tw ⸻ mention de drogue / cigarette
qui aurait pu penser qu'une si petite feuille de papier pouvait prendre autant de temps à s'imprimer ?
certainement pas elliot. après des semaines à errer dans sa chambre à harceler ses plus précieux contacts de new york (il prétendait souvent à chloé qu'il était étroitement lié à une mafia d'italie, petite frappe pernicieuse en blouson de cuir, tout en paradant comme ray liotta sur la soundtrack des affranchis), le fruit de ses efforts lui est parvenu ce samedi dans une petite enveloppe blanchie. quel est-il ? sous les yeux médusés de ses convives, là où tous craignaient de trouver en sa possession un message de la police, d'un consigliere ou pire : un sachet de cocaïne, le garçon a révélé après un silence tragique... une carte d'identité falsifiée au nom modeste de bianca fiori.
⸻ t'es au courant que c'est illégal ? a crié l'une des voix inaudibles qui s'est dressée contre lui parmi les râles, les soupirs et ⸻ il le jurerait ⸻ un cri. or elliot n'est pas stupide. il sait parfaitement ce qu'il fait. et d'ailleurs, il s'en réjouit.
d'aussi loin qu'il se souvienne, il a toujours eu, pour ainsi dire, une certaine prédisposition pour l'art de l'usurpation depuis ses allers retours au poste de police. dissimulé sous une capuche, ses tags, eux, ne sont hélas jamais passés inaperçus : il suffisait qu'un officier lui tape l'épaule pour l'enjoindre de s'identifier pour qu'il soit forcé, défait, de dévoiler son nom ⸻ non sans stupeur, car le patronyme monroe évoque toujours quelque chose, que ce soit à l'échelle de chicago, de l'état, ou même du monde. une notoriété qu'il aurait mieux fait d'éviter pour ne pas avoir à se faire pincer dans les registres des poulets, mais à chacun son fardeau : le sien a été d'être un vaurien avec un blase trop clinquant. raison pour laquelle il lui a fallut s'en trouver d'autres.
dans purple noon* (plein soleil, rené clément), tom ripley (alain delon) tue dickie greenleaf (maurice ronet) et dérobe sa vie, son nom, sa fortune et sa maîtresse sur une île de la baie de naples selon le roman éponyme de patricia highsmith sobrement intitulé : the talented mr. ripley. sans tomber dans de telles extrémités, elliot aime parfois à penser qu'il peut travestir son existence avec une facilité similaire, corrompant son public tel un acteur sur scène ⸻ caméléon insaisissable et intrépide parcourant au nez de tous le gré de la ville et de ses veines. alternant les rôles, on l'a vu : jouer au bourgeois prétentieux ("pour moi, c'est du cinéma") dans un café bohème ; feindre la bêtise en plein débat ("mais oui, jonathan. parle-moi de karl marx") dans une soirée mondaine ; caricaturer le client parfait ("conseille-moi tes meilleurs livres") dans une librairie modèle ; ou même récemment à l'insurgé chez chloé et dans ses dms. une pléthore de personnages dont-il endosse les titres avec une habitude presque perverse : il se complaît si facilement dans sa quête de l'autre qu'il lui paraît parfois trop naturel de se perdre lui-même. est-il seulement lui lorsque son pouce caresse sa nouvelle carte ⸻ ou bien émule t-il un vieil acteur français ? le garçon ne le sait pas toujours, mais il avance tout de même. ce soir, sa colocation l'emmène faire la fête. ses papiers l'appellent bianca, alors c'est ainsi qu'il se prénomme désormais. ce n'est pas pour lui déplaire : après tout, dans un extrait, il se remémore les mots de highsmith sur tom ripley :
ses histoires étaient bonnes parce qu'il les imaginaient intensément,
si intensément,
qu'il finissait par y croire lui-même.
et c'est cette pensée qui le gagne lorsqu'il claque derrière lui la porte de son appartement, numéro 231 de l'avenue du commonwealth.
