SI VALES VALEO (EMMA)

Une belle journée en perspective : après avoir passé à la matinée à m'occuper de patients qui avaient passé l'arme à gauche en salle d'autopsie, j'avais prévu de jouer au docteur sur une patiente bel et bien vivante : ma très chère Emma. Elle m'avait proposé une balade, mais je préférais m'assurer qu'elle était en mesure d'aller gambader dans les rues de Boston - et puis je n'allais de toute façon pas manquer une occasion de m'occuper d'elle, chose que je faisais régulièrement ces derniers temps. Je déposais mon vélo en bas de l'immeuble, qui était plutôt mal fichu depuis ma bousculade avec une étudiante d'Harvard puisque le guidon était toujours tordu malgré moult réparations. Lorsque j'arrivais dans l'appartement, je trouvais Emma allongée sur le canapé, à moitié assoupie. Cette vision m'arrachait un sourire, je m'agenouillais devant elle avant de déposer un baiser sur ses cheveux ébouriffés. Elle était en convalescence depuis plusieurs semaines suite à un accident de voiture lors du summer camp. Elle n'avait rien eu de bien méchant fort heureusement, des côtes et un bras cassés, mais pas de commotion cérébrale ni d'hémorragie. Elle avait donc eu de la chance dans son malheur. Je m'approchais de son oreille « Ma grand-mère préférée, il est l'heure de se réveiller, c'est l'heure du goûter » dis-je en chuchotant. Je n'avais malheureusement pas eu le temps de lui concocter des petits biscuits au beurre frais comme madame le souhaitait mais j'avais récupéré des gâteaux bien chimiques - mais néanmoins très corrects pour un palais peu difficile - à la cafétéria de l'hôpital.

Les jours qui défilent mais qui se ressemblent tous. Toujours la même chose, les heures de sommeil difficile à trouver, les jeux vidéos recommencés encore et encore et les murs de sa chambre qu'elle voyait bien trop souvent. Petit oiseau usé par sa cage, regardant l'extérieur avec espoir, attendant avec impatience que le grand jour arrive, celui de la liberté. Avec chance, de jour en jour, elle commençait à aller mieux. Les habitudes du quotidien qui se retrouvent peu à peu accompagné de cette hâte que tout revienne à la normal. Dans sa difficulté, elle a eu la chance d'avoir un colocataire apte à vérifier son état de santé, mais aussi à l'aider quand tout devenait plus sombre et que la lumière était bien trop difficile à trouver. Les cours qu'elle comptait peu à peu reprendre, accompagné de son travail et des sorties quotidienne. Mais avant de pouvoir s'imaginer tout ça, il lui fallait le grand accord d'Ambroise. C'est vrai, elle n'appréciait pas toujours la façon qu'il avait de la protéger, mais il restait avant tout un soutien auquel elle aurait bien du mal à se passer. Parce qu'il était là depuis des années maintenant et un monde sans lui, ne serait pas celui d'Emma. Assoupie sur le canapé après une mauvaise télé-réalité regardé, les paupières qui s'ouvrent doucement, grimaçant face à la luminosité de la pièce. Mh.. La grand-mère peut pas prendre un peu de rab sur sa sieste ? dit-elle de sa moue, presque trop enfantine pour s'imaginer comme une femme âgée. Ses bras qu'elle tend vers lui, léger sourire malin au coin des lèvres.  Grand-père peut aussi rejoindre mamie, c'pas mal ça aussi. dit-elle amusée, les yeux qui ont encore du mal à complètement s'ouvrir tant il était toujours difficile de la réveiller.

Cela faisait plusieurs semaines que je vérifiais régulièrement son état de santé, afin de m’assurer qu’elle se rétablissait bien - bien entendu, ce n’était pas une corvée de m’occuper de la jeune femme, bien au contraire. J’en rajoutais parfois un petit peu, par inquiétude bien sûr, mais également parce qu’il y avait une petite voix maléfique dans ma tête qui, malgré mes idées tout à fait amicales envers elle, adorait ausculter son petit corps si… charmant. C’était cette même voix qui me poussait à ausculter d’un peu trop près ses lèvres en soirée et ce, toujours malgré moi. J’arrivais dans l’appartement et je la retrouvais allongée sur le canapé, en train de roupiller. Je m’étais approché d’elle afin de l’avertir de ma présence en chuchotant. J’observais ses petits yeux bleus s’ouvrir légèrement, elle était de toute évidence encore fatiguée ou alors elle jouait très bien la comédie pour m’inciter à la rejoindre. Bien évidemment, ma petite voix préférée, qui ne loupait pas une occasion pour se faire entendre, m’incitait à me coucher auprès d’elle. De toute façon, c’était malpoli de refuser les demandes d’une patiente, surtout aussi mignonne. J’esquissais un léger sourire avant de répondre. « Oui tu as raison, c’est plus raisonnable, grand-père est très fatigué et ne voudrait surtout pas perturber grand-mère » dis-je en l’enjambant délicatement afin de me mettre derrière elle sur le canapé, en me collant à elle car ce canapé était loin d’être un lit king size. C’était une étape assez délicate car malgré tout, elle prenait de la place celle-ci ainsi que toute la couverture. J’arrivais à mettre ma tête dans le creux de son cou avant de lui chuchoter. « Bon par contre, il faudrait que grand-mère fasse un peu de place à grand-père car sinon il va la faire tomber par terre » dis-je d’un air faussement menaçant.

