C’était à se demander si j’aimais la souffrance… Depuis toujours, j’aimais faire des choses qui me rendaient mal. J’aimais me perdre dans mes rêves obscures, j’aimais être chez moi alors que ma mère y était, avec ses putains de clients, enfin, j’aimais me rendre mal. Peut-être que j’avais loupé des étapes dans l’apprentissage de la vie, je ne sais pas. Je veux dire… pourtant j’ai fait énormément de choses que quelqu’un de mon âge, à l’époque, ne fait pas. J’ai travaillé pour nourrir mon frère, alors que ma mère travaillait pour se nourrir elle-même et se payer de nouvelles choses pour ses nuits de sexe bruyantes. Travailler, travailler, aller à l’école. Ma vie avait pris un rythme que je ne supportais plus, mais ma foi, il fallait bien que quelqu’un trouve de l’argent, le gagne, pour pouvoir payer tout ce dont l’Humain a besoin. Encore maintenant, souvent, je me surprenais moi-même à parler, à me dire que je travaille pour nourrir mon petit frère. Il me manque, ce con. Est-ce qu’il existait un guide, un mode d’emploi pour la vie ? Comment est-ce possible de vivre une vie telle que la mienne ? Il doit sûrement y avoir des erreurs quelque part, ce n’est pas une vie méritée ça, vraiment pas. À l’heure actuelle, personne n’avait ce genre de vie, personne sur cette putain de Terre n’avait une vie aussi merdique que la mienne, si ? Et bien malheureusement si, et c’est seulement maintenant, maintenant que j’ai quarante années de vie que j’ai compris. Il me fallait un déclic, j’en avais eu besoin. C’est pourquoi j’avais longtemps économisé, longtemps parce que je ne croulais pas sur l’or, et je m’étais payé un voyage. Non, je n’étais pas parti dans un hôtel à je ne sais combien d’étoiles, sur une plage de sable blanc extra fin, non, loin de là. J’étais parti dans ces pays que personne ne veut visiter car pauvres ou dangereux. Il fallait que j’aille voir des choses qui me fassent prendre conscience de la chance que j’ai, de vivre dans un pays libre, où j’ai un toit. Alors oui, j’avais peut-être une vie sentimentale anéantie, une vie professionnelle dans laquelle je n’étais pas épanoui, pas le moins du monde, mais j’avais de la nourriture tous les jours, j’avais un endroit où dormir. Pourquoi est-ce que nous n’étions guidés dès notre naissance ? Je trouvais la vie cruelle, elle me laissait des notes amères dans les oreilles, mais ma foi… Si telle était la vie, alors j’étais prêt à la subir, mais pas sans Hurricane. On se l’était promis, et je ne pensais pas qu’elle allait rompre cette promesse qui était devenu un rituel. Ouais, un rituel parce qu’on se le répétait tous les matins, et tous les matins, je pensais à elle, même si elle était à côté de moi. Nous avions été vite, dans notre « amourette » comme les gens osaient qualifier notre relation, nous avions été trop vite même, parce qu’en deux ans de relations, nous allions déjà nous marier. La rapidité ne m’effrayait pas, j’aimais. Oui, j’aimais comme jamais je n’avais aimé, et comme jamais je n’aimerais, donc oui, je voulais faire les choses rapidement. Je la voulais mienne, j’avais besoin de savoir qu’elle était à moi et qu’elle l’avait juré devant Dieu. Après tout, si les gens qualifiaient notre relation d’amourette c’est peut-être qu’ils voyaient ce que moi je ne voyais pas ? J’étais aveuglé par ma maladie, cette maladie d’amour qui me condamnait à ne voir que ce que mon cœur offrait à mes yeux. Les gens avaient réussi à voir qu’elle allait m’abandonner, qu’elle allait tout abandonner à la première difficulté et quelle difficulté… Ce problème, c’est elle qui l’avait crée. Maintenant, il fallait qu’elle et moi, nous puissions arranger les choses, il fallait que l’on arrive à aller de l’avant. Nos vies étaient liées, nos vies en dépendaient.
