felipe figueroa-paz ✧ carlos sainz

new-york (2007, 10 ans) ☆ Comment répondre aux envies d’un autre enfant lorsque ce dernier est le fruit salvateur d’un caprice du premier ? Des parents absents. L’une politicienne, l’un chirurgien cardiaque. Le temps qui n’était déjà pas suffisant pour l’aîné. Une absence qui marquait au fer la solitude. Aîné qui s’amusait avec des jouets divers, sans jamais partager sa joie avec une moitié. Tous les soirs cette même prière : combler ce vide par sa présence. Elle arriva aux 6 ans de l’aîné. Ne l’a jamais quitté depuis lors. Volonté primale de remplir tous les rôles. Parentalité et fraternité. Qu’elle ne ressente, sans l’ombre d’un doute, l’inquiétude de ne pas être assez. Alors une protection qui se développe. Contre-productif pour une gamine qui grandit entre l’indifférence de la mère, le désespoir du père et l’oppression du frère.

córdoba (2018, 21 ans) ☆ Très rapidement le souci de s’émanciper. Liza qui multipliait les prises de risques. Si jeune et déjà une liste de challenges à en faire pâlir les plus aguerris. Le départ du foyer de l’aîné fut le point déclencheur. Plus aucune surveillance. Une libération pour la petite qui mourrait de dépendance. Son besoin de respirer. Felipe garda la trace de la petite par sms interchangés, des appels téléphoniques à des heures hasardeuses. S’il est indéniable qu’un lien unique s’est créé entre les deux, recette d’un mélange de complicité et d’appréhension, ce lien ne devait pas être unique, le seul, aux yeux de la cadette. Alors, auprès d’autres sortes d'aînés, elle forgea des expériences, éloignées d’une naïve jeunesse. Le père qui dû sortir sa fille des coins les plus délabrés de New York. Désenchantée la princesse. Une pression qui allait en crescendo. Des cris multiples. Du désespoir au bout du fil “on ne sait plus quoi faire pour elle”. Et une violence qui s'accrut. Autoritarisme comme seule arme contre la poupée. Renforcement de la fissure. Puis le soir de trop. Une dispute dans la voiture. Le père à l’avant, la fille derrière, au milieu. Incompréhensibles joutes verbales. L’essentiel était sûrement de savoir qui criait le plus fort. Lions enchaînés qui ne répondaient d’aucune logique. On serait tenté de se dire que le coupable est ce contexte palpable, cette parentalité défaillante. On serait tenté d’accepter une issue manichéenne. Mais rien ne pourrait apaiser un cœur meurtri par le décès d’un être cher. “On s’est engueulés… Je ne voyais plus la route” sont les seules paroles censées du paternel. Jamais elles n’ont été suffisantes. Jamais elles n’ont pu justifier. Et chaque jour, la peur du conflit l’envahit. La morbidité affiliée à ces poussées de colère.

boston (2019, 22 ans) ☆ La tête dans la main. Incapacité à voir correctement. Un sifflement constant qui se répand dans un corps tremblant. Le genou qui se secoue dans un effort incontrôlable. La gorge se serre, comprimant les poumons et nouant l’intestin. Le souffle court. Angoisse qui s’installe sans crier gare. Il pourrait être facile d’en décerner les indices avant-coureur : peur constante de ne pas être suffisant, confiance inachevée, résultats frôlant les ambitions mais jamais suffisants, sommeil inexistant ; plus récemment, une vision qui se trouble, des dents qui grincent, des paroles qui se bousculent dans l’esprit ; aujourd’hui, un nom absent sur une liste tant attendue. Des années de labeur pour arriver à ce résultat : non admissible.

boston (2024, 27 ans) ☆ On pourrait se dire que tout passe avec le temps. Qu’il suffit d’être patient. D’un côté on oublie, de l’autre tout vient à point à qui sait attendre. Des phrases d’une philosophie de comptoir. Rien efface. Le souvenir d’une sœur dont la voix s’estompe au fur et à mesure. La culpabilité, d’un réveil nocturne, affolé, oubliant la couleur de la prunelle. L’amertume de ne pas avoir été suffisant, ou de trop. Balance qui n’affiche dans tous les cas aucun équilibre. Et lorsque le cœur, parfois, se calme, c’est l’esprit qui prend le relais. L’excellence qui n’est toujours pas atteinte. Un internat augmente les angoisses, la peur continue que la réussite n’est pas méritée. Un redoublement, du temps dont les autres n’ont pas eu besoin. Alors chaque jour ces mêmes inquiétudes, qui ne partent ni par brasse aquatique, ni par amours envolés. Et souvent, le seul moyen de ralentir ces tourments est de se plonger dans ce jeu. Revenir aux bases, à ce conte créant une bulle quasi-parfaite : donjons et dragons.