la dolce vita (Haiwee)

Cela faisait plusieurs jours que tu étais arrivé à Palerme et tu t'acclimatais tout doucement à l'atmosphère de la ville italienne. C'était exactement ce dont tu avais besoin, ralentir, mettre tes problèmes entre parenthèses et faire le point sur ta vie. Tu devrais prendre exemple sur eux et te mettre à l'heure de la dolce vita. Avant de partir en vadrouille tu avais pris le soin de te tartiner de crème solaire car tu n'avais aucune envie de ressembler à une citrouille restée trop longtemps dans le four. Pour en avoir fait l'expérience en Égypte deux ans plus tôt, tu ne voulais prendre aucun risque. Pour ton expédition, tu étais accompagné d'Haiwee, que tu savais très proche de Anders. À ton plus grand regret, tu n'avais pas forcément eu l'occasion de la connaître, aussi n'était-il pas trop tard pour bien faire et la compétition était le moment parfait pour tisser des liens.  C'était ton truc, ça, de parler aux gens, d'une nature très sociable tu pourrais faire la conversation à un pingouin ou même un robot s'il le faut. Ces derniers mois, tu t'étais retrouvé quelque peu isolé, en manque de contacts humains. Tu n'étais pas fait pour rester enfermé chez toi, tu avais la bougeotte, ton hyperactivité ne saurait se satisfaire d'une vie plate et sans panache. Une pièce glissée au joueur de trombone solitaire, tu poursuivais ta route, observant tout ce qui se passait tout autour de toi. "Tu as vu beaucoup de choses depuis que tu es arrivée?" Tu interrogeas, pour commencer la conversation. En effet partager vos expériences de voyage pouvait être un bon début, puisque au delà de la compétition, vous étiez là pour ça. "Je me demande qui a eu le cran de goûter à une pizza avec des ananas, j'ai cru comprendre que ça ne se faisait pas trop ici." C'était même considéré comme un crime culinaire, pour certains. Avec un nom d'équipe pareil vous pourriez être disqualifiés d'office. Tu jetas une oeillade discrète sur le côté et pour cause, tu venais de voir quelqu'un partir comme une fusée, comme s'il avait le diable aux trousses. Tu n'eus pas le temps de te demander quoi qu'un autre individu vous aborda. "Mi scusi?*" Tu soufflas un peu, parce que tu ne parlais toujours pas italien. "puoi farmi una foto?**" Tu regardas Haiwee, un peu décontenancé. "No italiano" Tu dis alors, maladroitement. "English? Français? Deutsch?" Tu proposas à tout hasard, car ces langues là, tu maîtrisais mais le reste? Tu étais à deux doigts d'utiliser Google trad pour t'en sortir. Sans doute était-ce une punition divine pour avoir osé baptiser votre équipe pineapple on pizza.  

La première épreuve n'était pas encore passée que déjà, tu avais vécu quelques (més)aventures. Cela avait commencé lorsque tu avais visité la cathédrale de Palerme la veille, avec Lyssandre. Puis, cela avait continué ce matin avec le marché où tu t'es retrouvé à vendre des limonades aux visiteurs. C'était à se demander ce qui allait te tomber dessus tandis que tu te promenais avec Haiwee dans les rues de la capitale sicilienne. Tout  naturellement, tu l'avais interrogée sur ce qu'elle avait fait jusqu'à présent, ta curiosité naturelle reprenant le dessus. C'était aussi une sorte de déformation professionnelle, car tu croyais te rappeler que Haiwee avait fait des études de journalisme elle aussi, et dans un avenir proche, elle sera une collègue. Aussi était-ce particulièrement étonnant que vous vous soyez loupés avec toutes ces connexions qu'il y avait entre vous. Pour le moment, tes questions ne trouvaient pas écho et tu ne t'en offusquais pas, c'était valide pour toi que d'autres personnes soient davantage sur la réserve quand toi tu avais cette facilité à aller vers les autres. Lorsque finalement elle ouvrit la bouche, elle fut aussitôt interrompue par cet homme inconnu qui venait de faire irruption pour vous demander on ne sait quoi. Tu avais l'impression de te retrouver dans la même situation que l'année précédente, en Amérique du Sud quand tu ne parlais pas un mot d'espagnol. Devinant que vous n'aviez rien compris à sa demande, il insista en mimant ce qu'il voulait. Haiwee comprit la première puisqu'elle prononça le mot photo. "Ah." Tu dis alors, te sentant soudainement très bête parce que c'était tellement évident. "Ce n'est pas ma spécialité, de photographier des personnes." Tu avouas à demi-mots, parce que tu préférais définitivement capturer des paysages ou des bâtiments, mais les humains n'étaient pas tes sujets de prédilection, encore moins quand ledit humain commençait déjà à expliquer ce qu'il voulait. Tu hochas la tête, conciliant, même si tu n'avais rien compris. "Ça ne doit pas être sorcier." Tu soupiras en tendant la main pour récupérer son téléphone et prendre ces fameux clichés. "Tu voudras essayer, toi?" Tu proposas alors, car peut-être qu'en vous y mettant à deux vous parviendrez à faire quelque chose de correct.  

Tu n'étais pas à ton aise, avec les appareils modernes, quand toi, tu en étais resté au stade de l'argentique. Tu pouvais passer des heures dans la chambre noire à développer tes pellicules. Le résultat final relevait de la chance et du hasard, on ne pouvait pas deviner à l'avance si la photo sera réussie ou non. Avec un téléphone portable, la marge d'erreur était plus restreinte et on pouvait effacer instantanément les images où il y avait des défauts, comme un doigt qui traîne sur l'objectif. Malgré tout, tu te prêtais parfois au jeu, quand ta compagne, en tant qu'influenceuse, sollicitait tes services pour publier sur ses réseaux. C'était de cette façon que tu t'étais rendu compte que tu n'appréciais pas plus que ça photographier des gens, mais tu le faisais parce que ça lui faisait plaisir, tout comme tu essayais autant que faire se peut de satisfaire les desiderata de l'inconnu juste parce que tu étais d'une nature serviable. Tu avais tout naturellement proposé à Haiwee de participer elle aussi. Elle s'empressa d'ailleurs de minimiser ses capacités mais elle essaya quand même sous ton regard attentif. Tu fis un signe de la main pour faire taire l'homme qui était en train de vous intimer de vous dépêcher. Tu opinas du chef quand elle te dit enfin avoir visité le marché. "Le fameux." Tu acquiesças, parce que tu voyais très bien ce dont il s'agissait. "Je l'ai fait ce matin, à vous aussi ils vous ont demandé de les aider à vendre de la limonade?"  C'était ce que tu avais retenu de l'expérience, en tout cas. Le moins que l'on puisse dire c'est que c'était effectivement spécial, à moins que ce mot employé ait une toute autre signification. "Niveau immersion dans la culture locale on peut difficilement faire mieux." Peut-être qu'il était là, le secret, pour apprendre une langue. Se mêler aux locaux et pratiquer était sans doute mieux que se contenter de la théorie.