Peut-être que mes exigences étaient trop importantes, après tout, c’est vrai… Je demandais un renversement de situation concernant ma vie, je voulais un métier qui me rendrait heureux et moi-même, je voulais la gloire, l’amour et la richesse. Qui dans ce monde arrive à accumuler ces trois choses et à les garder ? Pas grand monde, certainement, mais bon, les rêves étaient là pour ces gens-là. Ces personnes qui sont comme moi, en manque de piment dans leur vie, ces gens qui ont des rêves plus gros que les autres. Certaines personnes rêvent d’une nouvelle paire de chaussures, moi je m’égarais à penser à des paparazzis autour de moi. Bien évidemment, ce rêve était rare. La plupart de mes nuits était rythmée par Hurricane. Je voyais mes bras autour de son corps nu, je voyais nos doigts jouer ensemble sur le rythme d’une balade aux airs langoureux. Je voyais pleins de chose, tellement de choses passées et pourtant inoubliables. Elle était ma seule raison de vivre et c’est pour ça que je n’avais pas pu partir, il y a 2122 jours, c’était impossible. Oui, j’avais compté les jours qui nous séparaient, j’avais compté ces journées interminables qui avaient renforcé la tristesse un peu plus, à chaque minute écoulée. Pitoyable, certainement, mais je vivais plutôt bien mon côté romantique. Ce qui m’étonnait depuis toujours, du moins étonnait était peut-être trop faible, j’avais carrément la bouche pendante quand j’y pensais… bref, c’était la faculté qu’elle avait eu à me rendre humain. Si on m’avait dit qu’une fille banale, comme tout le monde me ferait changer du tout au tout en un café et une nuit, je n’y aurais jamais cru, et pourtant…
C’était encore un réveil où je m’étais dit qu’elle allait peut-être venir me chercher. C’était un réveil comme les autres, à vrai dire. Mes matinées étaient rythmées entre mon angoisse de revoir la femme de ma vie, cette angoisse qui se décuplait jour après jour, mais qui pourtant me rendait envieux. Je voulais tellement arriver devant la fac et la voir, là, seule et m’attendant. Je m’étais toujours juré que quand ce jour arriverait, je la ferais souffrir comme elle l’avait fait. Je m’étais vu, dans mes rêves, des milliers de fois, elle devant ma place de parking, et moi, sortant de ma voiture en ne la regardant même pas. Cependant, maintenant qu’elle était en face de moi, je ne sus accomplir cela. « Reed... Je… » Elle me connaissait par cœur. C’était plutôt fou et majestueux à la fois. Connaître quelqu’un aussi parfaitement qu’on ne se connaît soi-même, ça relève de l’exploit, et pourtant, c’était exactement ce qui se passait entre elle et moi. Je savais comment elle allait réagir, je savais ce qu’elle allait dire, et en l’occurrence, je savais qu’elle ne parlerait jamais face à une assemblée pareille. Elle était beaucoup trop pudique et elle aimait préserver sa vie privée. « Qu’est-ce vous voulez tous ? Dégagez en cours, vous n’avez rien d’autre à foutre ? » Il y avait donc une preuve que je la connaissais toujours autant, qu’elle était toujours la même et elle paraissait légèrement déstabilisée par ceci… mais elle ne se laissa pas abattre pour autant, ce que j’aimais. « J’ai jamais, JAMAIS voulu qu’on ait ce putain d’accident Reed. Tu veux savoir ? J’aurais préféré être à ta place sur ce lit d’hôpital, j’aurais préféré que ce soit moi qui y sois ouais. Tous les jours, j’suis venue. Les médecins en avait tellement marre de me voir, de voir ma gueule de dépitée tous les jours, que … qu’ils m’ont foutus sous calmant, sous antidépresseurs comme les tarées. Parce que c’était c’que j’allais devenir. Une tarée, parce que j’supportais pas de te voir comme ça… Je ne comprenais pas… Je ne voulais pas l’imaginer sur un lit d’hôpital. Je n’aurais pas voulu l’inverse. J’aurais été prêt à mourir pour elle, c’est ce qu’elle n’avait jamais compris. Je ne lui en voulais en rien pour l’accident, je lui en voulais d’avoir laissé notre amour sur le pas de ma chambre d’hôtel. si tu veux, on y va dans une bagnole la maintenant ! Tu nous plante en bagnole tu t’en sors et tout le monde sera content. Tu seras content parce que t’auras flinguée la fille qui n’a jamais cessé de t’aimer ! » Qui serait content si elle mourrait hein ? On serait juste des dizaines de personnes tristes, au lieu d’une… moi. « Depuis toujours et à jamais. On se l’était promis Hurri, putain, comment t’as pu m’abandonner ? On allait se marier, mais merde putain… T’as jamais entendu dans les mariages, le passage qui parle de la misère, la maladie et toutes ces choses péjoratives de la vie ? » Des larmes et toujours des larmes. Je ne voulais pas la voir pleurer, je ne voulais pas voir cette tristesse rouler sur ses jolies joues. Je ne voulais rien savoir sur ce cœur qui battait si fort qu’il résonnait dans mon âme. « Allons, sèche ça, s’il te plaît. Je veux juste des explications… Après on