« On s’est fait surprendre par les Hell Angels, on a pas eu l’temps de… » Je ne le laissais pas finir et courus dans la direction opposée. Il ne pouvait décemment pas y avoir laissé Kylian. Mes pensées s’affolaient, s’entremêlaient au point d’en devenir totalement confuses. Néanmoins une seule prédominait, Kylian. Non, non, cela ne se pouvait. Je courrais. Je courrais jusqu’à sentir tous mes muscles brûler, jusqu’à sentir dans mes veines de l’acide sulfurique à la place du sang. Mon cœur battait à tout rompre tandis que la peur s’infiltrait perfidement en moi. Bordel, pourquoi je l’avais traîné dans mes histoires ? « Putain Kylian, t’as intérêt d’être encore en vie » murmurai-je, rageur. J’empruntai une petite ruelle sombre, que je connaissais par cœur pour l’avoir parcouru maintes fois afin de vendre ma marchandise. Je débouchai sur une rue beaucoup plus fréquentée, enfin moins à une heure aussi avancée de la nuit. Habituellement y avait quelques putes dans le coin, mais là, personne à l’horizon. Seul un silence insoutenable m’accueillit. Je n’aimais pas ce sentiment qui prenait peu à peu possession de mon corps. Je m’arrêtais subitement afin de prendre une profonde inspiration. Il n’était pas l’heure de céder à la panique, n’est-ce pas ? Kylian devait sûrement aller très bien, il était intelligent et je lui avais enseigné quelques rouages donc il savait comment agir dans ce genre de situation. Courir. Se cacher. Guetter. Ouais, il connaissait les bases donc il n’y avait aucune raison de s’en faire. Alors pourquoi était-il allongé au milieu du trottoir ? Pourquoi ne bougeait-il plus ? Pourquoi toute cette flaque rendue sombre par la nuit ? Je m’immobilisais et fermai les yeux un instant. Je rêvais. Oui, il ne pouvait en être autrement. Je refusais de croire que c’était lui. Lorsque je rouvrirais les yeux, je serais dans notre lit, dans notre chambre, dans notre appartement. Partiellement et surtout faussement rassuré, j’ouvris mes paupières. Tic. Silence. Tac. Je ne me souvenais plus exactement de ce que je ressentis à ce moment précis, tout ce dont je me souviens, c’est que je me suis précipité vers lui en criant, le prenant par la suite dans mes bras. « Kylian ! PUTAIN KYLLIAN ! AIDEZ-MOI ! MON FRERE A BESOIN D’UN MEDECIN ! » Bien sûr il n’y avait personne dans les environs. Un silence de mort planait littéralement. Silence seulement brisé par l’écho de mon cri désespéré. Je plaçais mes mains sur sa poitrine et compressais violemment à plusieurs reprises afin de le sauver, si cela fût encore possible. « Pourquoi tu m’as suivi bordel de merde ! Je t’avais dit de rester à la maison ! Maman a besoin de toi, faut qu’au moins l’un d’entre nous s’en sorte et fasse honneur au Wayans et le plus à même de réussir dans la vie c’est toi petit-frère. Me lâche pas merde, j’ai besoin de toi…Maman a besoin de toi, Sis’ et mamé aussi. Tu vas pas clampser dans cette ruelle sordide. T’es plus fort que ça merde ! T’es le plus fort d’entre nous ! » Ma gorge se noua et au même moment des larmes roulèrent silencieusement sur mes joues, tombant sur celle de mon cadet. J’accélérai la fréquence de mes mouvements « Putain Kylian, c’est pas drôle ! Ouvre les yeux merde ! Me laisse pas, me laisse pas…je… » Il ne réagissait toujours pas, demeurant toujours aussi inerte qu’un cadav…je me refusais à ce mot. Non, non, mon frère ne pouvait pas être parti ! Pas lui, il y avait encore moyen de le sauver. Animé par la puissance du désespoir, je me démenai comme un fou, sans grand succès. « Putain, Kylian, t’as pas l’droit…t’as pas l’droit d’me faire ça ! » Lui hurlai-je dessus, perdu entre la colère et la tristesse. « Si t’ouvres pas les yeux maintenant, j’te jure que je te… » Je ne parvins pas à terminer ma phrase, la vérité m’apparaissant enfin aussi claire que de l’eau de roche. S’en suivit une succession de « non » étouffé par mes sanglots. Il était mort. A Seize ans. Si jeune. Il était prévu qu’il passât son permis la semaine suivante. Je le pris dans mes bras à la manière d’une jeune mariée –chose pour laquelle il m’aurait maudit de son vivant- et le ramenait chez nous, ne cessant de pleurer tout le chemin.
A peine fus-je arrivé chez nous, que ma mère vint à notre rencontre. Elle comprit immédiatement. Je déposai son fils à ses pieds, baissant la tête en signe de culpabilité. Furieuse et accablée, elle m’asséna une violente gifle. Une seconde. Une troisième. Au total, j’en reçus près d’une quinzaine mais je ne bronchai pas. Je méritais bien plus que cela. « T’as tué mon fils…t’as tué ton frère…comment t’as pu ? » scandait-elle, les larmes aux yeux. Je ne répondis pas. Oui tout était de ma faute. Si je n’avais cédé en l’emmenant avec moi rien de cela ne serait arrivé. Pourtant, les choses n’auraient pas dû se terminer ainsi. C’était juste une soirée. Une putain de soirée. C’était pas la première fois que l’on sortait comme ça à l’insu de notre génitrice. Enfin, elle avait perdu tout espoir me concernant mais pas avec lui. C’était son rayon de soleil. Et ca aussi, je le lui avais enlevé. « Sors d’ici… » Murmura-t-elle. Je ne bougeai pas. « VA-T-EN, JE VEUX PLUS TE VOIR. » Elle fit une pause, calmant ses pleurs avant d’ancrer son regard froid dans le mien. « Tu n’es plus mon fils » articula-t-elle calmement et d’un ton qui me glaça le sang. « Mama, tu peux p… » Elle me tournait déjà le dos. Game Over Blaze. Les jours suivants, je m’occupais de l’assassin de mon frère avant de quitter la ville. Il s’avéra qu’il n’avait rien à avoir avec les Hell Angels et c’était un membre de mon propre groupe. Celui-là même qui était venu me prévenir et comme la trahison était passible de la peine de mort, je fus plus qu’heureux de la lui donner. Il avait abattu Kylian parce que ce dernier avait malencontreusement découvert les trafics qu’il faisait dans notre dos.
Je fixai la ville sous moi d’un regard absent, revenant peu à peu au moment présent. Il suffisait d’un pas, d’un malheureux pas pour que le vide me happe et que tout s’arrête. Bam. Fin. Game Over. Rembobinement. Le noir. L’inconscience. Moins d’un mètre et tout serait terminé. Ma culpabilité se mêlerait au débris de mon crâne. Sang. Douleur. Chair. Regrets. Cerveau. Envolés. Et la délivrance. Pourtant, je restais là. Au fond, je ne voulais pas mourir. Je le devais mais j’étais trop poltron pour cela. J’aimais la vie, malgré tout. Bien que je mérite que l’on me logeât immédiatement une balle entre les deux yeux. Je poussais un soupir, las. J’avais continué ma vie, après avoir volé celle de mon frère et avait même fini par devenir professeur de danse à Havard, poste inespéré au vu de mon milieu social. L’on remerciait là une des relations que je m’étais faite et qui avait lourdement appuyé ma candidature. Havard c’était le rêve de Kylian. Je n’étais finalement qu’un imposteur. Je poussai un second soupir. La vie était décidément injuste.