old ways won’t open new doors ✦ erza

« Il faut évoluer Holly, sors, va rencontrer du monde, amuse toi ». Elle raccroche, sourcils froncés et soupire. Sa tante croit qu’on peut devenir sociable après vingt et un an de solitude. Bien qu’elle adore pester contre elle, elle lui est reconnaissante de l’avoir soutenu ces derniers mois. Elle est si spectatrice. Si passive. Elle se sent coulée de jour en jour. Tout geste est énergivore. Elle reste enfermée des jours, craignant d’être dévorée par les fauves à l’extérieur. Elle a une boite qui émet des images, mais elle ne l’allume pas souvent. Sa mère lui avait dit que la technologie était la construction du malin. Elle s’allonge alors dans son lit et elle dort. Elle s’enferme dans le royaume des songes et du déni. Elle ouvre parfois les yeux, se pose dans son canapé et bouquine des ouvrages sur la biologie des insectes. Elle se traîne rarement jusqu’à la cuisine modeste, ouvrant les placards, les refermant souvent sans rien trouver d’appétissant. Elle ne le sait pas, mais elle flirte avec la dépression. Elle n’a pas conscience qu’elle est malade. Elle ne vit plus sous le bon vouloir du soleil. Tout est mélangé. Et alors qu’elle traînait encore dans un large tee-shirt, elle s’aperçut que le monde tournait étrangement autour d’elle. Le sucre lui manquait. Son ventre pleurait depuis plusieurs heures. Elle longea les murs jusqu’à sa chambre, enfila un jean et décida d’essayer ce que les autres humains appelaient Macdonald’s. Elle n’avait plus aucune force. Elle était vide. Elle tituba longtemps dans les rues et pénétra dans un de ces restaurants qui sentait la friture. Elle se planta devant une borne tactile et arqua un sourcil. Les autres tapaient sur l’écran à une vitesse extrême. Elle imita un type devant elle, puis elle analysa lentement toutes les informations. Elle n’avait jamais mangé un truc d’ce genre. Elle n’y connaissait rien. Absolument rien. Elle cliqua un peu sur tout jusqu’à ce qu’une somme faramineuse apparaisse. « C’est quoi ce truc à la con ? » qu’elle lança un peu trop fort. Très peu familière avec ces machines, elle commença à essayer de la secouer, de lui taper dessus, comme si ça allait débloquer la situation. « Quelqu’un peut m’aider ? Hého ? »

Comment les êtres humains ont pu laisser la technologie remplacer des gens en chair et en os ? C’était plus simple lorsque Georges, son voisin le plus proche, déposait des provisions pour quelques jours devant leur portillon. Maintenant, il faut se battre avec un fichu écran pour qu’on puisse remplir son ventre. C’est rageant. Holly perd vite son calme. Elle se sent bouillir de l’intérieur. Elle veut juste qu’on lui apporte de quoi nourrir son maudit cerveau. Les mains agrippent la borne. Elle essaie de la secouer, comme si une coco aller en tomber, ou plutôt ce qu’ils appellent un BigMac. Holly ne s’entend pas. Holly n’a aucune retenue. Elle est dans l’innocence. Dans l’immédiateté. Elle déteste dépendre d’une putain de machine. Elle déteste ce brouhaha. Elle entend tout. Tout. Les gens qui mastiquent. Ceux qui aspirent leur boisson bruyamment. Si elle le pouvait, elle creuserait un trou et s’en irait loin, à travers les égouts. Soudain, son appel à l’aide est entendu. Une demoiselle vient la secourir et surtout la freiner dans son emportement. Elle prend le relai. Ses doigts agiles manipulent l’écran. Holly en reste bouche bée, elle, l’homme de cromagnon. Intimidée, elle resserre l’élastique de sa longue queue de cheval et écoute la jeune femme qui glisse une boutade. Elle sait pas y réagir Holly. Elle n’a pas encore activé le mode : autodérision. « Pour tout avouer, c’est la première fois que je mets les pieds ici, je n’ai aucune idée de ce qu’ils font. On m’a dit que c’était rapidement servi et comme je suis sur le point de m’évanouir, j’ai pensé que ça ferait l’affaire … » Et elle est sérieuse. Elle a soudain le vertige. Elle se sent faiblir de seconde en seconde. Elle porte sa main devant ses yeux et s'appuie sur la borne pour ne pas continuer de tourner. « Prends moi un festin, sauf si cela devrait me tuer, ça fait des jours que j’ai pas mangé un truc » Ok, elle ne le sait pas encore, mais elle vient désormais de cocher toutes les cases de la fille tordue qui n’sait pas prendre une douche et s’habiller correctement.

C’est le brouillard absolu. Total. Bien épais. Elle ne pense plus clairement. Elle subit des crampes abdominales. C’est la faim. Elle est affamée. Et aussi en colère. Rien ne fonctionne ici. Tout est compliqué. Plus rien ne coule de source. Alors elle laisse la petite brune aux commandes. Elle s’accroche au décor, se retenant de tout détruire. Elle tourne de l’œil la petite. Ses muscles lâchent. Elle se sent si vide. Si creuse. Si un géant lui soufflait dessus, elle s’en irait dans les nuages. Son cerveau traite encore certaines informations. « Je te laisse prendre la commande, je vais nous trouver une place, sauf si tu étais avec quelqu’un .. » Holly tourne le dos, traine ses semelles sur le sol et pousse lentement la porte afin de s’installer sur une petite table. Dehors, elle inspire profondément. Elle est si fatiguée. Elle lorgne son reflet dans la vitre et grimace. « On s’en fiche » qu’elle marmonne avant de coller son front sur la table. Elle tient plus. Elle entend les enfants crier dans l’espace de jeux. Elle n’a jamais connu tout ça. C’est si bruyant. Elle est si loin de son havre de paix. La migraine est sur le point d’apparaître. Les yeux clos, elle respire calmement, le nez écrasé sur la table. Elle se fie désormais à ses oreilles. Elle entend la porte qui s’ouvre, puis la présence de quelqu’un. Elle relève alors son minois et sourit à la demoiselle « Je pourrais manger n’importe quoi en fait. » Holly scrute les deux plateaux avec un filet de bave à la commissure de ses lèvres. « Quel est le festin que tu m’as concocté ? » Si ça ne tenait qu’à elle, elle dévorerait tout. Elle approche ses doigts d’un paquet de frites, en tire une et la plonge directement dans sa bouche. « Holly a un grand appétit, fais attention à tes doigts ! »