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TW : grossesse extra-utérine, interruption de grossesse, opération, sang, cicatrice, choc post-traumatique
Dans le noir, les yeux fixés sur un plafond qu’elle voit à peine dans l’obscurité de sa chambre, Joyce tremble. Le froid pourtant ne devrait pas s’infiltrer jusque sous les draps de la Dudley, et pourtant elle a l’impression terrible que les températures ont chuté de manière horrible dans l’espace qu’elle habite pourtant depuis assez longtemps pour s’y sentir rassurée. Mais les quatre murs ne suffisent plus aujourd’hui, et le corps tremblant se tourne et se retourne sous l’espace offert par son duvet, le cœur qui bat trop fort, la nausée qui hante sa gorge, la vision floue. Une main s’extirpe du cocon pour aller allumer la lampe de chevet qui borde le grand lit, mais la lumière qui jaillit dans l’espace paraît encore pire à la doctorante. Quelque chose rampe et ça la hante. Elle attrape le téléphone sur sa table de nuit et la première chose qu’elle voit, avant même le fond d’écran qui représente une image de l’océan envoyé par sa mère, c’est cette date terrible qui s’affiche innocemment. Cette date qui ne dit rien à la plupart des gens, mais qui tape trop fort dans sa mémoire pour celle dont la main glisse sous son pyjama à la recherche des boursoufflures qui sont devenue de minuscules relief sur le bas de son ventre. Elles sont bien là. Ça a vraiment existé.
Déverrouillant son téléphone, elle hésite un instant à appeler Haley. Elle sait que sa meilleure amie ne lui en voudra pas de la déranger en pleine nuit et n’hésitera probablement même pas une seconde avant de sauter dans un taxi pour la rejoindre, tenter de la rassurer d’un mot, d’une étreinte, de diffuser un peu de chaleur dans cette journée trop froide. Pourtant, ce n’est pas au-dessus de son nom que ses doigts s’immobilisent dans la liste de ses derniers messages envoyés. Et ce n’est pas non plus à elle qu’elle envoie : Tu dors ?. Sans même attendre de réponse de la part de son destinataire, elle envoie déjà un nouveau message : Ça fait un an… Je crois pas être capable de traverser ça toute seule. Est-ce que tu crois que tu pourrais venir cette nuit ?
Sous ses yeux, les caractères s’embrouillent un peu avant qu’elle ne clique sur « envoyer » et repose l’engin. Les larmes créent un brouillard opaque. Elle n’avait pas prévu ça. Elle ne pensait pas que le simple fait d’arriver à cette date la touche autant. Et pourtant, tout semble remonter en tempête. La douleur, l’impression que c’est une simple gastro, puis les soupçons d’appendicite, le voyage jusqu’aux urgences et la prise en charge qui s’éternise dans la nuit. Les traits instables des internes, les questions sans fin, les chuchotements dans les couloirs grisâtres, puis cette prise de sang qui annonce un taux trop haut de HCG. Le gel froid e l’échographie, l’impossibilité de repérer quoi que ce soit sur l’image, puis cette gynécologue à la mine inquiète qui décide d’en faire une autre, de manière interne cette fois… Et la nouvelle qui tombe. Elle ferme les yeux, rideau noir sur sa vision qui n’occulte pourtant pas les souvenirs. La nouvelle qui tombe, c’est une grossesse extra-utérine, c’est dangereux pour sa santé, il va falloir opérer. Elle a à peine le temps d’appeler Jay pour lui souffler tout ça avant qu’on ne la prépare, avant qu’on ne la fasse rouler sous la succession des néants, avant qu’on ne lui pose un masque sur le visage ne lui demandant de décompter depuis dix. Dix… neuf… huit, les papillons noirs vole dans ses rétines, elle ne comprend pas bien tout ce qui se passe. Sept… six… cinq… tout a été trop soudain, l’espace d’une même nuit on lui a appris qu’elle était enceinte et que cet embryon était une bombe à retardement qui mettait sa vie en danger. Quatre… la suite ne vient jamais.
Quelques heures plus tard, elle s’était réveillée sans vraiment savoir où elle était. Pas vraiment de douleur physiquement, grâce aux médicaments. La nuit s’était recomposée dans sa tête, la gynécologue était venue lui expliquer ce qui s’était passée, était restée pour répondre à ses questions. Sauf peut-être à la plus importante, sauf peut-être à celle qu’elle n’oserait jamais poser à personne. Comment on fait pour s’en remettre ? On attend. Que ça cicatrise, que les chairs se rassemblent, que de nouvelles cellules se créent pour ne laisser plus que de fine traces blanchâtres qui apparaissent un peu plus fort sous le soleil méditerranéen ou la brûlure de la douche. On attend parce que les secondes qui s’écoulent après les drames de la vie sont les seules à pouvoir soigner un peu, que ce soit le corps et l’esprit. On attend, suffisamment longtemps. Combien ?
