J’ai toujours cru avoir la vie dont tout le monde rêvait. Vivre dans une belle maison près de Toronto au Canada. Vivre avec des revenus suffisants et faire des voyages tout autour de la planète. Etre fille unique et donc avoir les parents rien que pour soi. Oui, c’est vrai que j’aurai pu dire que j’avais une belle vie. Ma mère était médecin et mon père PDG d’une grande entreprise de cosmétique. Ils étaient tellement occupés par leur boulot respectifs que je fus amenée à avoir une nounou, Julie, jusqu’à ma seizième année. Je ne les voyais que très rarement, surtout le soir avant de me coucher. Je grandissais sans eux en quelques sortes. Julie était la seule sur qui je pouvais compter. Quant à mes parents, les seuls moments que l’on passait ensemble, c’était pendant les vacances. J’avais fait de nombreux pays, rien qu’en dix ans j’avais visité tous les continents. Et j’étais tombée amoureuse de tout cela : du voyage, des cultures, des personnes… C’était magique et ça me construisait tout en même temps. Je me jurai que quand je serais grande, j’irais vivre ailleurs que le Canada. Que je changerai de maison à chaque fois que j’en avais envie. Mais ça, ce n’était qu’un rêve d’enfant.
Mon autre rêve ? La danse classique. A mes quatre ans, mes parents m’inscrivirent à des cours de danse classique. Au fil des années, je m’appliquais et je rêvais de devenir un petit rat de l’opéra. Mes parents en rigolaient en me disant que ça ne durerait qu’un temps, que les passions s’évanouissent au fil des années et que j’étais encore trop petite pour me faire une idée de la vie.
« La vie est dure Louise, tu n’auras pas souvent le choix. » J’étais petite et je faisais confiance à mes parents. Je me rappellerai toujours de la tête de Julie quand mon père m’avait dit ça. Elle avait baissé les yeux au sol et se mordait la lèvre, comme si elle ne voulait pas intervenir. Je n’avais pas osé lui demander ce qu’il se passait, car pour moi, mon père avait raison car j’avais une confiance aveugle en eux. J’étais naïve, j’étais jeune…
Côté scolarité, j’étais assidue et appliquée. Mes parents m’inscrivirent dans la meilleure des écoles privées à Toronto. Je passais les années avec succès et aucun problème ne vint à l’horizon. Mes parents me voyaient déjà médecin, comme ma mère, ou dans le commerce, comme mon père. Mais moi je n’avais rien envie de tout ça. Pour moi, la danse était ce que je voulais faire le reste de ma vie. A 18 ans, quatorze années de danse classique derrière moi, je décrochais mon diplôme de fin de lycée. La vie s’offrait à moi et je devrais faire des choix pour mon avenir. Et ce fut à partir de là, que ma vie «
parfaite » s’arrêta net. Il y eut d’abord les disputes concernant mon projet de métier : pour moi, je ne me voyais que travailler dans l’art de la danse, être professeur de danse classique. Du côté de mes parents, ils ne voyaient pas mon choix du même œil, pour eux ce n’était pas un métier, ce n’était qu’une distraction. Ils m’inscrivent de force dans une université près de chez nous, dans la filière médecine. Je n’étais pas assez forte pour les confronter alors je me forçais à aller à ces cours. Je me faisais violence, mais je ne voulais pas décevoir mes parents, quitte à ne pas réaliser mes rêves. Je fis deux ans de médecine, et j’avais plutôt de bons résultats alors que la motivation n’y était pas. Mais malgré tout ça, je continuais de prendre des cours de spécialisation de danse classique en douce. Je rentrais tard le soir et vu que mes parents n’étaient pas là une fois sur deux, ils ne se doutaient de rien. J’entamais ma cinquième année de médecine quand je décrochais mon diplôme de professeur de danse classique. Oui, j’avais fait double-filière, j’étais crevée, des poches sous les yeux… Mais j’avais réussi. J’avais réalisé mon rêve. Et je devrais affronter mes parents pour leur dire la vérité. J’avais tout prévu, un petit dîner rien que tous les trois et tout ira bien. Et puis, je n’avais rien à me reprocher, j’avais quand même suivi mes cours de médecine ? Bref, j’étais prête. J’avais tout prévu, sauf peut être que mon père ait invité un homme à dîner ce soir. Tout mon plan tomba à l’eau. Et un autre problème s’en souleva. Mon père voulait me caser avec. Le dîner se passa relativement bien. Arthur, ledit prétendant, était plutôt séduisant, mais trop sûr de lui, un peu trop prétentieux. Mon père me força en quelques sortes, à passer du temps avec lui, car selon lui, c’était un bon parti. Ma vie amoureuse étant tellement morte à cause de mon emploi du temps de ministre, que je ne pouvais pas vraiment refuser de passer des instants avec Arthur. On commença à sortir un mois après et je commençais à me confier à lui. Il me conseilla d’avouer à mes parents pour mon diplôme de professeur. C’est ce que je fis et comme je devais m’y attendre, cela éveilla la colère de mon père. Surtout que depuis, j’avais arrêté les études de médecine.
