LION WHITAKER › win metawin opas-iamkajorn

un  c'est auprès d'un moine, tradition assez commune en thaïlande, que tes parents, les suksawat สุขสวัสดิ์, ont trouvé ton prénom, surasee สุรสีห์. venant de สุร (sura) qui voulait dire brave, vaillant et สีห์ (si) qui voulait dire lion, c'était plutôt parfait quand tu es sorti de ta mère, ta tête pleine de cheveux telle une mini crinière, le cri féroce des premières secondes d'un bébé bien portant. vos noms formels étant utilisés exclusivement pour tout ce qui était administratif et officiel, il fut facile de te trouver un surnom, et c'est tout simplement lion, prononcé à l'anglaise, qui est resté. lorsque ta famille adoptive est venue compléter les papiers, ils ont gardé ce prénom, un poil bizarre mais qui pouvait toujours se fondre en amérique, attache à  ton histoire. › deux  tu as deux ans lorsque tu perds tes deux parents, le manque de nourriture à cause de votre pauvreté n’ayant pas aidé à les maintenir en forme pour se battre contre la maladie qui les rongeait. on te retrouvait quelques jours plus tard, la tête dans les poubelles, à la recherche de quelconque reste de nourriture, le vaillant petit lion s’accrochant à la vie. on te plaçait dans une famille d'accueil proche de bangkok, reprenant du poil de la bête le temps qu’une famille permanente puisse peut-être t’adopter. › trois après deux ans et demi d’attente, le processus d’adoption étant assez long en thaïlande, tu rencontrais tes nouveaux parents, les whitaker. tu ne faisais que pleurer au départ, ne comprenant pas qui ils étaient, ne comprenant pas pourquoi il fallait que tu quittes ta famille d'accueil chez qui tu avais pris tes habitudes et qui t’avait déjà appris tant de choses et donné de l’affection et de l’amour. ils sont restés une vingtaine de jours sur le territoire, le temps de passer du temps avec toi pour que tu t’habitues à leur présence, en profitant également pour visiter un peu bangkok et ses environs, et surtout faire tous les papiers nécessaires et aller aux rendez-vous avec les autorités et la demande de visa pour que tu puisses aller indéfiniment en amérique. et puis enfin, tu t’envolais. › quatre il était compliqué d'arriver comme ça dans une nouvelle famille, surtout si tard à cause du processus d'adoption. c'était intimidant, de rentrer dans cette grande maison, de voir ces bouilles légèrement plus ou moins âgées que toi t’observer avec curiosité, pour les plus extravertis de venir essayer de te parler mais de ne pas comprendre un traître mot de cette langue si différente du thaï. tes premiers pas étaient compliqués, et tu en as eu des séances de pleurs avant de commencer à t’y faire et d’esquisser un sourire sincère. › cinq tu as reçu des cours particuliers d'anglais très vite, afin que tu apprennes les bases pour pouvoir communiquer avec ta nouvelle famille, passant également ton temps à répéter le moindre mot de tes frères et sœurs et faire de grands gestes pour t'exprimer. t'étais chanceux qu'à ton âge, la barrière de la langue pouvait facilement disparaître pendant quelques heures au profit de courir derrière un ballon ou de jouer au loup. étant donné que tu avais également quelques bases en thaï, langue difficile à apprendre, tes parents t'ont également offert des cours avec une prof particulière, p’golf, pour que tu puisses continuer d'apprendre et te perfectionner dans ta langue natale, gardant ce lien avec ta culture. on t’apprenait très vite les honorifiques, et aujourd’hui encore, même si tu vivais toujours aux états-unis, il n’est pas rare que tu appelles les plus grands de tes frères et sœurs phi. tes parents savaient que dans cette société, il était plutôt bien vu et important de connaître plusieurs langues, ils savaient très bien que ça ne pouvait que t'être bénéfique ou t'ouvrir certaines portes dans le futur, alors même quand tu traînais des pieds car c’était si dur comparé à l'anglais, ils ne flanchaient pas et t’obligeaient à aller à ton cours. une fois que tu parlais un peu plus couramment, ça t'a également appris pleins de choses sur le pays, sur la culture et les traditions, sur la beauté et les inégalités, parlant