Elle avait été chez la psychologue. Elle avait vu sa mère. Elle en avait parlé avec Haley. Les semaines avaient passé, d’autres déchirures était arrivée. Est-ce que cette blessure avait été la base de sa séparation avec Jay ? Elle ne sait pas vraiment, le puzzle est dur à constituer dans sa tête. Peut-être que c’était destiné à échouer de toute manière, que ça n’a fait que précipiter les choses. Aucune importance, une écorchure de plus qui n’aide pas vraiment à guérir. Alors elle s’enfonce dans le déni. Elle jure devant sa psy que ça va mieux, elle évite le sujet, elle passe des heures le nez dans le bouquin pour retarder un peu ces minutes grappillées à la nuit où elle devra aller se coucher. Elle s’épuise pour que le sommeil veuille bien l’accueillir quelques heures, pour tenter de contourner les insomnies ; ça ne marche qu’à moitié. Elle fuit à l’autre bout du monde, elle s’engage ailleurs, voit d’autres horreurs qui défilent sous ses yeux. D’autres vies qui se battent entre des flots impétueux et qu’on ne parvient pas toujours à sauver. Ça résonne trop fort. Alors elle se perd contre un corps entre les tempêtes des flots grecs. Elle se perd pour oublier un peu, mais ne crée que des larmes sur sa joue. Les blessures sont toujours là. Il faut croire que ce n’est pas encore assez de temps.
Tout la hante, elle merde partout. Elle ne sait plus où elle en est. Elle sourit la journée, cette doctorante appliquée qui semble se donner corps et âmes ans ses recherches et son job à l’aquarium. Elle intensifie encore le temps de travail. Elle plaisante devant la machine à café. Elle part manifester pour le climat avec des panneaux colorés. Elle sort boire des verres avec des amis. Tout va bien, le temps est passé. Pas vraiment Les insomnies rampent toujours, la peau se craquèle sous les sourires pour laisser glisser le pue et le sang. Cicatrices qui palpitent. Et puis cette date qui revient et qui la hante, cette date qui fait exploser tous les dénis. Un an.
C’est trop. Pourvu que Jay ne l’abandonne pas toute seule dans cette nuit. Pourvu qu’il vienne.
@Ji-hun Hwang
Dans le noir, les yeux fixés sur un plafond qu’elle voit à peine dans l’obscurité de sa chambre, Joyce tremble. Le froid pourtant ne devrait pas s’infiltrer jusque sous les draps de la Dudley, et pourtant elle a l’impression terrible que les températures ont chuté de manière horrible dans l’espace qu’elle habite pourtant depuis assez longtemps pour s’y sentir rassurée. Mais les quatre murs ne suffisent plus aujourd’hui, et le corps tremblant se tourne et se retourne sous l’espace offert par son duvet, le cœur qui bat trop fort, la nausée qui hante sa gorge, la vision floue. Une main s’extirpe du cocon pour aller allumer la lampe de chevet qui borde le grand lit, mais la lumière qui jaillit dans l’espace paraît encore pire à la doctorante. Quelque chose rampe et ça la hante. Elle attrape le téléphone sur sa table de nuit et la première chose qu’elle voit, avant même le fond d’écran qui représente une image de l’océan envoyé par sa mère, c’est cette date terrible qui s’affiche innocemment. Cette date qui ne dit rien à la plupart des gens, mais qui tape trop fort dans sa mémoire pour celle dont la main glisse sous son pyjama à la recherche des boursoufflures qui sont devenue de minuscules relief sur le bas de son ventre. Elles sont bien là. Ça a vraiment existé.
Déverrouillant son téléphone, elle hésite un instant à appeler Haley. Elle sait que sa meilleure amie ne lui en voudra pas de la déranger en pleine nuit et n’hésitera probablement même pas une seconde avant de sauter dans un taxi pour la rejoindre, tenter de la rassurer d’un mot, d’une étreinte, de diffuser un peu de chaleur dans cette journée trop froide. Pourtant, ce n’est pas au-dessus de son nom que ses doigts s’immobilisent dans la liste de ses derniers messages envoyés. Et ce n’est pas non plus à elle qu’elle envoie : Tu dors ?. Sans même attendre de réponse de la part de son destinataire, elle envoie déjà un nouveau message : Ça fait un an… Je crois pas être capable de traverser ça toute seule. Est-ce que tu crois que tu pourrais venir cette nuit ?
