter sur lui à toute heure du jour ou de la nuit et ce malgré ses obligations. Ne t’en fais pas, je ne lui ferai pas l'offense de lui en demander un au spéculoos. Même si je les trouve, personnellement, tout aussi bon si ce n’est plus que la recette originale. Je ne suis cependant pas difficile et apprécierai grandement le dessert, quel qu’il soit. Si je ne suis pas très “ sucré “ d’ordinaire, c’est un peu ma “confort food” lorsque ça va moins bien, même si en général je saute plutôt sur un paquet de bonbons qui ne demande aucune préparation quelconque. Ouai pardon, c’est nul comme proposition en fait. Tout le monde doit te dire pareil. Et en vrai de vrai, j’aimerais ne pas prendre dix kilos dans l’opération. J’ai beau apprécié goûter ses nouvelles recettes, il y a peu de choses qui n’ont pas un petit package “ + 1000 calories dans ton bide “. Compte plutôt sur moi si t’as besoin d’un coup de main manuel. Même si je n’ai rien contre tes desserts. Ça lui sera sans doute beaucoup plus utile d’avoir quelqu’un pour peindre un mur, monter un meuble, que quelqu’un pour lui dire que c’est délicieux, sans avoir les papilles gustatives d’un grand chef et donc un commentaire constructif à apporter. On ne va pas se mentir, je ne serai jamais la personne qui lui dit que ça manque de si ou de ça.
C’est gentil mais je m’en voudrais de les forcer à se lever plus tôt. Et puis y’a un tas de gens qui n’ont pas de voiture, ça ne doit pas être si mal desservi. En tout cas je l’espère. A Forth Worth, je faisais tout en voiture car il n’y avait rien autour de la maison. Pour un pain, pour aller dire bonjour à quelqu’un, tout forçait à avoir un véhicule et j’ai pris la mauvaise habitude de sauter dedans même pour faire un kilomètre. Peut-être que ce passage sans me sera bénéfique, même si je suis bien trop grincheux à l’heure actuelle pour l’admettre. Mais merci de proposer, c’est cool. Je retiens, si après deux jours je me rends compte que c’est un enfer… Je souhaite l’embêter le moins possible mais je préfère ne pas complètement rejeter sa proposition, juste au cas où il m’est impossible d’arriver à l’heure au boulot à l’aide des transports en commun. Ouai, comme tu dis. Je hausse les épaules et préfère ne pas m’attarder plus longtemps sur le sujet que je vais déjà ruminer toute la nuit, si ce n’est toute la semaine. Je crois qu’en fait, l’attitude de ce pauvre type m’emmerde autant que le fait d’être privé de véhicule. S’il s’était excusé platement, je serais toujours aussi dépité pour la voiture mais j’aurais pu relativiser sur le fait que ni l’un ni l’autre nous n’étions blessés. Aussi rares soient les dollars d’économie sur mon compte, la voiture restait un bien matériel qui ne valait pas une vie. Le problème est que ce bien matériel me permettait de travailler et donc de vivre, et que ce connard n’en avait rien à foutre. Je ne serais même pas surpris qu’il ait 2-3 caisses dans son garage.
Arrivés au restaurant, Matteo observe l’enseigne et sourit à l’explication de son ami. Oh wow. C’est un peu extrême, même s’il te connaît bien. Je m’imagine venir avec une jeune femme que j’espère juste déshabiller et me retrouver avec une pizza en forme de coeur… Je ne serais pas gêné mais plutôt blasé par l’attitude du patron, ou du serveur, qui se permet de tirer des conclusions hâtives sans rien en savoir. Ce que tu me dis, en fait, c’est que je dois te tenir la main si je veux une pizza en forme de cœur ? Je demande en riant, flanquant les dites mains dans les poches de mon hoodie car il était hors de question que je prenne la main de mon pote. Je sais que Wade fréquente hommes et femmes mais il n’y a rien de tout ça entre nous et je refuse de jouer à ce genre de jeux, même pour rire. Non pas par honte, mais par principe et parce qu’on ne sait jamais comment peuvent être interprétées les choses, même s’il n’y a pas la moindre ambiguïté entre nous et qu’il n’y en aura jamais. On entre et Wade est accueilli par le patron lui-même, qui me sert la main et à qui j’adresse un sourire forcé. En fait, tu manges ici quatre fois par semaine ? Je demande pour le taquiner une fois à table, et ouvre le menu sans plus attendre. C’est quelqu’un que t’emmène souvent ici qui a eu le droit à une pizza en forme de coeur ? Je demande, parce que je me rends compte que, détestant parlé de ma vie privée, je pose rarement des questions aux autres et ignore complètement ce qu’il en est pour Wade. Il pourrait tout aussi bien être en couple sans que j’en sois conscient, s’il ne me l’annonce pas clairement.