Les années passèrent, cela faisait maintenant trois ans que j’étais avec Arthur. Je n’éprouvais pas de sentiments pour lui, je n’avais pas réussi à tomber amoureuse de lui. Mais je m’étais habituée à sa présence et ça me rassurait plus qu’autre chose. J’avais trouvé du boulot dans une petite entreprise de danse et je donnais des cours à des enfants d’une dizaine années. J’étais encore en froid avec mes parents, surtout avec mon père, il ne m’adressait plus la parole. Mais la vie continuait et j’avais réalisé au moins un de mes rêves.
Jusqu’à ce jour où Arthur me demanda en mariage et ce, en plein dîner avec mes parents. Je ne m’y attendais tellement pas que je m’excusai et je partais dans la cuisine en débarrassant un peu la table. Mon père ne tarda pas à me rejoindre, posant une main décidée sur mon épaule et murmura :
« Accepte. C’est un bon parti, et je pourrais te pardonner. Qu’est-ce que tu as à perdre ? Tu as un salaire minable, un boulot minable, il va devenir PDG et pourra subvenir à vos besoins. Et puis, tu ne connais que lui non ? Accepte Louise. » Mes yeux rivés sur la vaisselle, je ne répondis rien. Mon père n’ajouta rien de plus, juste un regard bien appuyé, puis repartit au salon. Je soupirai, je laissais la vaisselle de côté et je retournais au salon. Je me sentais piégée. Si je refusais, je mettrais mon père en furie encore une fois, je perdrais tout. Et puis il avait raison non… ? Je me sentirais peut être bien… J’acceptais. Je rendis Arthur et mes parents heureux, c’était déjà ça. Un mois plus tard, la bague était passée à mon doigt. J’étais officiellement la femme d’Arthur. Au début, c’était bien, j’étais habituée… Mais Arthur commença à faire des voyages d’affaire, il était de plus en plus absent, et dès qu’il revenait, il n’arrivait pas à baisser sa tension. On se disputait un peu trop, jusqu’au jour où il leva la main sur moi. Il ne fit pas que la lever, il me frappa. Il s’excusa rapidement et je mis ça sur le compte du stress dans son boulot. Sauf que ça recommença, celle d’après il m’attrapa les poignets pour les serrer, jusqu’à m’en laisser la trace. Il fallait que je m’en aille, que je change d’endroit. J’avais peur de divorcer, peur qu’il ne m’en veuille encore plus et je ne voulais pas le dénoncer non plus. Je commençai à chercher d’autres postes de boulot lorsqu’il était en voyage d’affaire. Et une idée me tomba dessus : Harvard. Je pouvais tenter non ? J’envoyais mon CV. J’avais déjà prévu d’en parler à Arthur, prétextant que je voulais changer d’air, de profiter de son absence pour changer de boulot, quitte à déménager. Etrangement, il était d’accord, à condition qu’il vienne me rejoindre dès qu’il aurait terminé ses voyages d’affaire. Je n’avais plus qu’à attendre la décision de l’université. Elle arriva le jour où une nouvelle effroyable traversa le campus. Des bombes avaient explosé un peu partout. Mais la nouvelle était positive, et je n’allais pas faire marche arrière. Il ne me manquait plus que de trouver un logement près de l’université, et j’étais prête à changer de vie. Enfin, essayer de changer de vie.