⸻ t'es pas croyable, quand même.
au kendall square, le nephilim ⸻ un bar construit sur une ancienne église. elliot jurerait s'être perdu dans un panel de devilman crybaby (デビルマン debiruman) ou dans une liturgie similaire ⸻, est l'une des places d'avant-garde les plus appréciées du massachusetts. ce n'est peut-être pas le berghain, mais tout le monde a pensé se faire refouler à cause de l'imposteur en chef : pourtant, le prénom bianca n'a que fait ciller à peine ⸻ signe évident, selon l'intéressé, d'une propension de la boîte à s'orienter vers des tendances plus alt' que ses compères ⸻, là où l'âge a paru être le dernier de tous problèmes. "une chance", qu'on lui a soufflé avant d'entrer dans les entrailles de la bête. mais le jeune homme n'a pas eu à répondre lorsque ses tympans ont explosé sous les enceintes perçantes de la discothèque. il n'y a jamais de chance avec lui. seulement des occasions qui n'attendent qu'à être créées de toutes pièces. mais il reste à savoir quel rôle prendre pour les heures qui viennent.
la sociologie des soirées n'est rarement efficiente dans un bain de foule indistinguable, porté par des nuées de trognes étrangères. il sait ce qui dicte les gestes esquissés par certains d'entre eux : il y a le groupe d'amis, à l'instar du sien, qui est venu sans se prendre la tête après une dure semaine. il y a sa réplique venue d'ailleurs, probablement européenne, qui découvre avec la curiosité d'un ethnologue l'étude des festivités américaines. il y a le couple, bien sûr, archétype indissociable de ce genre d'événement hebdomadaire, qui se trémousse sur la piste, tailles l'une contre l'autre, face au mépris de ceux qu'ils bousculent, dérangés par leur évidente absence de pudeur et de réserve. et puis il y a les gens comme lui. les observateurs. les solitaires ⸻ pas forcément moins téméraires que leurs pairs. ils attendent quelque chose : ils cherchent quelque chose à tirer du nephilim, de sa faune et de ses restes. quoi ? elliot ne le sait. il se distance un peu de ses colocataires, regarde autour de lui, puis se met en quête. ce soir, il lui faut trouver un but. après tout, il n'est pas sorti dans le dessein de s'arracher sur scène.
du coin de l'œil, il repère un coin fumeur un peu en retrait. puis, mécanique, jette un regard sur l'heure qu'il est. vingt-deux heures. c'est presque assez pour se permettre un crochet. en gueulant, il tente de faire savoir à chloé qu'il la rejoindra après. il ne sait pas si elle a averti tequila, léo et chase, mais ce n'est plus son problème : après tout, aussitôt dit, aussitôt fait. sa silhouette s'extirpe du ventre du bar pour en rejoindre ses annexes. ils ne se verront peut-être que le lendemain même.
⸻ t'as du feu ? qu'il demande hasardeusement lorsqu'une fumée envahissante, à son entrée, masque sa vue dans tout son périmètre.
il n'a pas vraiment pris la peine de vérifier dans ses poches s'il avait son briquet. il sait que c'est une excuse ; son interlocuteur sait que c'en est une et d'ailleurs, même les inconnus qui fument et vapotent à côté d'eux connaissent mieux que personne ce subterfuge tant il est direct, imparable, implacable, et, selon certains, grossier à souhait. il ne sait même pas à qui il s'adresse. ignore son visage, n'a pas pensé à le regarder dans les yeux lorsqu'il s'est approché de sa dégaine. sa main était trop occupée à chercher une cigarette pour la fourrer dans son bec. paquet rouge, chesterfield un peu à la jean seberg. quand il relève la tête, il comprend ⸻ avec un temps de latence, parce qu'il est aveuglé par les néons et par les volutes qui se dressent ⸻ qu'il s'adresse à une fille. de quoi sentir en lui l'offense d'avoir été aussi abrupt dans sa désinvolture ordurière. alors, il se permet de mettre la forme ⸻ ou du moins un simulacre de politesse.
⸻ s'te plaît.
il ne sait pas vraiment quoi penser d'elle, ni même quel rôle elle pourrait lui donner dès leur premier échange de texte.
la première chose qu'il se demande, c'est si sa gueule passerait bien dans un vieux film français.
(Elliot Monroe)
⸻ fear eats the soul ⸻
(( le cœur net )) mourir est tout au plus l'antonyme de naître. l'antonyme de vivre reste à trouver.