as we go our way ─ Mira

Les cimetières, lieu de promenade, de calme et de recueillement, surtout associé au deuil. Je ne connaissais pas particulièrement celui de Boston, n'ayant personne de ma famille ni même de mon entourage enterré ici. Du moins, je ne le connaissais pas il y a encore quelques semaines. Heureusement pour moi, toujours rien à voir avec le deuil. Ou en tout cas, pas le mien. J'avais réussi à me faire embarquer par le couple de petits vieux de mon immeuble un peu après les examens de fin d'année pour une semaine "printemps du cimetière" qui consistait en gros à refleurir les allées du cimetière et à s'occuper des tombes laissées un peu à l'abandon. J'avais pas pu leur dire non, le petit papy m'avait sauvé la vie en venant déboucher le siphon de ma douche et ils avaient besoin de quelqu'un pour les emmener. Du coup, j'avais mis la main à la pâte moi aussi. Et pour joindre l'utile à l'agréable, je revenais de temps en temps prendre des clichés des différents massifs de fleurs qui bourgeonnent et qui éclosent au fil du temps qui passe.
Aujourd'hui était l'un de ces jours, appareil à la main, je guettais tout ce qui pourrait faire une photo intéressante. La pluie rajoutait un petit côté triste qui collait bien avec le lieu. En prime, le temps faisait aussi que les allées étaient assez vides et que je pouvais laisser libre cour à ma créativité sans empiéter sur le deuil des gens venus se recueillir. Mon œil captait beaucoup de choses, une jolie pierre tombale, une composition florale élégante, même l'arrosoir à l'entrée du cimetière, posé négligemment à côté du robinet faisait un beau cliché avec le bon focus. Je n'aurais plus qu'à modifier les couleurs et peut-être rajouter un peu de flou dans le fond quand je chargerais tout ça sur mon ordi. Je me promène tranquillement dans les allées, retournant vers un endroit que j'avais évité pour la tranquillité d'un jeune homme devant une tombe. Mais il était toujours là, et je voulais aller un peu plus au fond du cimetière. Tiens, il bouge, parfait il va probablement s'en aller. Je continue de marcher tranquillement, absorbée par les photos enregistrées sur mon appareil que je fais défiler une par une. La journée aura été bonne ça c'est sûr. Tout d'un coup, sans comprendre ce qui m'arrive, je me sens emportée en arrière, fais tomber mon appareil sur les graviers et me retrouve le dos plaqué contre un arbre avec le mec de tout à l'heure en train de me hurler dessus. En panique, je le dévisage avec des yeux complètement apeurés et je sens les larmes me monter aux yeux. Je n'enregistre absolument rien de ce qu'il peut me dire, trop préoccupée par ce qu'il pourrait bien me faire. J'aurais peut-être dû continuer les cours de boxe un peu plus longtemps parce que je n'ai absolument aucun réflexe d'auto-défense, je suis seulement capable de me mettre à crier. Mais lâche moi espèce de psychopathe ! A L'AIDE !!! Personne aux alentours, mais il se pourrait bien que me mettre à crier ait débloqué mon instinct de survie car c'est à ce moment là que je lui décoche une bonne gifle pour essayer de me libérer.

Plaquée contre cet arbre, ma gifle n'a eu aucun effet, si ce n'est qu'il se met à crier encore plus fort et que son visage est maintenant à quelques centimètres du mien. Les larmes se mettent réellement à couler, laissant exprimer la peur intense qui vient de m'envahir. Je ne comprends rien à ce qu'il me raconte en plus. J'essaye de le repousser mais rien n'y fait, il est bien plus costaud que moi. Mais qu'est-ce que vous me voulez à la fin ?! Laissez-moi partir ! Je ne réussis même plus à hurler, c'est plus une supplication. Je l'imagine déjà me tabasser ou même pire. Alors je ferme les yeux, moins pour les postillons qu'il m'envoie au visage alors qu'il continue de crier que pour l'espoir que tout ça s'arrête et qu'il me laisse miraculeusement partir. Et merci mon dieu, je sens la pression sur mes épaules se relâcher et rouvre timidement les yeux, ayant du mal à réaliser ce qu'il venait de se passer. J'essaye de reprendre mon souffle mais mon cœur tambourine dans ma poitrine. Finalement, heureusement que je suis appuyée contre cet arbre parce que je crois bien que je serais tombée par terre. Je ne réalise pas bien ce qu'il vient de se passer ou du moins, ce qui est en train de se passer puisque ce mec est toujours en face de moi, mon appareil photo en main, en train de faire défiler ce qu'il a en mémoire. En temps normal, j'aurais remarqué l'objectif cassé, sûrement grâce à la chute de tout à l'heure. Mais à cet instant, c'est bien le dernier de mes soucis. Je n'ose même plus bouger, de peur qu'il se souvienne finalement que je suis là et qu'il ne me laisse jamais repartir.
Et là, stupeur totale, le mec qui se comporte comme si c'était lui qui venait de se faire agresser. La petite Mira apeurée prend tout à coup son envol et laisse place à une Mira vraiment très en colère. Mes sourcils se froncent et je commence vraiment à voir rouge. Les sentiments qui m'avaient clouée sur place s'envolent aussi et je lui fonce dessus, le poussant avec mes deux mains au niveau des épaules et récupère mon appareil. Oui, mes priorités ne sont plus très rationnelles tout à coup.Mais quoi ?! Tu croyais quoi putain ?! C'est quoi ton problème ?! T'es un connard de malade mental qui prend son pied en allant agresser des gens dans les cimetières ?!! Va te faire soigner sérieux ! Bon... C'est peut-être pas la meilleure des idées de me mettre à insulter un mec qui vient de m'agresser, qui fait au moins une tête de plus que moi, si ce n'est deux et qui il y a encore trente secondes, m'avait immobilisée comme si je n'avais été qu'une poupée de chiffon. Le plus sage serait sûrement de m'enfuir en courant.

