(cleo) la loi du papillon

au volant de ta voiture tu pousses un énième soupir, passe ta main dans tes cheveux blonds et ferme les yeux quelques secondes. t'attends patiemment que la personne devant toi trouve une place pour se garer mais en attendant tu ressasses les déclarations de tes parents. c'est la merde, tu peux pas le nier. un gros scandale alimentaire qui a envoyé des personnes à l'hôpital, c'est pas la première fois que ça vous tombe dessus. mais en période de noël ? c'est plus compliqué à gérer. t'as passé des heures à chercher une solution avec tes parents et leurs avocats et t'es plus rassurée. ils vont emballer ça correctement derrière une excuse bidon, tout le monde va la gober et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. tes parents dédommageront les malades en guide d'excuses et tout sera oublié. tu trouves enfin une place pour garer ta grosse voiture et glisse tes clés dans la poche de ton long manteau. ton regard tombe sur le visage d'une jeune femme, tu te renfrognes automatique. en ce moment t'as l'impression que tout le monde t'observe à cause de tout ce scandale. mais elle, elle est vraiment en train de le faire non ? alors tu peux pas t'empêcher de lui aboyer dessus. ❝ qu'est-ce que tu veux toi, un autographe ? ❞

Cleo avait trouvé sa matinée super longue. Pour la première fois, elle se retrouvait de l'autre côté de l'amphi, à surveiller des centaines d'étudiants planchant sur un sujet durant plusieurs heures. Et pour tout dire, malgré tout, elle ne regrettait plus ces heures à se creuser les méninges sur un sujet de dissertation alambiqué ou sur des cas pratiques en sciences sans queue ni tête. Après tout, c'était les rares consolations à avoir entamé une thèse, bien qu'elle se demandait parfois ce qu'on avait trouvé à son projet de recherche, alors qu'elle avait d'autres camarades de promotions bien plus brillants qu'elle. Bien sûr, elle ne pouvait vraiment rechigner face à cette opportunité qui s'était offerte à elle, mais elle doutait tellement d'elle-même, qu'évidemment elle avait déjà pensé à abandonner, surtout quand elle voyait qu'elle n'était toujours pas en capacité de payer toutes ses factures de manière sereine et qu'elle cumulait les jobs pour voir le bout. Elle s'accrochait malgré tout, pour continuer à voir ces yeux amplis de fierté que ses parents arboraient, et qui lui permettaient toujours de retrouver un peu de sérénité, malgré ses doutes.
Pour ajouter du positif à sa journée, elle avait décidé de passer chercher des mandu dans son restaurant préféré, à l'autre bout de la ville, mais ils valaient bien toute cette peine, surtout à vélo avec le froid du Massachusetts qui prend place en ce début d'hiver. Elle accrochait son vélo devant le petit restaurant quand un visage attirait son attention : une des filles des patrons d'un groupe alimentaire qui faisait régulièrement scandale. Sauf que cette fois-ci le scandale alimentaire avait envoyé plusieurs personnes à l'hôpital, dans des états très graves. Ce sujet était d'ailleurs l'un des principal en salle des doctorants, tant le sujet semblait pris à la légère par les acteurs du secteur. Bien sûr, ces gens-là ne se souciaient pas trop des conséquences de leurs choix, tant qu'ils pouvaient faire des économies, au détriment de la santé d'autres. C'est donc ça d'avoir tellement d'argent qu'on ne sait même plus quoi en faire ?
Sans s'en rendre compte Cleo l'avait fixée bien plus longtemps qu'elle ne l'avait pensé, et la jeune Caskey l'avait remarquée et l'interpellait. La brune relevait le regard et affichait un sourire. "C'est gentil de proposer mais je me passerais bien de l'autographe d'une personne corrompue à ton stade. C'est dommage d'être aussi jeune et déjà dans les magouilles pour se sauver avec ses parents." Son regard c'était durci durant sa réaction. Elle avait surtout tenter d'effacer toute surprise de cette étrange interpellation de son visage : elle aurait automatiquement perdue toute crédibilité.

