Circé&Hélios ✧ Ah, Mothers !

Êtes-vous bien certain que vous ne souhaitiez pas ma présence Monsieur ? Ne serait-ce que pour vous accompagner à votre table... Oh Gauthier, véritable ange gardien au-dessus de mon épaule. Probablement avait-il compris que le déguisement chemise noire pantalon blanc entachait mes mouvements et me rendait moins maître de moi-même. Pourtant, malgré cette généreuse offre, je hochais négativement la tête. J'apprécie Gauthier, mais je doute que ma mère goûte à la chose alors qu'elle m'a littéralement convoqué à ce restaurant... D'un geste presque assuré, je tendais la laisse de Scylla aux bons soins de mon majordome, avant de me diriger vers l'entrée dudit restaurant où ma mère, que je n'avais pas vue depuis des mois, m'avait demandé de me rendre ce soir. Un poil formel, y compris pour la femme de poigne que je connais. Par chance, la salle en elle-même me paraissait dégagée, et je n’eus aucun besoin de demander de l'aide pour me rendre à table. Curieusement, cette dernière se trouvait d'ailleurs vide, sans trace de ma bien-aimée génitrice. Je m'installe sans tarder, ajustant ce qui paraissait être des lunettes de vue afin que la luminosité changeante entre l'extérieur et l'intérieur ne me provoque pas de maux de tête insupportable. Quelques minutes plus tard, en voyant une ombre arriver tout prêt de ma table, je me relève aussitôt et avec autant de contrôle que possible, m'inclinant tel le fils de prince que je suis. Je vous souhaite le bonsoir, Mère. J'ose espérer que votre voyage n'a pas été pénible et que votre séjour sera confortable que je commence, fidèle à l'étiquette que l'on m'avait presque tatouée au fer rouge. Bien que surpris de votre invitation impromptue je n'en suis pas moins ravi de vous voir, il va sans dire. Sauf que la supercherie ne pouvait me sauter aux yeux. Je ne voyais pas l'identité de mon interlocutrice, qui ne se trouvait pas être ma mère, et mieux encore, qui ne m'avait jamais entendu m'exprimer de cette façon ni n'était au courant de ma cécité galopante.

Cette voix... je crois que j'aurais pu la reconnaître entre mille, à défaut d'avoir reconnu son parfum. Et dire que je viens de me lancer dans un laïus complètement ridicule que je ne sers qu'à ma patronne de mère... Il semblerait que les plans d'entremetteuse de ma maternelle aient encore frappé... que je plaisante afin de cacher la nervosité que la voix de Circé vient d'éveiller en moi. Si je déglutis avec difficulté l'espace d'une seconde, je me reprends et ose un franc sourire à l'attention de la fille de Chef. Pardonne toute cette peinture protocolaire... Un soupir s'échappe de mes lèvres et je m'approche, précautionneusement afin d'attraper la main de la jolie brune. Son souvenir est encore vif dans ma mémoire, et ce bien que je ne puisse désormais plus contempler que l'ombre formée par son corps. Tu as l'air en forme... je t'en prie, assis-toi. Je tirerais bien volontiers ta chaise pour montrer mon côté gentleman, mais hélas... je suis dans l'incapacité de le faire. Même son frère n'est pas au courant pour ma vue... alors Circé encore moins, et je souhaite encore faire illusion quelques instants. Juste quelques petits instants avant qu'elle ne me considère, comme beaucoup d'autres avant elle, que comme un handicapé.

Un nouveau petit rire s'échappe de mes lèvres, car j'admets bien volontiers que je n'ai jamais constaté une telle maladresse chez Circé. Probablement la surprise, que je pense en toute bonne foi, aux antipodes de me douter que c'est ma présence seule qui la trouble. Après tout, jamais nous n'avons vraiment eu de côtoiement intime, bien que nos mères respectives aient apparemment eu cette envie pour nous. Voilà qui ne m'étonne pas du tout de ma mère... c'est devenu une idée fixe, me caser avec ce qu'elle considère comme un bon parti... Mes sourcils se soulèvent sous la surprise de son compliment, et dans la seconde, je crois avoir mal entendu. Moi, faire fondre une jeune femme aussi désirable et gentille que la sœur de mon ami d'enfance ? Voilà qui m'étonne. J'attends pourquoi qu'elle prenne place en face de moi pour me rasseoir, et m'éclaircir la gorge. Je ne suis pas certain que tu fondrais tant que cela en apprenant que je suis incapable de distinguer autre chose que l'ombre de ta silhouette. L'une des raisons pour lesquelles ma mère prend les choses en main dans ma vie sentimentale... je perds la vue à vitesse grand V depuis six mois et je ne serais bientôt plus capable de décortiquer qu'un océan de ténèbres. Moins sexy d'un coup, n'est-ce pas ?

Je ne peux pas m'empêcher de laisser un petit rire m'échapper. Bien entendu nous sommes en public, dans un restaurant, alors j'évite d'actionner l'option "je m’esclaffe" mais la ressemblance entre nos deux mères m'amuse, autant que leur plan si bien fomenté pour que l'on dîne ensemble. Ah oui, une belle surprise vraiment ? Hélas pour la pauvre Circé dans tous ses états, ma vue m'abandonne mais mes autres sens sont en alerte constante. Tant et si bien que je sens presque son émoi m'éclater au visage, et cela me pousse à prendre doucement sa main dans la mienne. Hey... ce n'est que moi, tu peux te détendre... que je reprends sans imaginer une seconde être à la base même dudit émoi. C'est drôle... tu as bien la première qui ait mis le doigt directement sur le fait que j'utilise mes autres sens, à savoir le toucher en premier, pour voir le monde qui m'entoure. Ton compliment me touche... la couleur de mes yeux n'a pas changé, je devrais m'estimer heureux ! Leur couleur m'a toujours fait penser à la profondeur de l'océan, et combien je me sens à ma place dans l'eau, cet élément aussi capital pour la vie que destructeur lorsque le contrôle est hors d'atteinte. Toujours en tenant la main de Circé dans la mienne, j'esquisse un nouveau sourire. Non, pas déçu. Cela m'a manqué, de ne plus te parler pendant tout ce temps. Quant à ta question précédente... disons que je suis un survivant, alors je prends un jour à la fois. Me ferais-tu l'extrême honneur de me décrire la carte du menu, d'ailleurs ? J'ai eu beau essayer de déchiffrer avec les doigts, celle-ci n'est pas suffisamment en relief pour que j'y parvienne...