pendant des heures avec ta prof de tous les sujets. tu pris également des cours de mandarin, toujours dans un choix stratégique - pour eux, plus tôt tu commençais, plus facile c’était pour retenir autant de choses, les enfants étant des éponges à ces âges-là. étant la seconde langue la plus parlée, et ayant des origines du côté de ta famille biologique maternelle, ça pouvait toujours t’être d’utilité dans ton futur. tu les en remercie d’ailleurs aujourd’hui car ça te donnait l’occasion de te faire pleins d’amis et si jamais ta carrière d’acteur ne décollait pas ici, qui sait, peut-être pourrais-tu tenter quelque chose là-bas. › six regarder les dessins-animés le matin avant d’aller à l’école, t’adorais ça. mais ce que tu aimais le plus c’était sûrement de regarder de vrais gens à travers l’écran, de vraies séries télévisées. t’étais particulièrement fasciné par tout ce qui se trouvait sur disney channel, il n’était pas rare de te trouver à remuer ton popotin d’enfant dans ta chambre en chantonnant les titres de high school musical ou de camp rock, essayant de recréer les chorégraphies approximativement. c’était peut-être con, maintenant, de te dire que c’était ce genre de programme qui avait allumé la flamme de cette passion qui allait vite prendre de la place dans ta vie, quand d'autres pouvaient citer des classiques ou des comédies musicales de broadway. mais au final, le plus important n’était-il pas juste d’avoir, si jeune, trouvé ta voie ? tu apprenais tes premiers textes vers sept ans, à force de regarder en boucle les mêmes films et de répéter encore et encore tout ce que les personnages pouvaient dire, essayant plusieurs intonations, recopiant ces acteurs que tu voyais. très vite, tu t’écriais à qui voulait l’entendre que tu voulais être acteur, que toi aussi on allait te retrouver à jouer un passionné de chant trop timide ou le grand vilain d’un disney à succès. tes parents ont fini un soir par s’asseoir autour de la grande table familiale, face à toi. l’ambiance était tendue, et tu te demandais si peut-être tu n’avais pas dû garder ça pour toi - tu savais déjà que les études étaient quelque chose de très important pour eux, et qu’ils mettaient un point d’honneur à vous voir exceller dans tous domaines. peut-être que les arts et le cinéma étaient trop éloignés de l’idée qu’ils se faisaient d’un métier respectable, peut-être avaient-ils peur que ça t’éloigne un peu trop de tes devoirs et qu’ils verraient tes notes chuter. « lion, être acteur n’est pas un métier facile. il ne suffit pas de dire deux phrases et de faire une grimace. mais si tu es sérieux, que tu es ambitieux, et que tu travailles dur et sans relâche pour y arriver, alors nous te soutiendrons. » en vrai, c’était beaucoup de pression. qui pouvait prétendre à un si jeune âge être sûr et certain de sa voie, promettre de ne pas avoir envie d’autre chose dans le futur, surtout quand il y avait tant d’activités et de hobbies que tu n’avais jamais testé encore. mais ça ne t’empêchait pas d'acquiescer, grand sourire à qui il te manquait une dent, le cœur un peu plus léger. › sept il était naturel qu'une fois cette promesse faite, tes parents te trouvent quelques castings, par-ci par-là, comme pour conforter ton choix. tu commençais ta première audition pour du mannequinat, différent de ce dont tu t'attendais, mais pour un gamin qui rêvait encore entre les quatre murs de sa chambre, ça te donnait l'occasion d'être moins stressé si ça se passait mal à l'opposé de si c'était pour un grand rôle, tes parents pouvaient juger si tu plaisais aux professionnels ou si tes origines ne rentraient pas en accord avec ce qu'ils cherchaient pour le consommateur américain, ça te donnait un premier contact avec la caméra, toutes expériences importantes pour devenir de plus en plus à l'aise. peut-être était-ce la chance du débutant, mais tu décrochais ce contrat, et quelques mois plus tard on pouvait te voir sur quelques panneaux publicitaires et courtes pubs à la télévision, habillé de la tête au pieds de la nouvelle collection pour enfant de forever 21 avec d'autres gamins de ton âge. › huit après cette petite