Mon cœur bat toujours très fort dans ma poitrine et mon sang me martèle les tempes. Maintenant que l'adrénaline est en train de retomber, je vais véritablement entrer dans une colère noire. Je vois rouge et si j'avais été un peu plus bagarreuse, je lui aurais sûrement collé mon poing dans la figure. Mais pour être honnête, je ne suis pas encore assez téméraire pour m'en prendre à un type qui vient de m'agresser et qui visiblement n'aurait aucun problème à me régler mon compte si il en avait envie. Alors je me contente de lui hurler dessus, et assez surprenamment, le voilà qui semble essayer de s'excuser. Cependant, ce n'est clairement pas assez pour que je me calme, ça aurait même tendance à m'énerver encore plus. Ah super, maintenant j'ai une tête de harceleuse ! T'as pas trouvé mieux ? Ou tu t'attends peut-être à ce que ce soit moi qui m'excuse ? Je parle sur un ton tranchant et le feu commence à me monter aux joues. Je sens mes nerfs chauffer et mes mains se mettre à trembler. Encore un peu et je pourrais bien me mettre à pleurer. Et finalement, il me balance m'avoir confondue avec quelqu'un d'autre. Je le scrute un moment, me demandant si je ne devrais pas prévenir les autorités qu'un cinglé se balade dans le cimetière. Mon instant d'hésitation fait redescendre un peu la pression - vraiment un tout petit peu - et je finis par juger que puisque ça n'est pas allé plus loin, je n'avais pas envie de passer mon après-midi dans un quelconque commissariat. Tiens donc, qu'est-ce que cette personne a bien pu te faire pour mériter un traitement pareil... Tu sais quoi, peu importe en fait. Je peux m'en aller maintenant ou tu vas me sauter dessus quand j'aurais le dos tourné ? Après tout, je n'ai pas envie de discuter avec ce type. J'ai un objectif à aller changer et grâce à son intervention musclée, la capuche de ma veste ayant glissé de ma tête, je commence à ressembler à un chiot mouillé et je n'ai qu'une envie, rentrer chez moi et oublier toute cette histoire.

Pauvre connard, c'est la seule description qui me vient à l'esprit pour ce pauvre type. Maintenant que la peur est bel et bien partie, ma colère est en train de monter dangereusement et je vais probablement bientôt exploser. Waouh, sérieusement ! Non seulement tu m'agresse et maintenant tu m'insulte... Tu t'attendais à quoi ? Que je te dise que c'était rien ? Que je prends mon pied quand on se comporte comme le pire des abruti avec moi ? Je ne sais pas pourquoi je me fatigue à lui répondre. Cet imbécile est en train de jouer avec mes nerfs. Non seulement il m'a coûté un objectif, un brushing et en plus de ça, je le laisse me gâcher ma journée. Tu sais quoi, t'as raison en fait. J'attends absolument rien de toi et tu m'as déjà fais perdre assez de temps comme ça. Et en plus, il a le toupet de me dire de me casser. J'ai une autre idée, et si c'est toi qui te barrait en fin de compte ? J'en ai rien à foutre de te tester, je veux juste que tu me foute la paix. Le tester, et puis quoi encore ? Il se prend pour qui lui ? Il croit que j'en ai quelque chose à faire de sa petite personne ? A croire que je devrais me préoccuper de ce qui peut bien lui arriver. En d'autres circonstances, j'aurais pu, mais là il a fait la pire entrée en matière possible. Ou du moins, l'une des pires. Le seul impact que ses paroles auront eu sur moi c'est que soudainement, je n'ai plus trop envie de lui tourner le dos.