(emily) kaleidoscope of bitterness

 « Pas touche au mur Nini, ok ? Papa en a juste pour deux secondes. » Deux secondes pour récupérer les affaires abandonnées en empressement quand Mérope avait frappé à la porte, t'imposant votre fille et son sac dans les bras, sans un mot, sans un regard. Seuls les sourires apaisants adressés à Neptune s'interposaient. Sur vos deux visages. L'habituel. L'heure d'échange était passée, elle avait été en retard mais plongé dans les travaux, le temps t'avait également filé entre les doigts, ne te permettant alors aucune protestation sur son retard. Ton attention avait, de toute manière, déjà été capturée par la petite brune entre tes bras que tu ne remarques pas Mérope tourner les talons. Si votre relation avec cette dernière était on ne peut plus tendue, elle n'empêchait pas le bonheur instantané - constamment mélangée à une crainte, mais soit - que ta fille te procurait. L'apparence délabrée, les habits parsemés de tâches de peinture, les cheveux ébouriffés, les mains calleuses ; c'était de loin l'état parfait pour l'accueillir mais la petite s'en formalisait pas, la tête déjà nichée dans ton cou, presque endormie. C'était presque à contre coeur que tu l'avais déposé au sol, dans cette pièce fraîchement peinte, le mini avertissement donné pour réunir tes affaires et repartir. Maze ne devait plus tarder de toute façon, pour prendre la relève. « Papa, Tata ? Tata ! » Sa petite voix retentit dans ton dos, réclamant justement ta soeur. « Tata n'est pas là, on ira la voir ce- » Que tu assènes, en te relevant et te retournant. Stoppé en plein dans ton élan. « -soir. » Figé instantanément dans tes gestes, le regard fixé sur la nouvelle arrivante dans la pièce. Qui n'était absolument pas Maze. « Elle n'est pas là. » Maze. Parce que dans ta transe, c'était tout ce que t'étais foutu de laisser échapper dans un souffle.

La journée avait été relativement calme au boulot, rythmée par ma compta habituelle, déléguant la gestion du bar à mes employé rodés à l'affaire. A tel point que j'avais justement ressenti le besoin de me bouger un peu, plutôt que de passer encore des heures derrière mon écran d'ordinateur. Rapidement, je me décidais à aller rejoindre Maze au chantier des Faulkners. J'avais adoré lui donner un coup de main pour les derniers petits travaux, peindre les appartements... Trouvant dans ces travaux manuels une certaines échappatoire. A fond dans mon idée, je ne pensais même pas à lui envoyer un message pour m'assurer qu'elle y était, prenant directement la route de south Boston. Je m'arrêtais prendre des bières dans un kiosque, puis terminais le trajet en pilote automatique. Au pire si elle n'était pas là, je n'aurais qu'à aller sonner chez elle ? Arrivée à destination, j'attrapais mes fringues pleines de peintures que j'avais laissées dans ma bagnole, montais jusqu'à l'appartement. Je prenais à peine le temps de frapper et entrais, grand sourire aux lèvres... avant de tomber nez à nez avec Haze. Figée, sourire déjà oublié, je restais stoïque. Main restée sur la poignée de la porte comme si d'un coup, le temps s'était figé. Je ne m'étais pas attendue à ça. « Elle n'est pas là. » Oui, de toute évidence. Je ne savais pas quoi répondre, me sentant soudain bien bête de ne pas avoir appelé, mal à l'aise de me retrouver ainsi face à mon... ex ? « Je... » commençai-je, bouche ouverte, avant de m'interrompre en remarquant soudain du mouvement derrière lui. Puis je la voyais, la petite. Immédiatement mon coeur s'emballa, bien incapable d'interpréter si il s'agissait de colère, de honte ou de peine. Rapidement je me reprenais, essayant de retrouver un peu de contenance. « Coucou Neptune » dis-je doucement, léger sourire sur les lèvres. Mon regard retrouvait rapidement celui de Haze qui semblait tomber des nues. Et oui, j'étais au courant. « Au revoir » articulai-je tant bien que mal, tournant déjà les talons pour m'en aller.