expérience dans le mannequinat, tes parents te trouvaient une audition, l'année suivante, pour un petit court métrage amateur, encore une fois pour voir si l'univers te plaisait toujours et que tu te familiarises avec les caméras, la manière de travailler, sans que la production soit au niveau d'hollywood. tu n'avais que très peu de texte, mais tu réussissais tes scènes, passant ton temps à regarder avec des étoiles dans les yeux les autres acteurs jouer lorsque tu attendais ton tour sur les chaises entre quelques scènes. après ça, les portes de la gloire n'étaient pas encore ouvertes. tu passais des auditions de temps en temps, étalé sur les années, tu apprenais l'échec et la déception lorsque tu n'étais pas pris, mais aussi le besoin de te relever. tu continuais l'école et tes études surtout : il était invraisemblable pour tes parents de ne te faire faire que des auditions sans que tu complètes tes études générales et même après ça, ils voulaient que tu rejoignes une bonne université pour continuer sur ta lancée, pour avoir un diplôme. ils te soutenaient, mais ils voulaient que tu aies les bases, que tu t'améliores, que tu aies une bonne image, pas celle d'un acteur ayant commencé tôt et faisait seulement ça de sa vie sans rien avoir à côté si un jour ça ne marchait plus. › neuf 2016 ne fut pas une bonne année chez les whitaker. l'ambiance était particulièrement tendue à la maison, telle que parfois tu souhaitais toi-même devoir rester à l'école un peu plus longtemps avec tes amis pour ne pas avoir à subir ça. tu prétextais le week-end avoir des groupes de révisions avec tes potes pour pouvoir t'échapper de la maison, ou tu t'enfermais dans ta chambre toute une après-midi jusqu'au dîner. les disputes entre tes parents et le plus âgé s'enchaînaient, et vous vous retrouviez au milieu, subissant, ne sachant pas vraiment comment détendre l'atmosphère. même toi, le plus chill de la famille, celui qui pouvait diffuser la tension d'une pièce par sa seule présence, tu te trouvais impuissant face à la situation, et c'était peut-être la première fois que tu ressentais ce sentiment d'angoisse constante au creux de ton estomac, comme pour prévenir d'un danger qui ruinerait l'équilibre de la famille. tu venais d'avoir treize ans, tu entrais dans l'adolescence, et t'avais besoin plus que tout de cette stabilité dans ta vie, de cette constance. pourtant, un matin ton aîné était là, traînant dans le canapé du salon, et le soir il avait disparu, emportant toutes ses affaires avec lui, laissant sa chambre vide de toute présence. tu t'étais retrouvé recroquevillé par terre, luttant pour ne pas faire de crise de panique, émotions qui s'entrechoquaient dans ton petit cerveau. c'était la colère qui prédominait, colère envers personne, envers tout le monde, envers tes parents pour avoir foutu leur gosse à la porte alors qu'ils ne faisaient que vous répéter que la famille c'était le plus important, envers ce frère qui ne faisait que profiter de l'aisance de la famille sans se trouver une voie un minimum respectable pour au moins sauver les apparences devant les parents, même si ce n'était pas son objectif de vie. et avec ça te venait en tête une réalisation effroyable de « qui sera le prochain ? » qui te terrifiait. à la prochaine mauvaise note, à la prochaine déception ? à la prochaine bêtise ou mauvaise fréquentation ? s'ils avaient pu laisser ce jeune adulte se débrouiller par lui-même dans un coup de grâce, peut-être n'étais-tu pas plus protégé en ayant seulement treize ans et en étant mineur. c'était, pour toi, comme si d'un coup une épée de damoclès était apparue au-dessus de toutes vos têtes, prête à s'abaisser à la moindre erreur et au moindre écart. t'as eu du mal à redevenir normal, à reprendre confiance après ça. pendant un bon mois tu t'étais renfermé sur toi-même, la peur de dire ou de faire la mauvaise chose, et cette peur d'être abandonné étant revenue en force. tu ne pensais jamais avoir affaire à une chose pareille. petit à petit, et avec discussion avec tes parents, ils ont essayé d'expliquer leur point de vue, et de te rassurer, comme ils le pouvaient. le doute