L'esprit qui s'éveille, la voix qui marmonne, mais un sourire qui ne peut s'empêcher de s'afficher lorsqu'elle posait ses yeux sur lui. Pilier sur lequel elle comptait la plupart du temps, guérison difficile mais passée plus sereinement grâce à lui. Envie de se rendormir à ses côtés, oubliant presque cette visite médicale organisée sur un canapé. T'es le meilleur, t'aura peut-être même droit à une partie de bingo gratuite pour ce moment de tendresse. Dit-elle amusée, humour naturel incapable de se retenir quand il était là. Parce qu'ils étaient comme ça, toujours présent pour s'faire des blagues et se charrier à pouvoir en rire jusqu'au bout de la nuit. La silhouette qui ne l'aide pas vraiment face à son installation dans le canapé, elle n'attendait pourtant pas une seconde pour se blottir contre lui une fois prêt d'elle, un sourire satisfait au visage. Pourquoi ? Grand-père a peur de craquer si il sert trop fort grand-mère ? Les azurs qui se relèvent vers les siennes, moue provocatrice, utilisant parfois un peu trop cette ambiguïté non assumé pour en jouer. Parce que sur le moment, ça ne posait pas de problème, les complications venaient plus tard, quand elle se demandait pourquoi elle était autant attirée par un homme qui devait plus s'approcher d'un frère que d'autre chose. Ils avaient au moins cette facilité à ne pas en parler et c'est peut-être plus simple quand c'est comme ça.

Si je pouvais passer des journées comme celle-ci chaque jour, je signerais directement. J’aimais passer du temps avec ma petite grand-mère adorée car même si on habitait ensemble, ce n’était pas toujours facile de se voir régulièrement entre le travail, les études, les autres personnes qu’on voyait chacun de notre côté. Je laissais échapper un léger rire à sa remarque. « Je sais que c’est ton activité favorite le bingo mais j’ai d’autres jeux en tête auxquels j’aimerais jouer avec toi ». Je répondais sur un ton provocateur pour lui rendre le change mais également parce qu’on ne pouvait s’empêcher de faire ces multiples sous-entendus. Je me retrouvais à présent sur le canapé, allongé à côté de la jeune femme. Elle se retournait pour se blottir contre moi et je passais ma jambe au-dessus des siennes pour gagner en place - mais surtout pour me rapprocher d’elle. Je ne pouvais expliquer pourquoi je faisais ça, ni pourquoi elle décidait de me répondre en jouant de façon quasiment explicite sur notre ambiguïté réciproque. J’avais l’habitude de ce petit jeu que je nourrissais moi-même, par message, lors de nos soirées et en ce moment même. Je plongeais mon regard dans le sien, en la fixant quelques secondes. « Peut-être, mais j’ai comme l’impression que c'est grand-mère qui cherche absolument à le faire craquer » dis-je alors qu’elle me regardait avec son petit air qui m’énervait autant qu’il me donnait envie de la serrer fort contre moi et plus encore.

Réveillée certainement de la meilleure des façons, sourire qui se retrouve instinctivement quand il était là. Corps qui appelle le sien pour se blottir, profiter de cet instant à ces côtés. Parce que c'était peut-être y'a pas si longtemps la dernière fois, mais faut croire qu'elle en voulait toujours plus. Rire qui s'échappe à l'écoute de ses mots, sa tête qu'elle secoue d'un air amusé. Tu veux jouer au docteur, c'est ça hein petit pervers ? Dit-elle d'un air faussement accusateur. Parce qu'elle se souvenait de cette visite médicale et qu'elle en profitait toujours pour lui offrir cette taquinerie pleine d'insinuations. C'était peut-être le moment de tout arrêter, reprendre un peu de sérieux et s'éloigner. Au contraire, les corps s'approchent, impossible à défaire. Tu préfères peut-être que grand-mère s'éloigne ? T'as l'air plutôt bien installé là, non ? Sourire amusé, les yeux de biche qu'elle cligne tout en l'observant. C'est vrai, peut-être qu'elle jouait, mais une partie, c'est avec deux joueurs Ambroise et j'ai l'impression que tu t'amuses tout autant que moi. Juste deux minutes.. Et c'est finis. Appuyons sur le bouton pause, celui qui ramène à cet instant, celui où apprécier cet proximité s'approche de la normalité.