Les membres de ton corps ne semblaient plus répondre à l’appel, autant paralysés que les battements d’un cœur irréguliers. Si t’étais on ne peut plus conscient de sa présence constante aux côtés de Maze, dans le rôle de la meilleure amie, l’imaginer s’imposer dans la même pièce que toi ne t’avait pas frôlé l’esprit depuis.. un moment. Cet espoir, de la revoir, avait fané au fil des mois, persuadé qu’elle menait une quête spéciale Haze avec comme but t’éviter, s’éloigner. Et la foutue fierté refusait de s’engager dans une bataille. A quoi bon s’épuiser à nager contre le courant quand la noyade était assurée ? Sa réaction actuelle te conforte dans cette vérité, ta vérité ; stoïque, bouche bée, loin d’une quelconque euphorie face à ta présence. A quoi tu t’attendais, Haze ? Tes sourcils se froncent, tes lèvres commençant enfin à reprendre vie, parées à sortir une suite de mots plus développés que le premier jet. Avant que son attention ne soit accaparée. Par Neptune. Et tous les mots sensés se meurent avant même d’avoir franchi ces lèvres. Ton regard la suit interagir avec Neptune, ta fille. Coucou Neptune. Coucou Neptune ?! Une interaction un tantinet trop familière, accentuée d’un fin sourire en son attention, auquel la petite répondit par un « Coucou » enjoué, trop enjoué pour une inconnue. Et ton putain de cerveau fit vite le lien, drainant toute couleur de ta peau, presque aussi translucide que les murs fraîchement peints. Un regard en coin de sa part te le confirme. Évidemment, elle savait. De quoi encore plus te faire terrer dans ta paralysie et alarmer ton système nerveux, ton pouls, ton cœur. Super. Si bien que c’en était toi qui était encore plus bouche bée dorénavant et t’ignores d’où venait ce réveil soudain mais dès qu’elle tourne les talons, un cri presque désespéré t’échappe. « Attends ! » Oui, Haze ? Attends quoi ? Un pas en avant, puis deux, ton corps finissait enfin par répondre. Il se permet même un petit raclement de gorge le bougre, pour te préparer à sortir quelque chose de sensé. « Attends, s’il te plaît… Tu- je- » Ok, presque sensé. « Depuis quand ? »  Absolument pas sensé.  Ou du moins, dans ta tête ça l’était, avec ce coup d’œil vers ta fille. Depuis quand était-elle au courant ? Parce que parmi les dix milles question qui luttaient dans ta tête, visiblement, une des plus inattendues venait minablement de gagner le combat.

La blessure longuement pansée n'avait mis qu'une poignée de secondes à se rouvrir, laissant échapper quelques trémolos incontrôlable dans ma voix alors que je lui tournais déjà le dos pour garder la face. Je ne voulais pas qu'il puisse voir à quel point j'étais touchée, blessée par son comportement et ses mensonges, même encore un an plus tard. Connaître l'existence de Neptune était une chose. La voir ainsi à côté de Haze, son père... en était une autre. J'aurais voulu revenir en arrière, m'empêcher d'avoir cette idée stupide de me pointer sur un chantier appartenant aux Faulkners. Quelle idiote. Forcément que je risquais de tomber sur l'un des deux frères. Serrant mes fringues spéciales peinture contre moi, mon pack de bière dans l'autre main, je me dépêchais déjà de faire demi-tour, conservant l'illusion que nous pouvions tout simplement faire comme si ça n'avait jamais existé. Cette rencontre, le fait que je lui montrais clairement que j'étais au courant pour sa fille qu'il m'avait cachée jusque là. Lui, moi. Nous.  « Attends ! » Tout mon épiderme semblait réagir au son de sa voix, me mettant dans un état de tension incontrôlable. Pourtant à son second appel, à son s'il te plait je ralentissais, jusqu'à m'immobiliser. Fermant les yeux un instant pour me blinder, avant de lui faire face, sourcil interrogateur relevé. "Depuis quand" ? C'est tout ce qu'il avait trouvé ? Je lâchais un soupir lourd de sous entendus. « Quelle importance Haze ? » lâchais-je, désabusée. « Avant que tu ne juges bon de me le dire toi même en tout cas » ajoutai-je un ton plus bas, amère.