surviendrait toujours maintenant que le mal était fait, mais tu t'apaisais au fur et à mesure des semaines, et tu reprenais goût à la vie et à cette insouciance de gamin immature, le sourire reprenant place sur ton visage. t'as jamais eu de nouvelles. alors tu faisais semblant que ça ne te touchait pas et tu reprenais le cours de ta vie, jetant parfois un long regard triste sur cette porte dans le couloir qui restait année après année fermée. › dix « phi... comment tu as su que t’aimais les garçons ? » tu demandais d’une petite voix, si rare de te voir si timide, ton regard incertain n’osant pas croiser celui d’Ares. vous étiez tous les deux assis sur son lit,  mains prises par deux manettes alors que des couleurs vives sur l’écran de télévision d’Ares montraient que tu venais de perdre une partie de mario kart. il était trois ans ton aîné, bisexuel assumé, et tu ne voyais pas à qui d’autres parler qui pourrait comprendre les tourments qui occupaient tes pensées en ce moment - décidément, cette année 2016 était vraiment compliquée pour toi. c’était difficile en ce moment le lycée, de te rendre compte que tes yeux se laissaient distraire facilement dans les vestiaires des garçons, que tu trouvais leurs bouches et leurs yeux et leurs corps tout aussi beaux et attirants que ceux des filles. que parfois le soir, sous les draps, la main dans le caleçon, les fantasmes se mélangeaient et n’avaient plus de genres. alors en parler à Ares était la décision la plus évidente - même si pas forcément facile. t’étais reconnaissant de son existence : étant l’un des plus jeunes de ta famille, tu récoltais d’une certaine manière ce que tes frères et sœurs plus âgés avaient semés. s’ils avaient fait de grosses conneries, tu pouvais être témoin et agir plus tard en connaissance de cause pour ne pas faire les mêmes erreurs. quand ils voulaient entamer une grande discussion avec vos parents sur certains sujets, c’est eux qui prenaient le risque de se voir un refus ou un rejet, valant ensuite pour tous les enfants. techniquement, t’avais pas forcément très peur que tes parents soient homophobes ou te flanquent à la rue : Ares était déjà passé par-là en vu de sa propre expérience, ce qui te faisait un poids en moins. malgré leur acceptation, il y avait quand même un souci qui pouvait noircir le tableau : ils étaient très regardant sur la manière dont les autres pouvaient percevoir votre famille, et toi, t’étais un petit gars qui voulait devenir acteur. alors même si les mœurs avaient changées, même si le mariage pour tous était autorisé, même si de plus en plus de personnes de la communauté faisaient leur coming-out et continuaient d’avoir un travail, il y avait toujours une certaine menace qui planait, qui pouvait mal te faire voir ou faire ralentir ta carrière. alors t’en parlais beaucoup avec Ares, le reste de tes frères et sœurs étant également au courant, mais tu évitais d’être trop direct et fier lorsque le sujet pouvait venir à table lors des repas de famille. tu assumais à boston et à havard, mais un peu moins de retour dans ta maison. › onze en avril 2024, ton cœur sursautait chaque jour où tu recevais une lettre ou que tes parents t’appelaient, la peur au ventre de recevoir une mauvaise nouvelle. car tu venais d’avoir vingt-et-un ans. mais que tu avais toujours la double nationalité en naissant à bangkok de deux parents thaïlandais. et à vingt-et-un an, en thaïlande, étant un homme, tu te devais de servir le pays et de passer ton service militaire. tu pouvais soit te porter volontaire et servir un an, ou tu pouvais participer à la loterie et tirer une carte au sort - soit noire soit rouge - et donc être exempté ou servir pendant deux années. tu ne savais pas ce qui était le moins pire, pour quelqu’un qui ne voulait tout simplement pas perdre des années de sa vie de cette manière, qui voulait continuer ses études et rester à harvard et passer son diplôme.  alors tu te chiais dessus - et les choses que tu avais pu lire sur le sujet ne te donnaient aucunement envie d’y participer. par chance, cette année, tu ne recevais pas de lettre : tu pouvais être soulagé - jusqu’à avril prochain.