Sous ses yeux, les caractères s’embrouillent un peu avant qu’elle ne clique sur « envoyer » et repose l’engin. Les larmes créent un brouillard opaque. Elle n’avait pas prévu ça. Elle ne pensait pas que le simple fait d’arriver à cette date la touche autant. Et pourtant, tout semble remonter en tempête. La douleur, l’impression que c’est une simple gastro, puis les soupçons d’appendicite, le voyage jusqu’aux urgences et la prise en charge qui s’éternise dans la nuit. Les traits instables des internes, les questions sans fin, les chuchotements dans les couloirs grisâtres, puis cette prise de sang qui annonce un taux trop haut de HCG. Le gel froid e l’échographie, l’impossibilité de repérer quoi que ce soit sur l’image, puis cette gynécologue à la mine inquiète qui décide d’en faire une autre, de manière interne cette fois… Et la nouvelle qui tombe. Elle ferme les yeux, rideau noir sur sa vision qui n’occulte pourtant pas les souvenirs. La nouvelle qui tombe, c’est une grossesse extra-utérine, c’est dangereux pour sa santé, il va falloir opérer. Elle a à peine le temps d’appeler Jay pour lui souffler tout ça avant qu’on ne la prépare, avant qu’on ne la fasse rouler sous la succession des néants, avant qu’on ne lui pose un masque sur le visage ne lui demandant de décompter depuis dix. Dix… neuf… huit, les papillons noirs vole dans ses rétines, elle ne comprend pas bien tout ce qui se passe. Sept… six… cinq… tout a été trop soudain, l’espace d’une même nuit on lui a appris qu’elle était enceinte et que cet embryon était une bombe à retardement qui mettait sa vie en danger. Quatre… la suite ne vient jamais.
Quelques heures plus tard, elle s’était réveillée sans vraiment savoir où elle était. Pas vraiment de douleur physiquement, grâce aux médicaments. La nuit s’était recomposée dans sa tête, la gynécologue était venue lui expliquer ce qui s’était passée, était restée pour répondre à ses questions. Sauf peut-être à la plus importante, sauf peut-être à celle qu’elle n’oserait jamais poser à personne. Comment on fait pour s’en remettre ? On attend. Que ça cicatrise, que les chairs se rassemblent, que de nouvelles cellules se créent pour ne laisser plus que de fine traces blanchâtres qui apparaissent un peu plus fort sous le soleil méditerranéen ou la brûlure de la douche. On attend parce que les secondes qui s’écoulent après les drames de la vie sont les seules à pouvoir soigner un peu, que ce soit le corps et l’esprit. On attend, suffisamment longtemps. Combien ?
Elle avait été chez la psychologue. Elle avait vu sa mère. Elle en avait parlé avec Haley. Les semaines avaient passé, d’autres déchirures était arrivée. Est-ce que cette blessure avait été la base de sa séparation avec Jay ? Elle ne sait pas vraiment, le puzzle est dur à constituer dans sa tête. Peut-être que c’était destiné à échouer de toute manière, que ça n’a fait que précipiter les choses. Aucune importance, une écorchure de plus qui n’aide pas vraiment à guérir. Alors elle s’enfonce dans le déni. Elle jure devant sa psy que ça va mieux, elle évite le sujet, elle passe des heures le nez dans le bouquin pour retarder un peu ces minutes grappillées à la nuit où elle devra aller se coucher. Elle s’épuise pour que le sommeil veuille bien l’accueillir quelques heures, pour tenter de contourner les insomnies ; ça ne marche qu’à moitié. Elle fuit à l’autre bout du monde, elle s’engage ailleurs, voit d’autres horreurs qui défilent sous ses yeux. D’autres vies qui se battent entre des flots impétueux et qu’on ne parvient pas toujours à sauver. Ça résonne trop fort. Alors elle se perd contre un corps entre les tempêtes des flots grecs. Elle se perd pour oublier un peu, mais ne crée que des larmes sur sa joue. Les blessures sont toujours là. Il faut croire que ce n’est pas encore assez de temps.
Tout la hante, elle merde partout. Elle ne sait plus où elle en est. Elle sourit la journée, cette doctorante appliquée qui semble se donner corps et âmes ans ses recherches et son job à l’aquarium. Elle intensifie encore le temps de travail. Elle plaisante devant la machine à café. Elle part manifester pour le climat avec des panneaux colorés. Elle sort boire des verres avec des amis. Tout va bien, le temps est passé. Pas vraiment Les insomnies rampent toujours, la peau se craquèle sous les sourires pour laisser glisser le pue et le sang. Cicatrices qui palpitent. Et puis cette date qui revient et qui la hante, cette date qui fait exploser tous les dénis. Un an.
C’est trop. Pourvu que Jay ne l’abandonne pas toute seule dans cette nuit. Pourvu qu’il vienne.
@Ji-hun Hwang
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