De toute évidence, la probabilité de la réalisation de la scène qui se jouait devant toi avait été si peu élevée que tu n'avais jamais pensé à.. t'entraîner ? A ce que tu lui dirais si tu venais à la revoir. Si. Même dans une faible probabilité, la revoir avait été un 'si', pas un 'quand', même lorsqu'elle gravitait si proche de ta famille, de ta soeur, de toi. Le 'quand' t'avait paru impossible. Et pourtant. Et tu te retrouvais comme un con au milieu d'un acte d'une pièce de théâtre dont tu n'avais aucune directive, si ce n'était d'empêcher sa fuite. Ce qui avait paru être une idée cohérente quelques secondes plus tôt, en plus de ta stupide question pour l'arrêter, jusqu'à ce que tu fasses face à son expression dure et fermée. Et putain que ça faisait mal. Même après un an. Son ton d'abord détaché puis acerbe te fait même reculer légèrement, presque interloqué quand t'avais aucune raison de l'être. A quoi tu t'attendais, Haze ? Qu'elle te saute dans les bras, le grand sourire rayonnant aux lèvres ? Qu'elle oublie ? Qu'elle te pardonne d'un seul regard ? Ta raison savait ça impossible, mais ton coeur avait espéré, le temps d'un quart de seconde. Abruti. « C'était pas mon but.. de te le cacher. » Faible réponse, faible explication. Mais les pensées et justifications se bousculaient là-haut, formant un capharnaüm bruyant, assourdissant. Une panique interne qui se traduit par ta main passer nerveusement dans tes cheveux. Neptune, dans le coin, observait l'échange d'un regard curieux et te paralysait davantage dans tes pas, incapable de décider si ces derniers devaient te guider vers ta fille ou ta.. ton.. Emily. Juste Emily. Elle était juste devenue 'juste Emily'. « Je voulais te le dire. » Finalement, c'est un souffle presque implorant qui te sauve de ta léthargie.  « Je suis désolé. » Oui, Haze mais est-ce que c'était suffisant ?

Il était cruel de constater ce qu'un simple échange de regard pouvait déclencher en moi. Les souvenirs inondaient mon esprit, me faisant à nouveau goûter à ce truc qu'il y avait entre nous, témoin de l'histoire qui nous avait unis. Qu'il y avait eu, au passé. Il n'y avait plus rien entre Haze et moi depuis longtemps maintenant. Relation piétinée par son infidélité, puis par ma témérité qui s'était empressée de faire de même. Relation à peine qualifiable puisque jamais assumée. Des mois à cacher à ma meilleure amie le lien qui m'unissait à son frère, pour quoi au final ? Se faire prendre pour une conne. Mais dans toute cette rancoeur, l'existence de Neptune était certainement le coup de couteau qui faisait le plus de mal. Comment avait-il pu me cacher ça ? Je comptais si peu à ses yeux, pour qu'il me cache l'existence de sa fille ? Voilà à présent que je repensais à cette fameuse fois où Maze m'avait présentée sa nièce, grand sourire aux lèvres face à mon coeur réduit en miette. « Ah ? C'était quoi ton but Haze ? » demandai-je malgré moi face à ses mots maladroits. Je voyais bien son malaise, cette façon qu'il avait de se passer la main dans ses cheveux... et ça me peinait encore plus. Parce qu'au fond il le savait, qu'il n'avait pas d'excuses. « Tu voulais me le dire hein.. ? C'est vrai qu'un an c'est un peu tôt, tu voulais attendre sa majorité peut-être... » lançai-je avec ironie, détournant le regard. Puis venaient les excuses. Un peu tard, malheureusement. « Moi aussi » répondis-je, fermée. Désolée de l'avoir laissé prendre une telle part dans mon coeur, quand de toute évidence je n'occupais pas la même dans le sien. Je m'apprêtais à partir pour de bon quand, maladroitement, je faisais tomber mon t-shirt de peinture au sol. Soufflant, je me penchais pour le ramasser tant bien que mal... et laisser échapper le pack de bières qui tomba droit sur mon pied. « Aaah putain !! » m'exclamais-je en voyant la bière se répandre au sol, sautillant à moitié en sentant la douleur irradier dans mon pied.