pourra reprendre notre traintrain quotidien en se saluant, simplement, si tu veux… » Je savais parfaitement que nous ne pourrions pas retourner à nos vies ennuyantes et monotones après ces retrouvailles, c’était sûr, mais peut-être qu’elle avait refait sa vie, je ne savais plus rien de sa vie actuelle… « Je ne veux pas … Je ne veux pas reprendre mon train-train quotidien. Parce que chaque jour depuis mon départ, depuis que je t’ai quitté, je ne peux m’empêcher de penser à toi. Pourquoi je suis partie ? Pourquoi ? Je savais que le mariage impliquait assistance et tout le tralala, mais je n’arrivais pas, je n’arrivais plus à te voir sur ce lit, je ne supportais plus de te voir inanimé, j’avais peur que la machine s’arrête, que tu arrêtes de te battre. J’avais peur de l’avenir, c’est pour cela que … que je t’ai écrit cette lettre que tu n'as pas dû garder d'ailleurs... Parce que j’n’arrivais pas à te parler, en sachant que tu ne me répondrais pas… Je n’arrêtais pas de penser à toi, je n’arrêtais pas de me demander si tu allais bien, si tu étais heureux, j’aurais voulu te savoir heureux pour pouvoir être heureuse autant que toi. Parce que je ne vais pas te mentir en te disant que chaque jour, chaque jour je pleurais le matin en me levant. Chaque jour je t’écrivais une lettre. Te racontant ma vie minable, cette vie minable que j’avais adoptée. Je les numérotais, j’en ai écrit un peu plus de deux mille. Je sais que tu dois me prendre pour une pauvre folle mais je n’arrivais pas à... » Nous étions assez pitoyables à l’heure actuelle, c’est vrai, mais on se fichait du regard des autres. Pour être honnête, je ne savais même pas si des gens nous voyaient, nous regardaient, je n’en avais strictement rien à foutre. « Moi non plus, je ne veux plus de mon traintrain quotidien, j’en ai plus que marre de me lever tous les jours avant d’me demander quelle merde va encore m’arriver, quel élève va me faire chier ou si ma voiture va tomber en panne. Le pire… c’est con, tu vas te foutre de moi, mais le pire reste quand je me demande si je vais sentir ton parfum, si tu vas enfin revenir. Ce matin, en pensant à ça, je ne pensais pas que ça arrivait. Tu comprends, ça fait 2122 jours que je pense à la même chose tous les matins… » Je vis la jeune femme faire une tête surprise, être surprise lorsque j’eus le malheur – ou l’honneur ? – d’avoir soumis le nombre de jours passés sans elle, à l’attendre. « Je… Tu... 2122... C’est … waouh. » Ces quelques mots me firent sourire. Elle me faisait rire, je l’aimais, voilà, c’était tout ce qu’il y avait à dire. « Je vais être franc, je ne suis plus heureux depuis le jour où tu as fui. Je n’arrive plus à sourire, je n’arrive plus à ressentir quoi que ce soit. J’étais amoureux pour la première, enfin, je suis toujours… oublie ça. Sinon ta lettre… elle est là, et elle y est tous les jours. » La jeune femme fut surprise, vraiment très surprise. Peut-être qu’elle n’aurait pas dû parler de la lettre, peut-être que c’était beaucoup trop tôt pour lui montrer les blessures que je n’avais pas pansées. Elle regardait la lettre, puis emmena son regard vers moi. Elle semblait hésitante, ne savait pas quoi faire. Je ne lui demandais pas la lune, juste… son amour. Je voulais sa vie ancrée à la mienne, j’avais besoin de savoir que depuis tout ce temps, nous ne faisions qu’un. « J’avais pensé que… que tu m’aurais oublié pendant tout ce temps … que pour toi notre histoire ne serait que du passé. Mais non. Reed tu sais… Je n’ai jamais cessé de t’aimer, jamais. Je t’aime. Encore aujourd’hui. Et je t’aimerais encore demain et les jours suivants. Pardonne-moi… Je t’en prie. » Je ne pouvais pas lui pardonner ces milliers de jours à souffrir, à pleurer ce que je ne pensais jamais pleurer. Je ne pouvais pas pardonner mais je pouvais mettre dans un côté de ma tête et oublier, certainement. « Comment t’oublier ? Tu as... prenant une bonne inspiration, je puisais toute la force nécessaire pour pouvoir dire les choses que je n’avais jamais osé. Sa fuite m’avait appris des choses, il fallait toujours dire les choses aux gens, avant qu’il ne soit trop tard. Tu as changé ma vie, Hurri. Tu m’as fait devenir quelqu’un de bien et je t’en remercierai toute ma vie, crois moi. Je t’aimerai toute ma vie, je ne me suis jamais remis en couple, pour moi, notre amour n’était pas mort. Je faisais comme si tu étais là, dans ce grand lit froid, je faisais comme si ta présence réchauffait mes bras. C’est dingue hein ? Cependant, le matin, j’étais seul, aussi seul que la veille au soir. Je ne sais pas si je pourrai revivre une rupture. Je ne sais pas si te pardonner est la bonne chose à faire, j’ai tellement peur de souffrir à nouveau dans le futur. Qu’est-ce qui me dit que tu ne vas pas fuir, à nouveau ? » Parler calmement était sûrement la meilleure chose à faire, et délivrer mes angoisses aussi.