T'es fatiguée par tout ce qui se passe en ce moment dans ta vie et dans le business de tes parents, alors tu pars rapidement au quart de tour. Plus rapidement que d'habitude, en tout cas. Tes traits sont tirés par la fatigue et l'énervement se dépeint sur ton visage. Tu les sens les regards posés sur toi, t'en deviens presque paranoïaque à imaginer des voix piailler dans ton dos. Tu pourrais devenir agressive avec tout Harvard, leur cracher au visage tout ce que tu penses d'eux. C'est peut-être ce que tu comptes faire avec cette fille qui te regarde un peu trop intensément, l'impression de passer sous le regard d'un flic. ❝ En quoi ça te regarde ce que font mes parents ? Tu travailles pour eux peut-être ? ❞ tu n'as plus la patience, tu la connais pas et tu ne lui a jamais rien fait personnellement - pour l'instant. ❝ Et d'ailleurs tu ne nous connais pas, tu ne me connais pas, alors arrête de croire les stupidités que crachent les journalistes et passe ton chemin. ❞

Cleo sent rapidement l'irritation parasiter la voix de la jeune femme. Mais la brune en a marre de ces dirigeants d'entreprises qui se fichent de leurs consommateurs au profit des bénéfices. Et cette fille sait très bien tout ce que ce scandale cache, Cleo en est certaine. "Quand on détient ce genre d'entreprise, l'image publique compte beaucoup, mais je ne devrais pas avoir à te l'apprendre." Cleo devient presque dédaigneuse. Elle note intérieurement la plaque de son véhicule : ça peut toujours être utile, pour plus tard. "Parce que ces victimes, ce sont de simples stupidités crachées par les journalistes peut-être ? C'est gros comme excuse ça !"

Ta main glisse dans tes cheveux blonds pour masquer son tremblement, la colère te gagne rapidement. Ta langue claque contre ton palais et tu lèves les yeux au ciel, t'as face à toi le genre de filles prêtes à défendre la veuve et l'orphelin. T'as pas l'habitude, toi tu traînes plutôt avec les gens qui partagent ton état d'esprit et qui se moquent de qui ils écrasent sur leur passage. ❝ Merci de t'inquiéter de l'image de leur entreprise mais je te rassure elle se porte très bien, les ventes aussi. ❞ t'as pas fourré le nez dans les comptes mais tu le saurais si ça allait vraiment mal. Ils essuient le scandale, tes parents, et c'est compliqué mais t'as rien entendu sur une baisse des ventes. T'arrives pas à dissimuler le soupir qui glisse de tes lèvres. ❝ De regrettables victimes qui ont été dédommagées par mes parents. Parents qui ne sont pas responsables de tous les agissements de leurs employés. ❞

Les justifications balancées par la blonde ne satisfaisaient pas vraiment Cleo. Tous les directeurs sortaient les mêmes, sans aucune originalité, ce qui n'empêchait pas pour une partie d'entre eux de voir leur entreprise condamnée par la justice. On savait très bien que parfois la réputation d'une entreprise ne tient qu'à un fil, et que tout peut s'effondrer derrière. "Regrettables ? C'est toujours comme ça avec vous..." Elle fronce les sourcils. Pas responsables ? Peut-être pas directement, mais elle ne préfère pas soulever. "Je suis pas sûre qu'argumenter avec des individus comme ça fasse avancer la problématique. J'espère que ça retombera sur leur entreprise à un moment où un autre."

Tu lèves les yeux au ciel, t'avais pas prévu de commencer ta journée par un débat stérile autour de l'entreprise de tes parents. Tu sens bien que la jeune femme qui te fait face a un fort caractère, c'est ton cas aussi et t'as l'impression que la discussion peut très rapidement mal tourner, surtout avec la tension qui grandit en toi. ❝ C'est qui " nous " ? ❞ une grimace de colère déforme quelques secondes les traits de ton visage. ❝ Je ne travaille pas avec eux, il n'y a pas de " nous ". Je fais des études de médecine, moi. ❞ tu mords dans ta lèvre inférieure et détourne le regard à ses nouveaux propos. ❝ Bah dis donc, j'avais l'impression que miss parfaite avait un grand coeur mais tu souhaites le malheur des gens ? ❞

La discussion commence à irriter la brune, la jeune Caskey semble tellement imprégnée et obnubilée des discours qu'on lui a servi. Un sourire hypocrite se dessine sur ses lèvres à cette question sur ce qu'elle entendait par ce "vous", et la teneur de ses études. "J'espère alors que tes études te feront rendre compte d'une autre réalité bien différente. Ce serait dommageable sinon." Elle hausse les épaules. "Je n'ai jamais dit être parfaite. Mais je ne mets pas la vie d'autres personnes en danger, ce qui n'est pas le cas de tout le monde." Elle se passe une main sur le visage, et elle sent bien que les passants ont leurs regards lourdement posés sur leur altercation. "Mais je perds mon temps de toute façon." Allait-elle la faire évoluer d'un iota sur cette question en si peu de temps ? Sûrement pas.