SONNY KIDD ✧ Francesco Cuizza

CIGARETTES BURNS ⸻
paraphe sanglante de leurs caresses irascibles

cigarette au bec. suivant l’impulsion de ses élans autodestructeurs. les canines plantées dans les fresques de nicotine, se répandent en aquarelles impures dans ses poumons carbonisés par trop d’années à inhaler les vapeurs chimiques. le long corps blanc expie les péchés jamais confessés, d’une culpabilité étouffée, calcine l’extrémité des doigts qui l’empoignent comme il le ferait de la plus fidèle des amantes. le geste est cyclique, prévisible, presque théâtral; le script est un copier-coller de mouvements scéniques qui présagent, chaque fois, la même tragique fatalité. un long filet s’extirpe des chaires pulpeuses, formant au-dessus de la tête du prince déchu, la forme indéfinie d’un nuage chimérique qui s’étouffe dans l’infini, disparaissant sous le manteau charbon de la nuit qui s’effrite en étoiles et confettis. ses vêtements, bouts de tissu fripés, passés sous le serment d’une éternité de misère et grossièrement rafistolés, sont parfumés de l’odeur de la mort, sans date de péremption. esclave de la nicotine, il la laisse imprégner sa peau de son infortune, charger son haleine de son nectar arsenic, infecter ses veines de sa caresse venimeuse. cadavre en sursis, il est de ceux qui hument leur poison létal, un pied dans la tombe qui porte déjà son nom.

les premiers cris sont étouffés par la musique techno des voisins défoncés du dessus et du volume 36 de la télé dans la salle à manger. maman absente. quand il était là, papa affalé dans le canapé. big beer belly. incapable de supporter les plaintes stridentes de bébé. à semer ordres à femme. à écraser son poing contre la table ou sur joue déjà ecchymosée à la moindre contradiction. poupon, il apprenait déjà à élever la voix pour se faire entendre à travers le vacarme de leurs violences. plus grand, il défonçait les barreaux de son berceau. déjà, la colère s'installait en lui, grondait au creux d’ce petit ventre affamé, les excréments s'accumulant dans une couche pas changée depuis quelques jours. plus tard, l’innocence se transforma en rêves brisés. la dureté de la réalité défilait devant lui comme un film de mauvaise qualité. le rouge, le bleu et le mauve sur les joues et les yeux de maman ne sont pas de la peinture. aquarelle de couleurs, de douleur; reflet d'une violence silencieuse, bruyamment étouffée comme ses cris à travers l’anarchie. pourquoi ne parlait-t-elle pas? pourquoi ne criait-t-elle pas? comme il gueulait déjà, bambin. pourquoi? pourquoi? pourquoi. trop gelée, trop défoncée, engourdie par une vie de misère et de sucre en poudre empruntés sur gage du maigre salaire au voisin du dessus.

brouillard abyssal. vertige sur goudron. odeur de rosée sur herbes jamais rasées donnent la nausée. traîne à côté d'une lettre manuscrite signée par des doigts tremblants. l'écriture en patte de mouche. une boîte ouverte de lucky charms; leprechaun le dévisage. mouvement de lèvres qui mime l'accusation muette. you killed her. hallucination. vomit ses tripes sur le carrelage sale de la salle à manger. crie à s'en fendre l'âme. en silence. secoue l'inerte jusqu'à la démantibuler, se réveille pas. mais a toujours dormi dur, même la fin du monde la réveillerait pas. c'est ça, elle dort. elle dort. elle dort. elle dort. elle dort. c'est tout. elle dort. elle dort [...] combien d'heures se meurent en apesanteur? entend le cliquetis de la serrure. clé qui entre, marche pas. une autre. pas celle-là. ferme les yeux et bouche tes oreilles princesse, je reviens. cache-toi sous le lit. le lui a répété trop souvent. entendra pas, verra pas le carnage. faut la protéger du danger. réceptionne le géniteur (plus que figure de père) qui s'effondre dans le vestibule. pue la taverne du coin. poing s'effondre sur le nez. sur les côtes. sur les dents. sur les joues. sur la mâchoire. sur le reflet caoutchouteux qu'est trop alcoolisé à cinq heures du mat' pour même se défendre. se laisse bercer par les coups qui pleuvent sur lui, noyer par les larmes qui coulent, océan salé nettoie le sang qui gicle, décore les murs. défigure la haine. se défigure lui-même, métaphoriquement. se détruira plus tard, quand la réalité le frappera.